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On voit même quelque reste d'humanité dans les bourreaux au moment où ils se montraient le plus féroces. A la fin du massacre, ils étaient à boire et à chanter dans l'église, à l'entrée de la nuit et à la Jueur de quelques flambeaux sinistres, lorsque tout à coup ils entendent du bruit vers une espèce de niche ou d'armoire ménagée dans la muraille. Ils voient paraître un homme couvert de sang, posant les pieds sur le haut d'une échelle. C'était l'abbé de Lostande, échappé au premier carnage du jardin, et qui, blessé de plusieurs coups de sabre, s'était réfugié dans cet asile. A son aspect, les bourreaux accourent en criant: C'est encore un des prêtres; massacrons-le comme les autres. En disant ces mots, ils avaient repris leurs sabres, et montaient vers lui. Du haut de son échelle, il leur dit d'une voix mourante: « Messieurs, ma vie est entre vos mains; je sais tout ce que j'ai à redouter de vous ; mais une fièvre ardente, une cruelle soif, l'effet de mes blessures, me tourmentent bien plus que la crainte de vos glaives. Je ne puis résister à cette soif ou donnez-moi un verre d'eau, ou ôtez-moi ce reste d'une vie mille fois plus insupportable que la mort..» Les bourreaux eux-mêmes semblaient s'adoucir à ces paroles, quand une voix s'écrie: « En voici encore un!» Celui-ci était l'abbé Dubray, prêtre de Saint-Sulpice, caché, mais étouffant entre deux matelas; il avait fait un mouvement pour respirer. Le bourreau, qui l'entend remuer, le saisit, le traîne vers l'autel, lui fend la tête d'un coup de sabre et les piques l'achèvent. Témoin de ce spectale du haut de son échelle, l'abbé de Lostande n'attendait pas un autre sort. Il se traîne en descendant, arrive auprès de ces bourreaux, leur demande encore un verre d'eau ou la mort et tombe évanoui entre leurs bras. Ils se sentent émus de compassion et lui donnent un verre d'eau ; ils le transportent même à la section, y plaident sa cause, et de là le mènent à l'hôpital.

Au milieu même du massacre, le commissaire Violet sauva plusieurs victimes en les faisant rester à côté de lui au moment où ils allaient à la mort. Deux jours après, il leur disait avec un enthousiasme involontaire : « Je me perds, je m'abîme d'étonnement, je n'y conçois rien, et tous ceux qui auraient pu le voir n'en seraient pas moins surpris que moi. Vos prêtres allaient à la mort avec la même joie et la même allégresse que s'ils fussent allés aux noces '.> Enfin, on compte en tout deux cent quarante-quatre personnes massacrées aux Carmes, dont cent quatre-vingt-dix-sept ecclésiastiques, cinq laïques et quarante-deux inconnus. Trente-quatre

'Barruel. Hist. du clergé.

échappèrent ou furent sauvés, sur lesquels vingt-cinq ecclésiastiques. Le massacre avait commencé à l'abbaye de Saint-Germain. Seize prêtres se rendaient au lieu de leur exportation avec des passe-ports en règle : ils furent arrêtés aux barrières de la capitale, amenés de la commune à l'abbaye, égorgés dans la cour, avec dixhuit autres. Un seul échappa par le dévouement d'un horloger appelé Monod: ce fut l'abbé Sicard, instituteur des sourds-muets. Dans l'intérieur de l'abbaye, il y avait beaucoup de prisonniers pour cause politique, avec deux prêtres, l'abbé de Rastignac, grandvicaire d'Arles, et l'abbé Lenfant, ancien Jésuite, célèbre prédicateur, connu de tout le monde. « A dix heures, le lundi trois septembre, raconte un des prisonniers échappé du massacre, l'abbé Lenfant et l'abbé de Rastignac parurent dans la tribune de la chapelle qui nous servait de prison. Ils nous annoncèrent que notre dernière heure arrivait et nous invitèrent de nous recueillir pour recevoir leur bénédiction. Un mouvement électrique qu'on ne put définir nous précipita tous à genoux, et, les mains jointes, nous la reçûmes. L'abbé Lenfant ayant été appelé à la mort, parut avec autant de calme que quand il montait en chaire. Le peuple, en voyant paraître son apôtre, demanda à haute voix qu'il vécût. Les bourreaux le lâchèrent. Le peuple le poussait, lui criait : Sauvez-vous, et il était déjà hors de la foule. Son cœur tendre et sensible ne lui permettait pas de fuir sans avoir remercié ce peuple. Il s'était retourné et lui exprimait sa reconnaissance. Quatre brigands ont regretté leur proie; ils accourent, le saisissent. L'abbé Lenfant lève les mains au ciel : « Mon Dieu, je vous remercie de pouvoir vous offrir ma vie, comme vous avez offert la vôtre pour moi. » Ce furent ses dernières paroles. Il se mit à genoux et expira sous les coups des brigands. L'abbé de Rastignac fut immolé un instant après 2.

Le seul prêtre connu pour avoir échappé à cette boucherie fut un religieux de Clugny. Il était un des seize arrêtés aux barrières. En arrivant à l'abbaye, il remarqua parmi les commissaires un homme avec qui il s'était trouvé diverses fois chez un ami commun. Cet ami, croyant le religieux assuré de l'exportation, lui avait confié une somme de quarante mille livres. Le religieux voulait assurer ce dépôt; il remet son portefeuille au commissaire et lui en confie la restitution. Le commissaire, reconnaissant le religieux, imagine, pour lui sauver la vie, de le conduire dans le bureau même où des écrivains étaient occupés à dresser le procès-verbal du massacre.

· Gabourd. Assemblée législative, , P.

467 et
seqq.

2 Barruel et Carron.

Sans avoir trop le temps de lui expliquer ce qu'il doit faire, il le place à une des tables du bureau et lui dit : Ecrivez. Le religieux attend qu'on lui dicte ce qu'il doit écrire. Le commissaire s'aperçoit de son embarras; affectant un ton brusque, il ajoute : « Ecrivez donc ce que je vous ai dit, et que tout soit prêt à mon retour. » Le religieux entend ce langage et se met à écrire ou à faire semblant. Les bourreaux allaient, venaient et revenaient dans ce bureau, racontant leurs massacres, demandant des listes et se livrant à toute leur féroce joie sur les victimes qu'ils avaient égorgées. Il leur en manquait une sur les seize prêtres: c'était ce religieux même qu'ils voyaient dans le bureau et qu'ils prenaient pour un commis. C'était devant lui qu'ils demandaient le prêtre qu'on leur avait dérobé. Lui continuait à écrire sans se détourner et comme un homme fort occupé des ordres qu'il avait à remplir. Le commissaire, au moment favorable, reparut, examina ce que le religieux avait écrit, lui fit prendre ses papiers sous le bras et l'emmena chez lui comme son secrétaire1.

Tandis qu'on massacrait leurs frères aux Carmes, les quatre-vingtdix prêtres enfermés au séminaire de Saint-Firmin s'attendaient à voir s'ouvrir les portes de leur prison, en conséquence du décret d'exportation qui leur avait été communiqué. C'était le deux septembre. Tout à coup un garçon boucher s'introduit dans le séminaire, demande à parler au procureur, l'abbé Boulangier, et lui dit secrètement: Sauvez-vous, monsieur, ce soir vous allez tous être égorgés. L'abbé Boulangier ne peut pas y croire, avertit le supérieur, l'abbé François, et ils envoient un domestique prendre des informations; mais ils attendent vainement la réponse. Surviennent deux autres jeunes gens; avec le garçon boucher, ils pressent l'abbé Boulangier et l'emmènent à travers les bandits qui arrivaient sur Saint-Firmin pour s'assurer des postes.

Le trois septembre, à cinq heures du matin, les bourreaux étaient tous arrivés. La populace était déjà accourue. Elle commença par demander la vie de quelques-uns de ceux qu'elle connaissait plus spécialement. Conservez notre saint, cria-t-elle en parlant du bon abbé Lhomond, professeur émérite du collége du cardinal Lemoine, et auteur d'une grammaire française bien connue dans les colléges et les séminaires. Ce saint prêtre et trois autres furent mis sous la sauvegarde de la loi. Les administrateurs de la section auraient aussi voulu conserver la vie à l'abbé François, supérieur du séminaire. Mais les brigands se raidirent contre la section même, et le

'Barruel.

TOME XXVII.

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lui arrachèrent pour l'égorger avec les autres. Ils parcoururent d'abord le séminaire, et en firent descendre les prêtres dans la rue. Le peuple, frémissant d'un si grand nombre de victimes, ne voulut pas souffrir qu'elles fussent immolées sous ses yeux. Les bourreaux rentrèrent avec elles dans la maison. Là, ils les égorgèrent les unes après les autres, ou les précipitèrent par les fenêtres. L'abbé Haüy, savant minéralogiste, auteur d'un traité de cette science, ainsi que d'une Physique, avait été enfermé à Saint-Firmin avec ses confrères de sacerdoce. Mais quelques jours avant le massacre, il en fut tiré par les sollicitations de l'académie, dont il était membre'.

Les massacres continuèrent les jours suivants dans les autres prisons de la capitale : à La Force, à la Conciergerie, au Châtelet, aux Bernardins, à Bicêtre, à la Salpêtrière. Une fois affriandés par le sang des prêtres, les assassins égorgèrent tous les prisonniers sans distinction: les voleurs et les accusés vulgaires, à la Conciergerie et au Châtelet; les galériens, aux Bernardins; les fous et autres détenus semblables, à Bicêtre; les femmes condamnées pour délits communs, à la Salpêtrière. A la Force, avec un certain nombre de prêtres, on égorgea beaucoup de prisonniers politiques. La plus illustre victime y fut la princesse de Lamballe, née princesse de Savoie, et amie intime de la reine Marie-Antoinette. On lui coupa la tête, on lui arracha le cœur; on mit la tête au bout d'une pique, le cœur dans un bassin, et on les présenta ainsi aux fenêtres du Temple, où étaient prisonniers le roi et la reine. Peu s'en fallut que les brigands n'en enfonçassent les portes et ne terminassent la journée par le régicide. Un conseiller municipal les harangua pour les détourner de ce dessein; ce ne fut qu'après une heure de résistance qu'il parvint à les éloigner.

Le neuf septembre eut lieu à Versailles, malgré les efforts du maire de la ville, le massacre d'un grand nombre de prisonniers de distinction, qu'on transférait d'Orléans à Saumur. Dans le nombre fut M. de Castellane, évêque de Mende. Déjà frappé à mort, il se releva pour absoudre les mourants; un coup de sabre mutila sa main au moment où il prononçait l'absolution.

Les massacres de Paris furent imités dans quelques départements. Danton, ministre de la justice, leur en adressa à tous l'invitation formelle au nom de la municipalité parisienne, qui exerçait alors le souverain pouvoir en France. Un des signataires était Marat, membre du comité de salut public, établi par la commune. A Reims, on massacra donc huit prisonniers, tant prêtres que laïques;

'Barruel.

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à Meaux, une bande d'énergumènes, qu'on suppose venue de Paris, égorgea quatorze personnes, parmi lesquelles figuraient sept prêtres; à Lyon, les prisons étaient menacées, mais la garde nationale prit les armes, et, par son intervention, le nombre des victimes, qui allait s'élever à deux cents, fut restreint à onze personnes, dont huit officiers et trois prêtres; à Orléans, trois individus furent massacrés; à Gisors, dans le département de l'Eure, le duc de la Roche-Guyon, arrêté par ordre de la commune, sur la recommandation du philosophe marquis de Condorcet, fut tué d'un coup de pavé qui lui fut lancé par un brigand.

Parmi les victimes de Reims, on distingue le doyen des curés, Etienne-Charles Pacquot, curé de Saint-Jean. Il demandait à Dieu de terminer sa longue carrière par le martyre. Les bourreaux le trouvent dans son oratoire terminant les prières des agonisants. Il les suit, en récitant tranquillement des psaumes, jusqu'au seuil de la maison commune, où il doit recevoir le coup de la mort. Le maire croit avoir trouvé un moyen de le sauver. « Qu'allez-vous faire? crie-t-il aux brigands; ce vieillard n'est pas digne de votre colère. C'est un bon homme qui est fou, qui a perdu la tête, à qui le fanatisme renverse les idées. Non, monsieur, répond le vénérable doyen, je ne suis ni fou ni fanatique; je vous prie de croire que jamais je n'ai eu la tête plus libre et l'esprit plus présent. Ces messieurs me demandent un serment décrété par l'assemblée nationale; je connais ce serment il est impie, subversif de la religion. Ces messieurs me proposent le choix entre ce serment et la mort; je déteste ce serment et je choisis la mort. Il me semble, monsieur, que c'est là vous avoir assez démontré que j'ai l'esprit présent et que je sais ce que je fais. » Le magistrat, presque confus de sa fausse pitié, l'abandonne aux assassins. M. Pacquot leur fait signe de la main, et dit à haute voix : « Quel est celui de vous qui me donnera le coup de la mort? — C'est moi, répond l'un d'eux. Ah! reprend le vieux curé, permettez que je vous embrasse, que je vous témoigne ma reconnaissance pour le bonheur que vous allez me procurer. Il l'embrasse en effet, et ajoute : Permettez à présent que je me mette dans la posture convenable pour offrir à Dieu mon sacrifice. Il se met à demande hautement pardon à Dieu pour lui-même et pour ses bourreaux; puis il reçoit le premier coup de l'homme qu'il vient d'embrasser, les autres achèvent '. »

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genoux,

Le même jour, dans la matinée, un malheureux était allé trouver

'Barruel.

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