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et juste auréole de son martyre, la Lorraine se trouvait arrivée, sans le savoir, au terme de son héroïque existence. Restée prudemment étrangère à la guerre de 1733, elle n'avait pu être victime des querelles des potentats : elle le devint de leur réconciliation. François, qui devait recevoir en échange le grand-duché de Toscane, avec la main de Marie-Thérèse et plus tard le trône impérial, hésita pendant six mois. Mais seul contre l'Europe entière, il n'aurait pu conserver le sol paternel, même avec le sang de tout son peuple. Il pleura donc sa future grandeur, comme un autre eût pleuré sa chute. Mais impossible de dépeindre les angoisses d'une population gémissante, ses inconsolables douleurs au départ de la famille nationale; ces pleurs de tous les citoyens, plus en deuil qu'à la mort d'un père; ce délire, cette fureur de tendresse de malheureux sujets éperdus, qui, voyant partir les princesses, dernier reste du sang de leurs maîtres, se cramponnaient aux voitures ducales, se pendaient aux portières, entravaient les roues, dételaient et redételaient les chevaux. Ils pleuraient le dernier jour de la patrie, ils se sentaient eux-mêmes expirer comme nation, par le départ de l'auguste et chère dynastie, en qui, par tant de siècles de succès ou de revers communs, par des gages si multipliés d'intelligence et d'amour réciproque, tout un peuple s'était incarné.

Stanislas vint à Nancy au mois d'août 1737 : on lui fit un accueil convenable, mais froid. On voyait en lui un grand-officier de la cour de France, envoyé pour mettre au tombeau la nationalité lorraine : un roi détrôné convenait pour les funérailles d'un peuple; d'un peuple, d'un pays, qui a produit la famille de Charlemagne, la famille de Godefroi de Bouillon, la famille des Guise, et surtout Jeanne d'Arc, qui a expié par le feu la gloire d'avoir sauvé la France. Stanislas fit du bien à ses entours; mais le peuple des campagnes fut la victime de son chancelier, le sieur Chaumont de La Galaizière. Il exerça pendant vingt-neuf ans, sur les deux duchés de Lorraine et de Bar soumis à Stanislas, une domination de satrape, aussi dure pour le fond qu'insolente pour la forme. Au moyen de la faculté d'arrestation arbitraire et de décision prévôtale dont il investit une maréchaussée irresponsable, qui ne dépendait que de lui, et qui, d'une manière inouïe, ouvrait ou fermait les cachots malgré les arrêts judiciaires les plus formels, il dépouilla bientôt de tout crédit l'autorité des lois, et de toute garantie la vie et la liberté des citoyens. Il ruina tellement les campagnes, que des centaines de familles cessaient de cultiver la terre. De 1737 à la fin de 1760, en vingt-trois ans et demi, le nombre des hommes voués à l'agriculture avait diminué de vingt-trois mille cinq cent quatre

vingt-dix. C'est mille laboureurs de moins par année. Il quintupla sous Stanislas le chiffre des impôts que l'on payait sous Léopold. Et lorsque les paysans appauvris, n'ayant plus rien à donner ni à vendre, réduits à leurs bras, et à leurs bras exténués, essayaient de porter ailleurs cette dernière ressource, insuffisante pour les faire vivre chez eux, il les retenait de force, ne voulant pas qu'ils pussent donner aux contrées voisines le spectacle de leur dénuement. Et quand la faim, plus forte que la peur, les contraignait de partir à tout risque, et d'aller, malgré ses défenses, chercher hors de la Lorraine du travail et du pain, sait-on comment il traitait les fuyards rattrapés, coupables du crime de misère, de misère produite par lui-même ? Pour les punir de lui avoir fait honte, il les envoyait à la potence! - Tel fut, du moins pour les petites villes et les villages, le doux régime d'administration du chancelier La Galaizière. Ces faits et beaucoup d'autres semblables peuvent se voir dans l'ouvrage bien curieux d'un courageux écrivain: Nancy. Histoire et tableau, par P. G. Dumast, seconde édition. Nancy, 1847 1.

La magistrature lorraine fit des remontrances. Le pacha ne fit que s'en rire et passa outre. En vain cette magistrature, mandée à Lunéville, voulut-elle y parler au roi ; le chancelier célait son maître. Et après avoir rendu Stanislas invisible, il allait jusqu'à faire mettre sur les registres de la cour (trente avril 1758) qu'une ordonnance avait été inscrite en présence du roi, quand chacun savait le contraire. Et lorsque le conseiller Châteaufort eut mis par écrit les réclamations publiques, La Galaizière le relégua aux limites du pays, lui et deux autres énergiques soutiens de la justice. Le pauvre peuple ne trouva plus de défenseurs que dans la noblesse lorraine. Les chefs de deux maisons, un Raigecourt et un Brixei ou Bressey, emmenant avec eux le bâtonnier des avocats, se rendirent à Versailles et y dévoilèrent, preuves en main, des choses qui épouvantèrent les ministres de Louis XV. Ils obtinrent un degrèvement des impôts, mais surtout le rappel des magistrats exilés. Telle fut la dernière part que prit aux affaires du pays l'ancienne chevalerie de Lorraine. Quant à Stanislas, son rôle dans cette grande scène fut singulier : il ne ne fit rien, IL LAISSA FAIRE 2.

Sous ce gouvernement, le clergé de Lorraine eut à souffrir comme le peuple. A peine la dynastie nationale n'y était plus, que le parlement de Nancy prit envers le clergé les allures de ceux de France. Il fit donc savoir à l'évêque de Toul, monseigneur

P. 97 et seqq. 2 Ibid., p. 102 et seqq.

Drouas, qu'il eût à porter les sacrements aux jansénistes malades, sans leur demander aucun acte de soumission aux décrets de l'Eglise. L'évêque de Toul ne jugea point à propos d'obtempérer aux ordres des huissiers et juges du parlement. Le clergé lorrain se rangea du côté de l'évêque. De là, contre l'évêque et son clergé, une rancune parlementaire dont il existe encore un monument curieux.

Sur la route de Nancy à Epinal, à deux lieues de la première ville, ban de la commune de Ludres, tout à côté de la route, il est un petit terrain qui, depuis bientôt deux siècles, reste inculte, mais est toujours planté de petites croix. Le petit terrain s'appelle vulgairement Le Bon-Curé, et cela par la raison que, le deux août 1757, un curé, celui de Ludres, nommé Jean-Baptiste Marchal, y a été brûlé, par sentence du parlement de Nancy, et que toujours le peuple à cru le curé innocent des crimes qu'on lui imputait; et c'est pour cela que, depuis bientôt deux siècles, il appelle ce terrain Le Bon-Curé, et qu'il ne cesse d'y planter par dévotion de petites croix.

Le parlement ou la cour souveraine de Nancy a fait disparaître, dit-on, les pièces du procès; en sorte qu'il n'est pas facile de prouver que ce ne soit pas une erreur de la justice, comme Voltaire le soutient pour l'affaire de Calas, arrivée vers la même époque. Seulement, en l'année 1845, on a publié, dans la Statistique historique et administrative du département de la Meurthe, plusieurs monuments contemporains qui peuvent suppléer jusqu'à un certain point aux actes de la procédure. C'est 1o la réponse du parlement à l'official de l'évêque. Le curé avait été arrêté par le procureur du roi le treize juillet 1757, pour être jugé criminellement par le bailliage: le vingt, le promoteur du diocèse le revendiqua, attendu que, d'après les lois du pays, un prêtre accusé devait être remis à son évêque et jugé par le juge d'église. Nonobstant cette réclamation, le bailliage condamne, au vingt-deux du même mois, le curé à être brûlé : le vingt-huit, le parlement rejette la réclamation du promoteur et le condamne aux dépens. 2o La sentence du parlement, qui, le premier août, confirme la sentence des premiers juges. 3° Une lettre du quatre août écrite à l'évêque de Toul par le prêtre qui avait assisté le curé à la mort, et où il rend compte de la manière dont le patient a subi sa peine. 4o Une lettre du huit juillet 1790, écrite par l'ancien secrétaire de monseigneur Drouas au vicaire général de Nancy, pour lui exposer en peu de mots toute l'affaire, et la part que l'évêque y avait eue. D'après l'ensemble de ces documents contemporains, il résulte ce qui suit.

Le curé de Ludres avait encouru la disgrâce de la dame du lieu, qui s'en plaignit à l'évêque et le sollicita fortement de l'en débarrasser. L'évêque, qui lui-même n'était pas trop content du curé, car la tradition rapporte que c'était un chasseur décidé, vint à bout de lui faire donner la démission de sa cure, sous réserve d'une pension. Il croyait, dit son secrétaire, il croyait seconder le zèle d'une femme pieuse; il ignorait qu'une haine furieuse la faisait agir. « Quelque temps après, continue le même secrétaire, le curé se pourvoit au parlement pour rentrer dans son bénéfice, sous prétexte de la violence qui l'en a expulsé. A l'instant la trame la plus horrible est ourdie. La dame du lieu produit une lettre de l'évêque de Toul; mais cette lettre disait peu de chose, elle n'était pas une base suffisante pour appuyer un procès criminel; on y ajoute donc une calomnie qui fait frémir. On suppose qu'un grand nombre de curés vivent dans une dissolution abominable, qu'il est nécessaire d'en faire un exemple pour en imposer aux coupables, et, ce qui ajoute au frémissement, c'est que, dans un instant, cette horrible imputation passa pour un fait constant dans l'esprit des magistrats, du chancelier de Lorraine et du roi de Pologne. Il est triste qu'on puisse observer ici que la cour souveraine n'avait pas pardonné aux curés d'avoir pris hautement le parti de leur évêque dans l'affaire de la confession des malades, et que M. de Viray, procureur général, autrefois si zélé pour la religion, alors réconcilié avec son corps, montrait plus de passion que personne dans cette affaire. Les esprits ainsi prévenus, on affecta une précipitation inconnue jusqu'alors dans les causes criminelles. Dans peu de jours, le procureur du roi, gagné, donna sa plainte. On entendit des témoins, on les confronta avec l'accusé, qui fut condamné au feu et exécuté (comme coupable de péchés contre nature, commis sur des jeunes gens auxquels il donnait des leçons de latin). Cependant le malheureux prêtre avait montré dans sa prison les sentiments d'un héros chrétien; il acceptait d'avance la mort qu'on lui préparait comme une juste punition de ses péchés, mais il soutenait qu'il était innocent des crimes dont on l'accusait, et il a persisté dans celte déclaration jusque sur le bûcher, de manière à convaincre tous les spectateurs de son innocence. M. François, alors vicaire de Saint-Evre, qui n'avait quitté un instant l'accusé pendant les trois derniers jours de sa vie, fut si touché de ses grands sentiments de religion, qu'il crut devoir en écrire la relation (c'est celle qui est indiquée plus haut). Mais dès que le parlement en fut informé, la passion qui l'animait se montra de plus en plus. M. François, menacé d'un décret, fut obligé de s'évader. On entendit des mem

bres de ce redoutable tribunal dire hautement que le supplice du curé de Ludres n'était qu'un commencement, qu'on savait qu'il y avait bien d'autres prêtres coupables des mêmes crimes, et que bientôt on en ferait justice.

» Le diocèse était perdu, continue le secrétaire de l'évêque, si la Providence divine ne fût intervenue dans cette affaire d'une manière presque miraculeuse. A l'instant du supplice de cet infortuné curé, un cri général s'élève dans toute la Lorraine et particulièrement à Nancy. Le peuple est tout à coup persuadé de l'innocence de ce malheureux, il en fait un martyr. J'ai vu mille petites croix plantées à l'endroit même du bûcher, et des femmes de la campagne à genoux et en prières auprès de ces croix. Elles existent et se renouvellent encore ce huit juillet 1790. Le village de Ludres est regardé avec horreur. Si quelques-uns de ses habitants paraissent à Nancy, à l'instant ils sont assaillis par la populace, et la police ne peut leur sauver la vie qu'en les faisant conduire en prison. Il se fait le plus grand concours de peuple au lieu du supplice; on vient de toutes parts, et de fort loin, invoquer le saint curé. Au commencement, le parlement menace. Il envoie la maréchaussée pour empêcher les attroupements; mais bientôt il s'aperçoit que, s'il ne dissimule pas, ses membres ne seront pas en sûreté, et il se tait. Il y a plus : la dame du lieu tombe dans une langueur qui, en la dévorant, la conduit insensiblement au tombeau; le procureur du roi se fracasse le bras et demeure estropié; le procureur général meurt dans six mois1. »

Tel est le résumé de cette affaire, qui, depuis bientôt deux siècles, est encore très-vivante dans la mémoire du peuple. En 1834, le chef de la famille de Ludres a fondé dans cette paroisse un hospice pour y recueillir trente-deux pauvres de différentes

communes.

Stanislas, roi de Pologne, duc de Lorraine et de Bar, mourut lui-même par le feu, en l'année 1766, à l'âge de quatre-vingt-huit ans. Le cinq février, il se leva de bonne heure, selon sa coutume. Après s'être livré à ses exercices de piété, il s'approcha de la cheminée pour voir l'heure à une pendule. Le feu prit au bas de sa robe de soie. Il sonne ses valets, qui ne se trouvent pas à leur poste. En se baissant pour étouffer la flamme, il perd l'équilibre, tombe dans le feu, se blesse sur la pointe d'un chenet, et se trouve appuyé de la main gauche sur des charbons ardents. Dans cette affreuse

Statistique historique et administrative du département de la Meurthe, deuxième partie, p. 649.

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