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Les paysans vendéens couraient au combat, comme les premiers chrétiens au martyre; et les gardes nationaux, indisciplinés et déconcertés, osaient à peine opposer quelque résistance. Une circonstance vint leur permettre de respirer un moment. Le vingt-sept mars 1793, jour du Mercredi-Saint, les insurgés catholiques prirent, d'un commun accord, la résolution de rentrer dans leurs paroisses, et de s'y préparer à la fête de Pâques : on les vit alors se séparer en bon ordre, abandonner les postes dont la victoire les avait rendus maîtres, et revenir dans les villages pour s'y presser autour des confessionnaux, et à ce banquet où le Dieu des armées est à la fois le pontife et la victime. Ce fut un temps de répit pour les républicains et la convention. Les autorités concentrèrent des troupes, prirent des dispositions défensives et envoyèrent des détachements sur les points les plus menacés. Cependant, l'accomplissement des devoirs que l'Eglise impose ajouta une énergie nouvelle à la foi et au dévouement des Vendéens. Au moment où ces nouveaux Macchabées reprirent les armes, ils publièrent une sorte de déclaration ou de manifeste, dans lequel, après avoir protesté contre le fléau de la milice, ils s'exprimaient ainsi : « Rendez à nos vœux les plus ardents nos anciens pasteurs, ceux qui furent dans tous les temps nos bienfaiteurs et nos amis, qui partagent nos peines et nos maux, nous aident à les supporter par de pieuses instructions et par leur exemple. Rendez-nous, avec eux, le libre exercice d'une religion qui fut celle de nos pères, et pour le maintien de laquelle nous saurons verser jusqu'à la dernière goutte de notre sang. Telles sont nos principales demandes. Nous y joignons notre vœu pour le rétablissement de la royauté.... Nous sommes tous unis pour la même cause; nous ne reconnaissons de chef que l'amour de notre sainte religion, de la justice, et d'une sage liberté... Accordez-nous nos demandes, et, dès ce moment, nous acceptons des propositions de paix et de fraternité 1. »

La convention ne répondit que par une guerre d'extermination à ce qu'elle appelait les brigands de la Vendée. Elle se promettait une facile victoire. Mais bientôt il fallut envoyer contre eux les généraux et les soldats les plus aguerris de la république; et ces braves, qui avaient vaincu en Belgique, en Hollande, en Allemagne, finirent par dire que la guerre contre les armées de l'Europe était une guerre d'enfants, mais que la guerre contre les paysans de la Vendée était une guerre de géants. Et de fait, souvent victorieuse, plus souvent accablée sous le nombre, la Vendée ne se soumit dé

'Gabourd. Convention, t. 1, p. 440.

finitivement que quand le vainqueur de la république et de l'Europe, Bonaparte, lui eut accordé les principales demandes de son manifeste, les pasteurs de sa confiance et la liberté de son culte.

L'armée vendéenne présentait un spectacle étrange. Elle se composait de paysans vêtus de blouses ou d'habits grossiers, armés de fusils de chasse, de pistolets, de mousquetons, souvent d'instruments de travail, de pieux ou de haches. Chaque homme portait un chapelet à sa ceinture, et avait, soit à son chapeau en guise de cocarde, soit sur la poitrine en témoignage de sa foi, une image du sacré cœur, et quelquefois un scapulaire. Ces rassemblements observaient une discipline et une tactique militaires d'une extrême simplicité au lieu d'être divisés en compagnies, en bataillons et en régiments, ils s'organisaient par paroisses et par districts, sous les ordres d'un chef particulier. Pour toute stratégie, ils marchaient droit à l'ennemi : avant de combattre, et bien que déjà munis du sacrement de pénitence, ils s'agenouillaient pour recevoir encore la bénédiction de leurs prêtres; ils se relevaient ensuite pleins de confiance, et commençaient presque à bout portant une fusillade irrégulière, mais bien nourrie et bien dirigée. Dès qu'ils voyaient les canonniers républicains sur le point de faire feu, ils se couchaient aussitôt à terre; quand la mitraille avait passé sans les atteindre, ils se relevaient pour se précipiter sur les batteries et s'en emparer avant qu'on cût le temps de recharger les canons. Calmes et taciturnes par caractère, les Vendéens marchaient ordinairement deux à deux, la tête nue, le chapelet à la main; et le silence n'était rompu que par le chant des hymnes ou des psaumes que les prêtres entonnaient et que chaque voix redisait pieusement. Ils se montraient impitoyables dans le combat; mais après la victoire ils savaient épargner le prisonnier. Dès qu'ils prenaient une ville, leur premier soin était de rendre l'église au culte et de faire sonner les cloches jusqu'au lendemain; puis ils s'emparaient des armes, des caisses publiques, faisaient brûler les registres et les uniformes des armées ennemies, et, jusque dans les excès inséparables d'un triomphe à main armée, ils respectaient les enfants et les femmes. Aussitôt l'incursion finie, le paysan vendéen rentrait dans ses foyers pour se livrer à la culture de son champ, et il ne retournait sous son drapeau qu'au signal nouveau donné par le tocsin. Les chefs étaient impuissants à soumettre leurs soldats à des habitudes plus militaires; et ces dispersions fréquentes s'opposaient à ce qu'on pût entreprendre de longues expéditions: d'ailleurs, dépourvus de manufactures d'armes, de fabriques de poudre et d'arsenaux, les Vendéens n'avaient de fusils, de canons et de munitions de guerre qu'autant qu'ils pouvaient en enlever à l'ennemi.

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Malgré ces désavantages, les paysans de la Vendée remportèrent plusieurs victoires sur les républicains, et s'emparèrent de plusieurs villes, notamment de Saumur et d'Angers. Leurs chefs, même ceux d'entre les nobles, élurent à l'unanimité, pour généralissime, le saint d'Anjou, le paysan Cathelineau. Parmi les généraux se disLinguait M. de Lescure, surnommé le saint du Poitou. Le modeste Cathelineau n'accepta le commandement suprême que par force et comme une consécration au martyre. L'armée catholique de la Vendée fut ainsi commandée par un homme en sabots et disant son chapelet. L'armée révolutionnaire était commandée alors par un ancien noble, seigneur de Lauzun, duc de Biron.

Par ce fait et par beaucoup d'autres, on voit que la France chrétienne, la France de saint Louis, et la France nobiliaire n'étaient pas tout-à-fait la même. Au seizième siècle, nous avons vu la France chrétienne et populaire, secondée par les princes de Lorraine, conserver l'unité religieuse et même territoriale de la France contre les nobles huguenots et même le connétable de Bourbon, qui voulaient la partager avec l'étranger. Au dix-septième siècle, nous avons vu les nobles de la Fronde, particulièrement le prince de Condé, leur chef, en révolte ouverte contre la famille régnante pour se mettre à sa place. Au dix-huitième siècle, nous avons vu la France nobiliaire s'unir à la philosophie incrédule pour corrompre la France jusqu'à la moelle des os, lui faire perdre son unité religieuse et intellectuelle, et l'exposer ainsi à perdre même son existence politique. Aussi, à la révolution, voyons-nous la noblesse, y compris la royauté, ne montrer ni intelligence, ni prévision, ni suite, ni ensemble, ni maturité dans les conseils, ne pas soupçonner même que cette révolution inattendue était une contrerévolution provoquée par eux-mêmes: contre-révolution contre la révolution silencieuse des Bourbons, supprimant les états-généraux pour gouverner selon le bon plaisir contre-révolution contre la troisième dynastie, supprimant peu à peu le droit électoral de la nation à la couronne pour y substituer l'hérédité absolue.

Dès le mois de juillet 1789, le comte d'Artois, frère de Louis XVI, les princes de Condé, suivis d'autres nobles, émigrèrent à l'étranger, et sollicitèrent les nobles et les souverains de l'Europe à se coaliser contre la France, pour rendre à Louis XVI l'intégrité des priviléges monarchiques 1. Au mois d'octobre de la même année, il y eut des émigrés constitutionnels, c'est-à-dire qui voulaient un roi, mais avec une constitution un peu populaire : ils furent mal vus

'Gabourd. Assemblée constituante, p. 210.

des premiers, qui ne craignirent pas de prendre les armes contre la France et de conjurer toute l'Europe à la ruine de la révolution. Ils formaient des rassemblements sur la frontière, ils entretenaient des intelligences avec les mécontents et les royalistes de l'intérieur : les uns, réunis en Savoie, se trouvaient assez nombreux pour s'organiser en légions; les autres avaient choisi pour rendez-vous militaire la ville de Figuières, en Catalogne. Dans une entrevue que le comte d'Artois eut à Mantoue avec l'empereur Léopold, il fut décidé qu'on s'occuperait de rallier les émigrés sur les bords du Rhin. En attendant, toute l'année 1790 se passa à fomenter des troubles dans le midi de la France. Au commencement de 1791, le comte d'Artois quitta la cour de Turin, et vint s'établir à Coblentz chez l'électeur de Trèves, son oncle, Louis-Venceslas de Saxe; le prince de Condé choisit la ville de Worms, d'où il pouvait facilement entretenir des correspondances avec les nobles de Lorraine et d'Alsace 2. Les royalistes, comprimés au dedans, eurent foi au secours du dehors. A mesure qu'ils entrevirent le jour prochain de la vengeance, ils déversèrent le dédain et l'opprobre sur les actes du pouvoir populaire. Rien n'égalait leur jactance: Avec six francs de corde, disaient-ils, on viendrait à bout de la révolution et de ses chefs; et, chaque fois que paraissait un décret hostile à la monarchie et aux classes nobles, ils se contentaient d'en appeler dérisoirement à la botte du général autrichien, qui devait bientôt, selon eux, mettre à la raison les jacobins et l'assemblée constituante. Et c'est là, dit Gabourd, à qui nous empruntons ces détails, c'est là ce qui préparait de si effroyables calamités, des luttes si atroces; c'est là aussi, c'est dans cette disposition ré– ciproque des esprits qu'il faut chercher le secret des attentats qui couvrirent la France de deuil 3.

Les émigrés, dit le même auteur, se composaient des héritiers de ces princes du sang et de cette antique noblesse qui, d'après la tradition historique, s'attribuaient le privilége de protéger le trône pour eux-mêmes et pour la monarchie, malgré le roi, et, au besoin, contre le roi. C'était assez, à les entendre, qu'ils fussent victimes de la trop grande inertie du roi et de son inopportune bonté, pour qu'ils n'écoutassent ni les conseils de leur honneur ni le cri de leurs intérêts. Que parlait-on de patrie? La patrie était avec le drapeau; et l'antique drapeau blanc, proscrit dans le royaume, ne pouvait plus flotter qu'au-delà des frontières. Et d'ailleurs, en admettant

'Gabourd. Assemblée constituante, p. 284 et 285. Ibid., p. 430 et 431.

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que la patrie demeurât attachée au sol, n'était-il pas juste et utile de délivrer cette patrie des tyrans populaires qui l'opprimaient? Tel était le sens des discours colportés dans l'émigration et dans les châteaux ; et la noblesse les répétait avec une foi pleine et ardente. Lâche ou traître qui aurait osé les contredire! Aussi le voyage de Coblentz ou de Turin était-il devenu autant une question d'honneur qu'une affaire de sécurité. Si parmi les nobles il s'en trouvait d'assez circonspects pour tarder à suivre le mouvement général, les jeunes filles d'illustre origine leur envoyaient une quenouille, et aucun d'eux ne se résignait à accepter ce signe de honte '.

Vers la fin de 1791, Louis XVI écrivit aux électeurs de Trèves, de Mayence et de Cologne, et à l'empereur lui-même, les invitant à dissoudre les rassemblements d'émigrés qui se formaient sur leurs territoires contre la France; il fit ensuite afficher une proclamation dans laquelle il prescrivait de nouveau aux émigrés, avec les apparences de l'indignation et de la sévérité, de rentrer promptement dans leur patrie. Enfin il adressa aux princes, ses frères, une lettre pressante pour les sommer de revenir prendre leur place auprès de lui, et de mettre fin, par leur retour, aux inquiétudes et aux récriminations du peuple. Ces démarches n'eurent aucun effet. Les émigrés et les princes, persistant à croire que les proclamations et les lettres du roi n'étaient point l'expression de sa volonté libre et sincère, refusèrent d'y obtempérer. Monsieur, depuis Louis XVIII, après avoir rendu publics les motifs de son refus, se laissa aller en outre à la puérile satisfaction de déverser sur l'assemblée nationale, alors assemblée législative, l'ironie et le ridicule. Il fit imprimer la proclamation qui le sommait de rentrer en France dans le délai de deux mois, et il eut soin de publier en regard sa réponse, par laquelle il invitait les députés, au nom des lois imprescriptibles du sens commun, de rentrer en eux-mêmes dans le même délai, sous peine « d'être censés avoir abdiqué tout droit à la qualité d'êtres raisonnables, et de n'être plus considérés que comme des fous enragés dignes des petites maisons. Cette bravade pédantesque était adressée « aux gens de l'assemblée française se disant nationale 2. >>

Au fond, il y avait à Coblentz plus de généraux que de soldats; et l'émigration constituait plutôt un magnifique état-major qu'une troupe vraiment destinée à entrer en ligne. Les amours-propres étaient en présence, et créaient aux princes beaucoup de fatigues

P.

' Gabourd. Assemblée constituante, p. 437. — 2 Ibid. Assemblée législative, 34 et 55.

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