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L'ENSEIGNEMENT AU JAPON

Les événements qui se déroulent en Extrême-Orient achèvent de mettre en pleine lumière l'importance des transformations accomplies dans l'Empire du SoleilLevant. Le Japon est, à l'heure actuelle, un sujet d'étonnement pour toute l'Europe, étonnement bien naturel, d'ailleurs, car on se trouve en présence d'un phénomène extraordinaire et c'est en vain qu'on chercherait un précédent, ou même quelque chose d'approchant, dans les annales de l'histoire universelle. Le phénomène est encore plus surprenant pour le sociologue que pour l'économiste et le diplomate, tant il semble contredire les lois les plus élémentaires de l'évolution des peuples. Nous voyons, en effet, un peuple abandonner brutalement, d'un seul coup, des coutumes quatorze fois séculaires, le régime féodal le plus intense, pour leur substituer la plus raffinée des civilisations, et remplacer un régime de despotisme théocratique par une monarchie constitutionnelle.

Des écrivains éminents ont cherché à établir à maintes reprises les causes de cette transformation foudroyante. Nous-même, nous avons tenté de mettre en lumière les changements réalisés dans le domaine. politique (1). Mais il nous semble qu'on a donné dans tous ces travaux, si complets sous bien des rapports, une trop petite place à l'instrument primordial de cette rénovation. La plupart des auteurs qui ont écrit sur le

(1) Th. Gollier, Essai sur les Institutions politiques du Japon (Bibliothèque de l'École des sciences politiques et sociales de l'Université de Louvain). Bruxelles, Goemare, 1904.

Japon n'ont fait qu'effleurer, comme en passant, la question de l'enseignement public. Or c'est là, selon nous, que réside, en grande partie, l'explication du phénomène.

On admet qu'au point de vue militaire le Japon peut aspirer à se voir classer parmi les grandes puissances; on admire le développement rapide qu'ont pris chez lui le commerce et l'industrie; mais on apprécie moins les progrès réalisés dans l'enseignement. On sait que son trafic s'élève à plus de deux milliards de francs, mais on ignore qu'il compte près de vingt-neuf mille écoles, avec un personnel enseignant de quatre-vingtdix mille membres et une population de quatre millions cent quatre-vingt mille élèves.

Les Japonais ont très bien compris qu'à une certaine constitution mentale, chez un peuple, correspond naturellement une certaine civilisation. Veut-on modifier, améliorer cette civilisation, la tâche ne sera possible qu'à la condition de modifier, d'améliorer cette constitution mentale. On a dit que c'est l'instituteur allemand qui a gagné la bataille de Sadowa et vaincu en 1870. L'instituteur japonais a fait plus il a fait sa patrie telle qu'elle est aujourd'hui ; il a été l'agent modeste, mais tout-puissant, des innombrables progrès réalisés par le Japon dans le domaine économique comme dans le domaine intellectuel.

Nous nous proposons, dans les pages qui vont suivre, d'étudier l'organisation de l'enseignement au Japon. Outre les renseignements que nous avons puisés sur les lieux mêmes, les documents nécessaires à cette étude nous ont été fournis par un savant professeur de la faculté de philosophie de l'Université de Tokio, dont la modestie nous empêche de citer le nom, mais que nous nous faisons un devoir de remercier (1).

(1) On lira avec intérêt, sur le même sujet : L'évolution de l'éducation au Japon, par le Cte Vay de Vaya, dans la REVUE DES DEUX MONDES, 1 juin 1909. The educational System of Japan, par M. W. Sharp, Bombay, THE GOVERN

I

Avant la révolution de 1868, l'enseignement au Japon était donné dans les écoles que les daimios avaient fondées, de leurs propres deniers, pour leurs

enfants et ceux de leurs vassaux. Outre ces hangakko (1), ou écoles des clans, il y avait, près des couvents bouddhistes, des écoles libres, ou terakoya, fréquentées exclusivement par les enfants du peuple. Cependant, en règle générale, l'enseignement était chose réservée aux nobles. On considérait l'instruction comme l'apanage des hautes classes; les auteurs du Rescrit organique de 1872 ont reconnu ce fait :

Depuis nombre d'années, écrivent-ils, les écoles existent; l'ignorance a néanmoins persisté chez le peuple, qui ne se rend pas compte de l'importance et de la nécessité de s'instruire, et est faussement convaincu que l'instruction est l'apanage des classes élevées. Jusqu'ici bien peu de laboureurs, d'artisans, de marchands, envoient leurs fils à l'école, et encore moins leurs filles. »

L'enseignement donné dans les han-gakko et les terakoya était très rudimentaire. On apprenait aux enfants des daïmios, comme à ceux des artisans, la lecture, l'écriture, quelques notions de morale; c'était tout. « Le ténaraï, c'est-à-dire la lecture et l'écriture

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MENT CENTRAL PRESS, 1906. Aperçu général de l'éducation au Japon par la Société impériale d'éducation, Tokio, 1905. L'OEuvre pédagogique des Marianistes français au Japon, par l'abbé Lebon, dans le BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ FRANCO-JAPONAISE DE PARIS, no XI, 1908. Thirty-Second annual report of the Minister of state for education, Tokyo, 1906. Voir également le chapitre consacré à l'éducation dans les deux ouvrages de MM. Dumolard, Le Japon, pp. 192-220, Paris, Colin, 1904, et Weulersee, Le Japon d'aujourd'hui, pp. 186-227, Paris, Colin, 1905.

(1) Nous avons adopté, pour tous les mots japonais, l'orthographe suivie par les Japonais dans les livres qu'ils publient en langue étrangère. L'u se prononce ou; le g, gue; le j, dji; le ch, tch. Tous les noms japonais restent invariables au pluriel.

des caractères idéographiques, était la base d'où l'instruction s'élevait à l'art de la narration; l'instituteur faisait apprendre quelques textes de morale et un peu de géographie japonaise; il enseignait les éléments du chinois classique et du calcul. De temps en temps, on développait les règles de la morale et de la civilité (1). »

Les bonzes furent pendant des siècles les éducateurs exclusifs du peuple japonais. Leurs leçons étaient gratuites; leur unique rémunération consistait dans les offrandes volontaires des élèves, particulièrement à la nouvelle année et à la fête du Bon (bon-matsuri du 15 jour du 7 mois). Grâce à ce régime, l'influence bouddhiste pénétra toute la société. Les ouvrages de philosophie bouddhiste furent classiques pendant plus de dix siècles. Deux d'entre eux surtout, le Jitsugo-kyo (enseignement des paroles de la vérité) et le Doji-kyo, servirent de livres de lecture et de traités de morale du vir au XVIe siècle. S'ils disparaissaient aujourd'hui, on pourrait en rétablir le texte presque entièrement, parce que toutes les sentences qu'ils renferment sont passées à l'état de proverbes. Leur contenu constituait la base de l'enseignement, son fond indestructible et intangible (2). A titre de curiosité, voici quelques passages de ces deux traités :

<< Les richesses sont des joyaux temporaires qui s'évanouissent à la mort; mais la sagesse est un trésor éternel qui nous accompagne au delà de la vie.

» Que vos pères et mères soient pour vous comme le ciel et la terre; vos professeurs et seigneur, comme le soleil et la lune; les parents, comme des roseaux ; les époux, comme des tuiles. Done envers vos parents, piété filiale; envers vos maîtres et le seigneur, obéissance et fidélité... Ne vous querellez pas avec vos amis;

(1) Notice sur l'organisation actuelle de l'Instruction publique au Japon (publiée pour l'exposition de 1900), p. 22.

(2) MÉLANGES JAPONAIS, no 15, juillet 1907, pp. 364-379. Tokyo, Sansaisha.

respectez et honorez, vos aînés, soyez affables envers les plus jeunes. Respectez toutes les personnes âgées, comme vos propres parents; aimez les jeunes comme vos enfants ou vos frères. Si nous respectons les autres, ils en agiront de même envers nous, et si nous honorons leurs parents, ils honoreront les nôtres. Si vous désirez vous élever dans le monde, laissez d'abord les autres jouir de leur part. Quand vous voyez le bien, hâtez-vous vers lui; fuyez quand vous voyez le mal. Le bonheur suit une bonne action aussi sûrement que l'écho suit le son; et, de même que chaque corps emporte son ombre, l'homme vicieux est maudit et voué au malheur. La bouche est la porte du malheur ; la langue est la racine de l'infortune. Si la bouche était faite comme le nez, l'homme n'aurait aucune affliction de toute sa vie.

» Quand une parole irréfléchie a été une fois lancée, un attelage de quatre chevaux peut se mettre à sa poursuite il ne la ramènera pas. Un défaut dans une perle blanche peut être enlevé; le mal produit par une parole mauvaise ne se répare pas. Le malheur et la prospérité n'ont pas de porte; ils ne sont que là où l'homme les invite lui-même. Pour les maux que nous envoie le Ciel, il y a une délivrance; on ne peut échapper aux maux que nous causons nous-mêmes.

» Dans une maison où il y a abondance de vertus, il y a aussi surabondance de joies; tandis que là où le vice est aimé, il y a sûrement de nombreux malheurs. Si un homme est bon en secret, il sera récompensé en public; s'il fait le bien dans l'ombre, son nom brillera au grand jour.

» Devant la porte de celui qui est fort et ferme dans sa foi, les nuages de l'adversité ne s'élèvent pas ; pour la maison de celui qui est courageux et fervent dans la prière, la lune de bénédiction augmente sa clarté. »

A l'avènement des Tokugawa, au XVIIe siècle, le

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