Sayfadaki görseller
PDF
ePub

chercher un élément de justification, il eût fallu le justifier luimême. N'est-il pas, en effet, surabondamment prouvé que ce droit est impropre à fonder une société ? N'a-t-on pas répété, maintes fois, qu'au point de vue de nature, chacun est parqué dans son intérêt privé, et que de là il peut repousser avec justice tout devoir social? Aussi, ce n'est pas en vertu du principe de l'intérêt que la révolution elle-même, dont nous voulons faire l'histoire, a conservé sa puissante unité, imposé ses terribles sacrifices et exigé les grands dévouements qui l'ont sauvée. Mais, c'est au nom du droit naturel que tous ceux qui ne furent pas royalistes, les girondins entre autres, lui ont résisté.

Dans toutes ces raisons, il n'y a rien qui constitue une réponse universelle, rien qui puisse avoir valeur d'un commandement irrécusable pour les rois comme pour les nations. Il nous faut aujourd'hui une raison qui réponde à tous, hommes et peuples, quelle que soit leur position sociale; car, dans notre révolution, il y a autre chose que des ruines, il y a un commencement de construction. S'il ne s'agissait que d'un fait achevé, fini, eût-il été encore mille fois plus calomnié, si nous en cherchions la raison seulement pour l'honneur de l'humanité, pour l'honneur de notre pays, on nous pardonnerait quelque négligence; mais il s'agit d'un passé qui se continue et qui produira notre avenir. Nous avons donc besoin, pour engager la discussion, d'un terrain que chacun acceptera, pourvu qu'il soit fils d'Européen; et c'est dans ce but que nous choisissons le sol chrétien lui-même. L'événement révolutionnaire, dès qu'il est placé sur ce terrain, est justifiable aux yeux de tous, peuples, rois et prêtres; il change d'aspect; car on est obligé de voir dans les sentiments qui le produisirent, dans ces mots de liberté, d'égalité, de fraternité et d'unité, des principes depuis longtemps enseignés, depuis longtemps poursuivis et qui approchent de la réalisation.

Qu'on ne dise pas que le peuple se livra au mouvement révolutionnaire pour conquérir quelques biens matériels; car on pourrait prouver que quelque part en Europe, il y a des serfs et des populations esclaves mille fois plus heureuses que nos ouvriers et nos paysans libres de France: au moins ceux-là ne souffrent-ils jamais ni du froid, ni de la faim; au moins ceux-là n'ont jamais senti le mal qui ronge nos salariés, le mal d'un travail sans sécu

rité et d'une existence incertaine de son avenir. Non, les Français, en se livrant à l'enthousiasme révolutionnaire, ne regardèrent que comme un but inférieur, et encore comme une conquête dont jouiraient seulement leurs petits-enfants, l'acquisition de ce mieuxêtre physique : ils se dévouèrent à des principes; ils se sacrifièrent, afin de faire un centre aux grandes idées d'égalité et de fraternité, promises aux jouissances des générations futures. Est-il un seul homme, assez haut ou assez bas placé dans le monde, pour oser insulter à tous ces martyrs morts dans l'œuvre d'une si belle tâche !

Lorsqu'on se place sur le vrai terrain des causes de la révolution, sur celui que nous avons choisi, on voit comment une si haute volonté est venue; on voit qu'il a fallu quatorze siècles d'une activité toujours la même, pour faire cette fière nation, qui, d'elleinême et sans chef, s'est mise un jour à penser et à agir comme un seul homme. Alors l'idée révolutionnaire a une histoire qui est celle du monde et où nous apprenons, en même temps, pourquoi chaque peuple est à la place qu'il occupe et pourquoi notre nation est la première entre les nations modernes. Alors on lit que l'idée révolutionnaire a un droit antérieur à tous les droits qui s'élèvent et luttent contre elle: car toutes les dynasties existantes aujourd'hui, toutes, sont sorties d'un service rendu à la religion dont elle est la fille; toutes ont été sacrées à ce titre. Quelle passion, quelle colère, quel préjugé, ne restera confondu et muet à ce spectacle !

Ainsi, c'est pour donner au fait révolutionnaire sa véritable valeur et toute son autorité, que nous avons passé sur les inconvénients d'avancer, dans le commencement d'un ouvrage qui est rédigé dans l'espérance d'une grande publicité, une idée qui est rigoureusement vraie sans doute, mais, qui, par sa nouveauté, pourra repousser quelques esprits, et nuire au succès de notre publication. Elle nous était d'ailleurs indispensable comme introduction à l'esquisse de l'histoire des Français qui va suivre. Il n'est plus permis aujourd'hui à personne, et à nous moins qu'à d'autres, de dépouiller les faits de leur but.

BUCHEZ.

DES FRANÇAIS

INTRODUCTION A L'HISTOIRE PARLEMENTAIRE DE LA RÉVOLUTION

FRANÇAISE.

LIVRE PREMIER.

HISTOIRE DE L'ÉTABLISSEMENT DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE.

CHAPITRE PREMIER.

Idée générale de la nationalité française.

Toutes les fois qu'un nom national nouveau vient à paraître dans l'histoire, il est certain que c'est une fonction nouvelle qui commence. Dans la grande société des peuples, chacun est, à son tour et à sa place, ouvrier de l'œuvre de perfectionnement qui s'accomplit au profit de tous; chacun poursuit, dans la succession des temps, une part de ce travail de la civilisation, dont le bénéfice est toujours pour les enfants.

:

Dans l'humanité, ce sont les idées qui créent et gouvernent les faits aussi peut-on suivre également bien l'histoire des hommes, soit en étudiant la succession des idées, soit en observant la succession des faits. Or, chaque nation est une idée qui s'est faite chair; et de même que les idées succèdent aux idées, de même les nations succèdent aux nations; et de même encore que les idées tendent à un résultat unique, de même toutes les nations travaillent à conquérir un but unique. L'œuvre est commune, les fonctions seules diffèrent.

Parce que jamais ouvrier jusqu'à ce jour n'a manqué à la tâche, parce que l'œuvre progressive s'est poursuivie sans interruption, qu'on ne pense pas cependant que les hommes ne soient pas maîtres d'accepter ou de refuser une part d'efforts. Non. Les nations ont la liberté du choix. Elles jouissent de la faculté du libre arbitre aussi bien que les individus. L'histoire nous montre, en effet, qu'à ces époques de crise, qui appellent une fonction et par suite une nationalité nouvelle, il y a beaucoup d'appelés et peu qui veuillent être élus. Aussi, voyez-vous alors paraître une multitude de noms de peuples différents. Parmi tous ces noms, un seul reste et vient se faire une histoire; les autres ou s'éteignent à jamais, ou descendent au titre de quelque province obscure. Ce n'est pas parce que cette multitude est dévorée par un plus fort; loin de là, car c'est, au contraire, bien souvent, le plus obscur et le plus faible qui surnage à tous les autres. Mais aussi, c'est qu'il s'agit de choisir entre le dévouement et l'égoïsme. L'œuvre progressive est une œuvre difficile et rude qui exige de longs et obstinés sacrifices. Or, qui veut vivre seulement pour soi, n'y prendra jamais part.

L'histoire de la nationalité française est la vérification complète de tous les principes précédents. La France vint tenir la place de l'empire romain d'Occident qui était infidèle à sa fonction. Seule, au milieu de plusieurs nations, elle comprit et saisit l'œuvre à faire, l'œuvre de civilisation; elle se dévoua au catholicisme; et il se trouva même un moment où elle fut la seule nation catholique. Pendant cinq siècles, le nom de Francs fut celui d'une armée qui servit de bras au christianisme. Dans les Gaules, en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, on ne connut pas sous un autre nom que celui de Français, ces hommes courageux qui luttèrent partout contre cette barbarie nomade qui allait au pillage comme à une chasse, contre ces doctrines ariennes, impies, qui menaçaient le progrès de mort, contre le mahométisme, leur enfant; qui partout travaillèrent à construire une unité européenne par le seul moyen qui puisse l'établir et la faire durer parmi les hommes, par l'unité des doctrines. Que sont devenus aujourd'hui ces Goths, ces Alains, ces Suèves, ces Vandales, ces Huns, ces Hérules, ces Lombards, ces Bourguignons, etc., si nombreux et si terribles? Leurs noms ont disparu, ou ne sont plus que des noms de province.

L'existence d'une nationalité, comme celle d'un individu, se compose de deux vies: l'une tout extérieure, toute de relation, qui manifeste une fonction parmi les peuples; l'autre intérieure,

organique, par laquelle elle se met en état d'accomplir sa tâche internationale; et c'est aussi ce qu'il faut remarquer dans l'histoire des Français. Car, tout le passé peut être compris sous deux mots : la France et l'Église. Les Français firent, dans le christianisme, l'œuvre temporelle tout entière, comme l'Église fit l'œuvre spirituelle.

L'organisation intérieure de la France correspondait exactement aux exigences de la fonction extérieure. Pendant les cinq siècles consacrés à l'œuvre purement militaire, l'organisation nationale fut celle d'une armée toujours sur le pied de guerre. La hiérarchie sociale fut celle d'une armée. Le travail industriel, qui nourrissait ce grand corps, fut isolé. Il eut ses lois et son système à part, bien que maintenu dans une position subordonnée. Quant aux individus, ils purent, pendant longtemps, se placer presque à leur volonté, dans l'une ou l'autre de ces deux grandes divisions. Le courage saisit la première, la faiblesse prit la seconde. Aussi,' dans les premiers siècles de notre monarchie, voit-on des hommes libres devenir bourgeois, ouvriers et colons, et un grand nombre de ceux-ci devenir hommes libres. Dans ces temps, la liberté n'était point comprise comme aujourd'hui : elle ne signifiait pas indépendance des individus, car tout le monde alors était lié à une fonction; tout le monde travaillait, et l'on appelait hommes libres ceux seulement qui ne payaient d'autre impôt que celui de leur sang et de leurs bras; et le mot Franc, qui signifie, en langue germanique et celtique, liberté et courage, servit à désigner dans toute l'Europe les chrétiens hommes de guerre. Plus tard, les enfants héritèrent des fruits de l'option de leurs pères.

Au onzième siècle, la France modifia son organisation intérieure. Elle commença simultanément deux nouvelles œuvres temporelles, sans cesser cependant de prendre une part et d'être encore en tête dans les grands dévouements catholiques. Elle commença l'œuvre scientifique, et, en même temps, l'œuvre d'homogénéisation de toutes les classes de citoyens entre elles. Elle fut donc, dans la direction des sciences, le premier pays d'université, et dans la direction d'égalisation, elle fut le premier pays où il n'y eut plus de serfs, ni de nobles. Elle opéra cette dernière révolution par l'unité monarchique et par l'unité de capitale. En sorte que, lorsque la France eut achevé l'évolution, qui se termina en 89, il se trouva qu'elle avait fait de Paris sa commune, la capitale intellectuelle de l'Europe, et qu'elle-même était un corps, ayant une ville pour tête et pour roi. Ainsi, la France, après avoir été pendant cinq siècles le monarque militaire de l'Europe, se trouva plus tard son monarque intellectuel.

« ÖncekiDevam »