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Voici maintenant l'attitude caractéristique de Pierre Duhem vis-à-vis des hypothèses mcéanistes. A la suite de Rankine, Mach et Ostwald, il entend, pour sa part, les exclure absolument de la physique. Il veut construire la théorie uniquement sur les lois déduites directement de l'expérience. Les deux principes de la Thermodynamique lui paraissent parfaitement aptes à constituer cette base. Au moyen d'une définition préalable de l'énergie, il est possible d'en tirer rigoureusement toutes les lois particulières, y compris celles de la Mécanique, qui descendrait ainsi au rang d'une simple branche de la théorie générale. Celle-ci prendrait le nom d'Énergétique.

Mais Duhem visait plus haut encore. « Cette doctrine, dit-il dans la Notice où il résume ses travaux à l'occasion de sa candidature à l'Académie des Sciences (mai 1913), ne légiférerait pas seulement sur le mouvement proprement dit, réduit au changement du lieu que le mobile occupe, sur le mouvement local, comme eussent dit les Scolastiques; elle réglerait tous les changements, toutes les modifications dont connaissent la Physique et la Chimie dilatations et contractions qui altèrent la densité, fusions, vaporisations qui modifient l'état physique, réactions qui combinent les éléments ou dissocient les composés, phénomènes de toutes sortes qui changent l'électrisation ou l'aimantation.

» Pour imposer des lois à tous ces changements, cette doctrine n'imiterait pas les nombreuses théories mécaniques proposées jusqu'alors par les physiciens; aux propriétés observables que les appareils mesurent, elle ne substituerait pas des mouvements cachés de corps hypothétiques, afin de pouvoir appliquer à ces mouvements les méthodes de la Mécanique rationnelle; elle les prendrait tels que les donne la Physique expérimentale, sans prétendre les réduire à la figure et au mouvement lorsque ni les sens ni les instruments qui les aident n'ont effectué cette réduction; ce sont ces données IVe SÉRIE. T. I.

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immédiates de l'observation et de l'expérience qui seraient saisies par ses formules...

>> La construction d'une telle science nous apparut bientôt comme un objet digne que notre vie fût consacrée à la poursuivre, dussions-nous ne l'atteindre que d'une manière fort imparfaite. »

Et ailleurs, parlant des hypothèses mécanistes : « Nous ne pouvons y reconnaître une vue divinatrice de ce qu'il y a au delà des choses sensibles; nous les regardons seulement comme des modèles. De ces modèles, chers aux physiciens de l'École anglaise, nous n'avons jamais nié l'utilité; ils prêtent, croyons-nous, une aide indispensable aux esprits plus amples que profonds, plus aptes à imaginer le concret qu'à concevoir l'abstrait. Mais le temps viendra sans doute où, par leur complication croissante, ces représentations, ces modèles cesseront d'être des auxiliaires pour le physicien, où il les regardera plutôt comme des embarras et des entraves. Délaissant alors ces mécanismes hypothétiques, il en dégagera avec soin les lois expérimentales qu'ils ont aidé à découvrir ; sans prétendre expliquer ces lois, il cherchera à les classer,... à les comprendre dans une Énergétique modifiée et rendue plus ample ».

Donc, plus de réduction des phénomènes à des mécanismes concrets, faciles à imaginer et auxquels nous sommes de longue date habitués. Rien que des symboles abstraits lois très générales au début, lois particulières déduites par des raisonnements rigoureux; et s'il arrive

ce qui est fréquent, hélas ! — que la confrontation avec l'expérience oblige à modifier les formules de ces lois particulières, introduction de termes correctifs donnés comme tels en s'interdisant rigoureusement de leur chercher un sens concret: tel est le tableau sévère de la théorie physique idéale pour Pierre Duhem.

Cet idéal, il a cherché à le traduire en acte. Dans les quatre volumes de son « Traité élémentaire de Méca

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nique chimique fondé sur la Thermodynamique », par exemple, il donne de sa conception, au témoignage d'un juge (H. Bouasse) peu enclin à une bienveillance excessive, un véritable modèle. Mais cette appréciation d'ensemble, motivée surtout par la maîtrise de l'exécution, en général, et notamment par la sobre élégance des chapitres du début, ne tarde pas à se tempérer chez le critique de réserves significatives sur la complication croissante des formules qui représentent les cas particuliers, tels que certains phénomènes d'hystérésis. C'est qu'alors, en effet, se présentent ces nouvelles variables, ces termes correctifs, qui n'ont d'autre raison d'être que de masquer l'hiatus entre le fait observé et le calcul. Il s'ensuit que l'Énergétique perd près du but, c'est-à-dire dans l'application des principes aux cas concrets susceptibles de vérification expérimentale, l'avantage qu'elle possède au point de départ sur la théorie mécanique. Celle-ci a d'ordinaire plus de peine à établir ses formules initiales, mais elle arrive de plain-pied à ses conclusions particulières.

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Si l'on ajoute la difficulté toute spéciale de formuler une définition satisfaisante de l'énergie dès le début de la Thermodynamique et la rareté relative des esprits

profonds » qui se complaisent dans l'abstrait, on conçoit que la théorie entendue à la manière de Duhem n'ait pas rallié l'unanimité des suffrages. Mais l'œuvre réalisée n'en est pas moins belle, ni moins salutaire l'effort de réaction contre la prédominance trop exclusive du point de vue mécaniste.

Quoi qu'il en soit, l'ambition des physiciens n'est donc pas, disons modestement qu'elle n'est plus, de dévoiler le mécanisme réel des phénomènes, de dire comment les choses se passent au vrai dans les profondeurs de la matière. Suivant l'expression mise à la mode par H. Poincaré, leurs hypothèses ne visent pas à être vraies, mais seulement à être commodes. Ce qu'on cherche,

c'est uniquement un mécanisme capable de produire les phénomènes avec les caractéristiques que nous leur connaissons actuellement, donc une représentation aussi fidèle que possible, un modèle ou une image. On n'affirme pas que les choses sont telles, mais que tout se passe, c'est la célèbre expression de Newton, comme si elles l'étaient.

C'est ce que les anciens avaient déjà fort bien vu, et ce qui n'a été méconnu que pendant les courtes périodes signalées. Encore trouve-t-on, à toutes les époques, des esprits distingués qui résistent à l'entraînement général.

Pour les anciens, d'ailleurs, il ne s'agissait, bien entendu, que de l'Astronomie, la seule science assez avancée alors pour atteindre au stade de la constitution des théories. On en peut lire le détail dans les profonds travaux historiques de Duhem. Il nous suffira ici de citer S. Thomas, en qui se résume toute la tradition scientifique de l'antiquité : << Mais les suppositions qu'ils (les >> astronomes) ont imaginées ne sont pas nécessairement » vraies, car peut-être les apparences que les étoiles pré>> sentent pourraient être sauvées par quelque autre mode » de mouvement encore inconnu des hommes >> (1).

On a continué de penser ainsi jusqu'à la fin du moyen âge, à part quelques rares exceptions. Il est même assez piquant d'observer que, dans le fameux procès de Galilée, l'illustre savant défendait le point de vue actuellement abandonné par les hommes de science, tandis que les hommes d'Église raisonnaient comme nos Poincaré et nos Duhem. Le Cardinal Bellarmin écrivait à Foscarini, à l'intention de Galilée, le 12 avril 1615 : « Dire qu'en suppo»sant la Terre en mouvement et le Soleil immobile, on >> sauve toutes les apparences mieux que ne le pourraient · >> faire les excentriques et les épicycles, c'est très bien » dire; cela n'offre aucun danger et cela suffit au mathé» maticien. Mais vouloir affirmer que le Soleil demeure

(1) De Cuelo, lib. II, lect. 17.

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>> réellement immobile au centre du monde, etc... c'est >> chose fort périlleuse

Mais alors, si la théorie physique n'est pas le couronnement d'un édifice de vérités laborieusement acquises, si nous devons nous contenter d'une image, c'est-à-dire d'une ombre, à quoi bon nous donner tant de peine, et ne vaudrait-il pas infiniment mieux nous reposer dans un scepticisme nonchalant? A quoi servent les théories, si en les embrassant nous n'étreignons aucune vérité nouvelle ? L'utilité des théories physiques est double: elles nous servent à classifier nos connaissances et à les augmenter, à ranger notre domaine et à l'étendre.

D'abord, en mettant de l'ordre dans nos connaissances acquises, elles soulagent la mémoire et contribuent éminemment à ce que E. Mach considérait comme le but même de la science, savoir l'économie de la pensée. Il est effrayant de songer à la tension continue à laquelle nous serions condamnés pour avoir présent à la mémoire l'ensemble de toutes les lois particulières établies par la recherche scientifique, et dont la liste s'allonge tous les jours, si nous n'étions habitués à les rattacher à quelques principes très généraux qui nous permettent de les retrouver rapidement, au besoin. H. Poincaré compare la science à une bibliothèque qui doit s'accroître sans » cesse ; le bibliothécaire ne dispose pour ses achats que >> de crédits insuffisants; il doit s'efforcer de ne pas les gaspiller. C'est la physique expérimentale qui est chargée des achats; elle seule peut donc enrichir >> la bibliothèque. Quant à la physique mathématique, >>> elle aura pour mission de dresser le catalogue. Si » ce catalogue est bien fait, la bibliothèque ne sera >> pas plus riche. Mais il pourra aider le lecteur à se ser» vir de ses richesses. Et même, en montrant au biblio>thécaire les lacunes de ses collections, il lui permettra

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