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HISTOIRE PARLEMENTAIRE

DE LA

RÉVOLUTION FRANÇAISE.

LIVRE PREMIER.

CONVOCATION DES ÉTATS GÉNÉRAUX.

CHAP. I.- État des esprits. — Résistances aux lettres de convocation. -Troubles de Besançon, de Bretagne, de Provence.

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Aussitôt la publication des ordonnances pour la convocation des états généraux, une seule pensée saisit tous les esprits. Toutes les espérances comme toutes les craintes étaient assignées à un jour fatal. Les intérêts, quelle que fût leur nature, reçurent une direction fixe, soit pour attaquer, soit pour se défendre; ils furent mis en présence. D'un côté étaient les positions acquises, les priviléges du clergé, de la noblesse, des corporations, les franchises des provinces et des villes; et de l'autre, le droit social, la tendance commune.

Dans cette situation, le droit commun devait l'emporter, nonseulement parce qu'il était celui du plus grand nombre, mais encore parce que chaque privilége, tout passionné qu'il était pour sa propre conservation, était hostile à tous les autres, soit qu'il en reconnût l'injustice, soit qu'il voulût s'accroître de leur ruine. Ainsi, tous les éléments de résistance au mouvement qui còmmençait étaient en guerre les uns contre les autres et par suite frappés d'impuissance; tandis que toutes les tendances à la progression ne formaient qu'un corps et qu'une seule pensée.

La royauté elle-même n'était qu'un intérêt privé, au milieu des mille autres intérêts qui partageaient la société. Le monarque était seul, sans autre appui que le droit diplomatique, c'est-à-dire son droit personnel de représenter le grand fief de la France dans le système européen, n'ayant de pouvoir que celui qui lui était assuré par une longue obéissance, par son trésor, son armée, ses

gens en un mot. On a vu que depuis longtemps déjà la royauté était isolée et formait un intérêt à part: il y avait des siècles qu'elle s'était séparée de la noblesse et du clergé, et depuis le règne de Louis XIV, elle ne représentait plus rien des intérêts du peuple. Aussi, depuis bien des années, elle n'acquérait des hommes, même des soldats, qu'à prix d'argent; elle avait des serviteurs, et non des amis. Lorsqu'elle en appela aux états généraux, personne ne se trompa sur son but. Au milieu des formules courtisanesques dont sont remplis les actes du temps, on voit percer cette pensée, qu'en convoquant l'assemblée de la nation, le roi ne cherchait qu'un moyen d'affermir son autorité, c'est-à-dire de remplir son trésor, de grossir son armée et le nombre de ses gens. Chacun donc dut compter seulement sur ses propres efforts; et en effet chacun s'occupa uniquement de défendre sa cause personnelle, le clergé, la noblesse, les corporations, aussi bien que le peuple. Tout le monde d'ailleurs se sentait faible, tant on avait nettement la conscience qu'il n'y avait pas un droit ou un privilége qui ne dût rester seul contre tous et ne fût une proie offerte à l'avidité de la multitude des intéressés.

Mais dans cette anarchie d'égoïsmes, où était la place pour les sentiments généreux? celle où l'on s'oubliait soi-même afin de défendre les autres, afin de travailler à l'intérêt commun? elle n'avait point d'institution pour la représenter. Aussi tous les nobles cœurs, à défaut d'un présent à défendre, travaillèrent pour une espérance à venir, pour réaliser une théorie. De là une tendance commune qui vint concentrer en un seul effort tout ce que la France renfermait d'intelligences ou de convictions honnêtes et pures; elles étaient nombreuses, pleines d'ardeur: presque toute la jeunesse leur était dévouée. Pour ces hommes, il ne s'agissait de rien moins que d'effacer le passé, de faire table rase, afin d'avoir place pour construire une nouvelle société. Ils furent donc unis tant que dura l'œuvre de destruction; ils ne se séparèrent que lorsque vint celle de réorganisation. Les différences se dessinèrent aussitôt que l'époque de réaliser commença. Les diversités de doctrines engendrèrent les factions qui plus tard partagèrent les assemblées et la nation.

Quand même ce parti patriote eût été le moins nombreux, il fût encore resté le plus fort, uniquement parce qu'il était le seul qui ne fît pas une œuvre personnelle. En effet, dès son premier jour, il devait être offensif, et il le fut; il avait, contre chaque privilége qu'il attaquait, l'assentiment de tous les privilégiés qui n'appartenaient pas à la classe qu'il poursuivait. Contre la noblesse, il

était aidé du roi, du clergé et de la magistrature; contre le clergé, de la noblesse, de la magistrature et du roi, etc. Enfin, derrière lui était le peuple qui, fût-ce seulement par pur égoïsme, ne pouvait qu'être dévoué au succès d'une guerre dont les fruits semblaient devoir être recueillis par lui seul.

De même qu'il n'y avait qu'un rôle pour les hommes de cœur, il n'y avait aussi qu'une place pour la sympathie, pour ce sentiment de charité et de pitié que les hommes de la révolution appelaient sensibilité. Or, la sympathie ne pouvait s'adresser ni à la royauté, ni au clergé, ni à la noblesse.

L'ancien prestige attaché au pouvoir royal avait été détruit par Louis XV et changé en un préjugé contraire. Louis XVI recueillit ce triste héritage, et comme on ne put l'accuser, on chargea sa famille il fut seul épargné, mais non pas laissé exempt de ridicule. Il importe peu aujourd'hui de savoir à quel point ces accusations étaient fondées; il est certain qu'on y croyait généralement. Maints écrits, distribués sous le manteau, avaient accusé d'impuissance le roi et Monsieur (Louis XVIII); les vices du comte d'Artois et des princes avaient été divulgués et exagérés ; les enfants de la reine étaient, disait-on, adultérins (1).

Les hommes de cour ont plus tard argué ces bruits de faux; mais alors c'étaient eux-mêmes qui les colportaient. On sait d'ailleurs quelles étaient les mœurs des gentilshommes de la cour de Versailles les illustrations et les gentillesses du dix-huitième siècle sont connues; l'histoire de cette époque est restée la meilleure école de débauche et de dépravation, après celle des Césars romains. Or alors ces hommes et ces femmes vivaient encore; on les entendait, ministres et duchesses, versifier des ordures, chanter des couplets qu'oseraient à peine aujourd'hui répéter les bouches les plus impures. Toute cette ignominie, conquise par les courtisans, était attribuée à la noblesse tout entière; il suffisait presque qu'un homme portât un habit de cour pour qu'il fût suspect de mauvaises mœurs. Aussi le rang, et, par une conséquence naturelle, la qua

(1) Essais historiques sur la vie de Marie-Antoinette d'Autriche, reine de France. Londres, 1789. Antoinette d'Autriche, ou Dialogue entre Catherine de Médicis et Frédégonde. Journal du Palais-Royal. Confessions générales des princes du sang royal, auteurs de la cabale aristocratique. Confession générale de S. A. S. M. le comte d'Artois, roi de Botany-Bay. Boudoir de madame de Polignac. - Confession de madame de P***. - Maladie de madame P***. Vie de L.-P.-D., duc d'Orléans, traduit de l'anglais, Londres, 1789, etc. - Il y a au moins une centaine de brochures de ce genre, et dans le nombre il en est dont nous n'oserions répéter les titres.

lité de noble n'était plus une recommandation; on estimait l'homme d'après ses actions, et non plus d'après ses titres.

Le clergé était partagé en deux classes: l'une riche, honorée, puissante, composée presque uniquement de fils de grandes familles; l'autre pauvre, laborieuse, et qu'on appelait, à cause de cela, le bas clergé. L'Église avait donc une noblesse et un peuple. On reprochait au haut clergé ses richesses; on lui opposait la pauvreté des apôtres; on lui demandait compte de ses devoirs; on rendait enfin le corps entier solidaire des mauvaises mœurs de quelques-uns de ses membres. En effet, à quoi servaient tant de prélats oisifs, et cette bande d'abbés coureurs de boudoirs, faiseurs de petits vers et de sales contes? Un scandale tout nouveau venait d'ailleurs de compromettre le clergé : nous voulons parler de cette affaire du collier, dans laquelle on avait vu un cardinal de Rohan traité en prisonnier d'État, amené et acquitté en cour du parlement pour avoir voulu, croyait-on, acheter la possession de la reine de France par le don d'une parure de seize cent mille francs.

Le peuple seul offrait des occasions de sympathie, car il avait la probité du travail; il souffrait dans le plus grand nombre de ses membres. Depuis longtemps d'ailleurs c'était lui qui tenait surtout la plume, qui écrivait pour les romans, pour le théâtre, pour la philosophie; et depuis longtemps il plaidait ainsi sa cause. Aussi nul ne pouvait l'accuser, et toutes les âmes qui n'étaient point pourries d'égoïsme inclinaient vers lui.

Le tableau que nous venons de présenter montre qu'il y avait partout au fond des cœurs désir de grands biens, ou crainte de beaucoup perdre. De là une disposition à sacrifier tout ce qui n'était pas soi, une volonté d'atteindre son but à tout prix ; de là une méfiance universelle, qui fut l'occasion de ces terreurs subites et sans objet apparent, qui firent le caractère des premiers temps de la révolution; enfin une activité, un empressement à agir inconcevables.

Tout était donné et fatal dans ces conditions vivantes du mouvement révolutionnaire; la fatalité des choses vint encore en aider le développement. L'année 1788 avait été affligée d'une sécheresse extraordinaire qui avait tari les fontaines et les puits et avait perdu les récoltes la disette était menaçante; le crédit était nul. En effet, toujours, lorsque le gouvernement vient déclarer un déficit, le commerce du pays est frappé de mort. Les capitaux se resserrent; les manufactures et les échanges languissent. C'est ce qui arriva en France. La caisse d'escompte offrait au commerce une garantie aussi douteuse que la fortune du gou

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