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un prêtre octogénaire réfugié à Reims, l'abbé Suny, curé de Rillyla-Montagne, pour lui demander l'aumône. Le vieux prêtre lui donna une chemise avec quelques assignats. Peu d'heures après, il fut traîné à l'Hôtel-de-Ville, où ce mendiant l'avait dénoncé. « M. le curé, lui dirent les municipaux, votre sort est entre vos mains. Prêtez le serment, si vous voulez conserver les jours qui vous restent à passer ici-bas. Ah! messieurs, répondit-il, j'avais eu le malheur de prêter ce serment criminel: le Seigneur m'a fait la grâce de le rétracter. Je l'en ai mille fois remercié; mais combien à présent je m'estime heureux de pouvoir donner ma vie pour réparer mon scandale! je lui en demande encore très-humblement pardon. Ah! messieurs, je sens qu'il me fortifie; je me sens disposé à mourir plutôt que de retomber dans ce crime. » Il marcha effectivement à la mort avec un air mêlé de componction, d'humilité et de sainte joie. Son sang coula dans le même ruisseau que celui du saint pasteur qui l'avait précédé. Le lendemain, cinq septembre, la populace de Reims, apprenant que le vieux curé de Rilly avait été dénoncé par celui-là même auquel il avait fait l'aumône, entra dans une telle fureur, qu'elle amena ce misérable sur le champ des massacres, l'accusa d'en être le principal auteur, le jugea et le brûla tout vif1.

Un très-grand nombre des ecclésiastiques se réfugièrent en Angleterre. Dans le mois de septembre 1792, il y en arriva plus de trois mille, et au milieu de l'année suivante il y en avait quatre mille de plus. L'ile de Jersey seule en comptait une foule qui y affluaient de la Bretagne et de la Normandie. Il se forma un comité chargé de leur distribuer des secours. De riches Anglais s'unirent pour cette bonne œuvre. L'évêque de Saint-Paul-de-Léon, M. de la Marche, qui avait été contraint de se réfugier en Angleterre dès 1791, excita et seconda leur zèle. On logea huit cents prêtres dans un château royal. On proposa des souscriptions en leur faveur. En 1794 et 1795, le nombre de ces réfugiés s'accrut encore par l'invasion des Pays-Bas et de la Hollande. La bienfaisance nationale parut se déployer dans la même proportion. Le produit de la souscription monta jusqu'à un million. Des quêtes faites par ordre du roi próduisirent ensemble à peu près la même somme. A la fin, le gouvernement crut devoir étendre et régulariser ces dons. Un bill fut rendu pour donner des secours annuels aux émigrés de toutes les classes. Chacun recevait un traitement proportionné à son rang. Les évêques, qui se trouvaient en Angleterre au nombre de trente

• Barruel.

environ, touchaient une somme plus forte, à l'exception de six d'entre eux, qui, ayant des moyens particuliers, ne voulurent point être portés sur la liste générale des secours. Un assez grand nombre d'ecclésiastiques refusèrent, par le même motif de délicatesse, le subside qu'on leur offrait. L'évêque de Saint-Paul-de-Léon était à la tête de ces distributions, qui étaient grossies par des dons volontaires de plusieurs particuliers opulents. Le clergé français se montra digne d'un si noble accueil, et sa conduite répondit à la pureté de la cause pour laquelle il souffrait. Elle dissipa bien des préjugés, et rendit respectable aux yeux des Anglais l'ancienne foi de leurs pères. Nos prêtres établirent à Londres et ailleurs plusieurs chapelles, et rappelèrent plusieurs protestants dans le sein de l'Eglise romaine. Leur zèle, leur constance, leur charité frappaient les esprits les plus prévenus. L'excellent abbé Carron, natif de Rennes, établit une maison de retraite pour les prêtres âgés et infirmes, un hospice pour les femmes émigrées, des écoles pour les deux sexes, des pharmacies gratuites, des bibliothèques, des ateliers. Il faisait face aux dépenses par les dons de riches Anglais touchés de sa

vertu '.

Pendant que la France catholique, par ses prêtres exilés, triomphait humblement des préventions anticatholiques de l'Angleterre et la ramenait tout doucement au sein de l'Eglise universelle, la France militaire, à peine réorganisée sur les frontières de Lorraine et de Champagne, et manquant bien des fois du nécessaire, triomphait par sa valeur naturelle de l'armée prussienne, de ces vieilles bandes de Frédéric II, lesquelles avaient résisté à toute l'Europe et rançonné l'empire d'Allemagne. Le vingt septembre 1792, près du village de Valmy en Champagne, un nombre inférieur de troupes françaises, nouvelles recrues, qui n'avaient pas encore vu le feu, se trouvèrent en présence d'un nombre supérieur de vieilles troupes, que renforçait un corps d'émigrés. Ces émigrés avaient assuré aux Prussiens que l'armée française n'était composée que d'ouvriers et de tailleurs qui fuiraient au premier coup de canon. Après une canonnade de quatre heures, les Prussiens s'avancent sur les Français pour les attaquer à l'arme blanche: ils sont si étonnés de la contenance fière de ces nouveaux soldats, qui les attendent de pied ferme, la baïonnette en avant, qu'ils hésitent, puis se rejettent en arrière, sans oser commencer l'attaque. Cela seul valait à la nouvelle France militaire la plus grande des victoires; cela seul lui donnait confiance en elle-même et lui marquait son rang parmi les

Picot. Mémoires, an 1793.

premières armées de l'Europe. D'ailleurs, pour bien des Français, l'armée devenait une patrie. Les horribles massacres de Paris et de quelques provinces poussaient sous les drapeaux de la frontière beaucoup d'honnêtes gens qui aimaient mieux vivre et mourir en défendant le sol français que de devenir victimes des anarchistes ou esclaves de l'étranger. La France ecclésiastique et la France militaire étaient comme deux armées d'un genre très-divers, mais qui contribuaient toutes deux à conserver la foi, l'honneur et l'unité de la France entière.

Après la bataille de Valmy, les Prussiens négocièrent avec le nouveau gouvernement français, lui rendirent Verdun, Longwi, levèrent le siége de Thionville et s'en retournèrent d'où ils étaient venus, mais vaincus et décimés par la guerre et les maladies. Les émigrés se virent prodigieusement trompés dans leur attente. Les étrangers ou alliés ne se souciaient pas même trop d'eux: jaloux de la France, ils espéraient pouvoir, sans eux, l'humilier, l'amoindrir et en fixer les destinées.

Au même mois de septembre, Lille en Flandre fut assiégé et bombardé par les Autrichiens. Les habitants, aidés d'une faible garnison, se défendirent avec tant de courage, au milieu de leurs maisons en ruine et en feu, que le six octobre les Autrichiens levèrent le siége. Le long du Rhin, les Français s'emparent de Spire, de Worms, de Mayence, de Francfort-sur-le-Mein. Les émigrés ne pouvaient comprendre, beaucoup de gens ne comprennent pas encore aujourd'hui, pourquoi les Autrichiens, les Prussiens et les Russes, puisqu'ils en voulaient à la France révolutionnaire, ne se sont pas réunis contre elle en masse pour l'accabler d'un premier coup, sans lui donner le temps de se mettre en garde. C'est que la Russie, la Prusse et l'Autriche n'avaient pas encore elles-mêmes terminé une révolution à leur profit, pour en entreprendre sérieusement une autre : l'Autriche, la Prusse et la Russie n'avaient pas encore achevé de détrôner le roi Stanislas Poniatowski et de se partager le royaume de Pologne. Il fallut donc bien que les révolutionnaires souverains de l'Europe laissassent aux révolutionnaires bourgeois de France le temps de s'arranger avec le roi Louis XVI comme ils le jugeraient à propos.

En conséquence, le vingt-un septembre 1792, la convention nationale ayant remplacé l'assemblée législative, le comédien Collot d'Herbois proposa l'abolition de la royauté. Des applaudissements unanimes s'élevèrent; mais le député Quinette demanda l'ordre du jour, sous prétexte que la question ne pouvait être décidée que par le peuple lui-même. Le janséniste Grégoire, évêque civil de Loir

et-Cher, monte à la tribune et s'écrie: « Certes, personne de nous ne proposera de conserver en France la race funeste des rois; nous savons trop bien que toutes les dynasties n'ont été que des races dévorantes qui ne vivaient que de chair humaine. Mais il faut pleinement rassurer les amis de la liberté; il faut détruire ce talisman dont la force magique serait propre à stupéfier encore bien des hommes. Je demande donc que, par une loi solennelle, vous consacriez l'abolition de la royauté. » Et comme, malgré les acclamations de l'assemblée, le député Bazire insistait pour qu'on délibérât dans les formes accoutumées, le janséniste Grégoire reprit avec une énergie sauvage : « Qu'est-il besoin de discuter quand tout le monde est d'accord? Les rois sont, dans l'ordre moral, ce que les monstres sont dans l'ordre physique. Les cours sont l'atelier des crimes et la tanière des tyrans. L'histoire des rois est le martyrologe des nations. Je demande que ma proposition soit mise aux voix. » La discussion ayant été fermée, il se fit un profond silence, et bientôt le président prononça, au nom de l'assemblée, la déclaration suivante: « La convention nationale décrète que la royauté est abolie en France'. Dès le vingt-cinq septembre, le roi de Prusse traitait avec la république française sur la manière dont il sortirait de son territoire, et lui rendait les villes prises.

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Les déclamations furieuses du janséniste Grégoire contre les rois en général, et qui avaient amené l'abolition de la royauté, devaient amener encore la mise en jugement et la condamnation de Louis XVI. Mais là se présentait cette question: Louis XVI est-il personnellement justiciable ou responsable? et, s'il l'est, devant quel tribunal le sera-t-il? La constitution de 1791 l'avait déclaré inviolable quant à sa personne, et irresponsable quant aux actes de son gouvernement. De plus, la Déclaration des droits de l'homme proclamait que nul ne pouvait être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. On ne pouvait mettre en jugement Louis XVI sans violer tout à la fois et la constitution et les droits de l'homme. Mais on avait aussi proclamé que tous les cultes étaient libres, et cependant on contraignait les catholiques d'embrasser le schisme, sous peine de déportation et de massacres. On respectera l'inviolabilité royale envers Louis XVI, comme on respectait la liberté des cultes envers les catholiques fidèles.

Le treize novembre, la convention nationale commença donc à délibérer pour savoir quels seraient les juges de Louis XVI, et elle

Gabourd. Assemblée législative, p. 432.

décida, le trois décembre, que ce serait elle-même. Dans la dis-
cussion, on entendit deux évêques intrus, Fauchet du Calvados,
Grégoire de Loir-et-Cher : tous deux parlèrent outrageusement de
Louis XVI, mais le premier pour le sauver, le second pour le
perdre. « Tous les monuments de l'histoire déposent, disait entre
autres le dernier, que les rois sont la classe d'hommes la plus im-
morale; que, lors même qu'ils font un bien apparent, c'est pour
s'autoriser à faire un mal réel ; que cette classe d'êtres purulents fut
toujours la lèpre des gouvernements et l'écume de l'espèce humaine.>
Le langage de Robespierre fut plus modéré que celui des deux évê-
ques constitutionnels. Le fond en est la distinction de l'ordre poli-
tique d'avec l'ordre moral. « Il n'y a point de procès à faire,
dit-il;
Louis n'est point un accusé, vous n'êtes point des juges ; vous êtes,
vous ne pouvez être que des hommes d'état et des représentants de
la nation. Vous n'avez point une sentence à rendre pour ou contre
un homme, mais une mesure de salut public à prendre, un acte
de providence nationale à exercer. Louis fut roi, et la république
est fondée. La question fameuse qui vous occupe est décidée par
ces seuls mots. Louis ne peut donc être jugé, il est déjà con-
damné ; il est condamné, ou la république n'est point absoute. -
La constitution vous défendait tout ce que vous avez fait contre lui.
S'il ne pouvait être puni que de la déchéance, vous ne pouviez la
prononcer sans avoir instruit son procès; vous n'aviez point le droit
de le retenir en prison, il a celui de vous demander son élargisse-
ment et des dommages. La constitution vous condamne. Allez donc
aux pieds de Louis implorer sa clémence... Pour moi, je rougirais
de discuter sérieusement ces arguties constitutionnelles ; je les re-
lègue sur les bancs de l'école, ou plutôt dans les cabinets de Londres,
de Vienne et de Berlin. Je ne sais point discuter longuement, là où
je suis convaincu que c'est un scandale de délibérer... Je prononce
donc à regret cette fatale vérité; mais Louis doit périr, parce qu'il
faut que la patrie vive.... >>

Dans le précédent volume de cette histoire, nous avons vu Bossuet distinguer l'ordre politique d'avec l'ordre moral, pour en conclure, contre le Pape, que l'ordre politique n'est point subordonné à l'Eglise ici nous voyons Robespierre faire la même distinction, pour en conclure, contre la France royaliste, que le procès de Louis XVI n'est point subordonné aux lois de la justice et de la morale. Ni Bossuet ni Louis XIV ne s'attendaient à voir, le trois décembre 1792, une assemblée française, où siégeait le premier

Gabourd. Convention nationale, t. 1, p. 148 et seqq.

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