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d'autres hommes, que ceux-ci n'ont pu y mettre que des éléments puisés dans un certain milieu, et que par conséquent ces éléments et leurs combinaisons doivent être de la même nature que ce milieu lui-même. Les organismes vẻgétaux et animaux sont des machines naturelles. Que savons-nous du grand réservoir des possibles où puise leur constructeur? Ne faut-il pas dès lors, pour suppléer à notre ignorance, une connaissance beaucoup plus approfondie des organes et du jeu de ces machines vivantes?

Je reconnais la force de cet argument, mais il ne faudrait pas l'exagérer. Les corps vivants ne sont pas les seules machines naturelles que nous connaissons; il en est d'autres pour lesquelles nous pouvons résoudre notre problème sans une connaissance bien détaillée de leurs phénomènes spéciaux. Ainsi l'on n'a pas attendu les derniers progrès de la mécanique céleste, pour débarrasser le système solaire des substances intelligentes, chargées autrefois de pousser et de conduire les planètes dans l'espace. Autre exemple. La terre, considérée dans son ensemble, avec ses continents, ses bassins et ses chaînes de montagnes, avec ses volcans, ses déserts et son atmosphère, avec ses fleuves et ses mers, est une véritable machine naturelle. Elle a des veines et des artères, avec une circulation incessante d'eaux, de vapeurs et de glaces, qui ici désagrége d'anciens organes, là en construit de nouveaux. Elle est soumise aux influences d'un milieu cosmique où l'on peut dire qu'elle se nourrit de chaleur et de lumière, et sur lequel elle réagit à son tour. Il faut probablement en dire autant de tous les autres corps célestes. Et pourtant, si la réponse a pu jadis être douteuse, si certains philosophes de l'antiquité ont vu dans les corps célestes, les uns des pierres, d'autres des animaux, il est bien certain qu'on n'a pas non plus attendu les derniers progrès de la géologie pour être parfaitement fixé sur la question. Depuis longtemps, on ne demande qu'aux forces minérales l'explication de ces phénomènes quasi-vitaux, on n'y suppose plus

d'autres agents que les substances atomiques. De même, disons-nous, il ne doit pas être impossible d'arriver à une solution satisfaisante de notre problème, sans attendre les perfectionnements futurs de la physiologie, sans exposer

même l'état actuel de cette science.

De plus, comme nous n'avons pas à faire l'historique de la question, nous pouvons nous dispenser de définir tout un vocabulaire de mots abstraits, depuis longtemps créés par les philosophes qui l'ont étudiée. Tels sont, par exemple, pour désigner les solutions plus ou moins différentes proposées jusqu'ici, les noms de mécanisme, dynamisme physico-chimique, organicisme, histologisme, vitalisme, animisme et d'autres encore. Nous préférons renoncer à l'emploi de ces termes, et nous le pouvons sans nous priver d'aucun avantage. Les chapitres précédents ont fixé le sens de mots scientifiques qui nous suffiront amplement. Ces mots, je prie le lecteur de se le rappeler, n'ont jamais ėtė employés que dans le sens rigoureux de leurs définitions. Force, travail, force vive, énergie, et tout le vocabulaire de la mécanique ont partout et toujours représenté les mêmes idées, idées assez nettes d'ailleurs pour se traduire facilement en nombres. Le mot corps est peut-être le seul de ces termes caractéristiques qui ait, suivant les circonstances, reçu deux acceptions différentes, représentant parfois l'ensemble des phénomènes qui se passent dans un lieu donné, parfois l'ensemble des agents, causes substantielles de ces phénomènes. Aussi je ne crois pas qu'on soit exposé à se méprendre sur la portée exacte des propositions établies jusqu'ici. Que la philosophie veuille bien me le pardonner, je doute réellement qu'on puisse apporter la même netteté dans les questions que nous traitons, en puisant exclusivement ou trop largement dans son dictionnaire.

Pour répondre à la première de nos deux questions, commençons par montrer clairement, dans toute une catégorie de phénomènes vitaux, une note caractéristique que

n'admet pas l'action purement atomique. Cette note, c'est le volontaire qui, sans les soustraire complètement aux lois de la dynamique, fait cependant qu'ils n'en sont pas une conséquence rigoureuse, et qu'ils ne peuvent être prévus par elle. On sait assez que, pour les actes humains, c'est là une thèse de sens commun et que, par suite, ceux qui la nient peuvent à chaque instant être surpris en flagrant délit de contradiction avec eux-mêmes; car ils l'admettent sans cesse dans la pratique de leur vie quotidienne, bien qu'ils la rejettent ordinairement quand ils sont à l'état dogmatique. L'histoire d'ailleurs nous apprend que les matérialistes ne se sont résignés à la rejeter que malgré eux, lorsque le progrès des sciences les eut forcés à reconnaître le nécessaire dans les phénomènes purement atomiques. Le lecteur n'a pas oublié les beaux vers de Lucrèce, cités plus haut vers le milieu du chapitre II :

Libera per terras unde hæc animantibus exstat,
Unde est hæc, inquam, fatis avolsa voluntas,

Per quam progredimur, quo ducit quemque voluptas? etc. (1)

Il n'a pas oublié l'éloquence avec laquelle le poète matėrialiste en appelle au volontaire pour établir la déclinaison des atomes imaginée par Épicure. Mais qu'importe ici l'histoire? Nous avons promis des arguments pour faire voir que le sens commun a raison contre des adversaires qui ne raisonnent guère.

Il est bien aisé d'exposer ces arguments, si l'on se rappelle ce que nous avons dit au chapitre IV, lorsqu'il s'agissait de former le concept des causes substantielles. Chacun de nous a de lui-même une connaissance directe, parfaitement distincte et même indépendante de la connaissance qu'il a aussi de ses propres actions; nous en avons la preuve dans la certitude absolue avec laquelle nous reconnaissons notre simple individualité à travers la multiplicité de nos

(1) De rerum natura, L. II, v. 256.

actes, notre identité à travers leur succession. Cette connaissance directe est précisément ce qui nous permet d'acquérir une connaissance indirecte des autres agents; car nous n'avons aucun sens qui nous mette en rapport immẻdiat avec leur substance; nous ne connaissons directement que leurs actions, mais, grâce à l'analogie, nous voyons derrière elles les substances capables de les produire. Ainsi, des actions directement connues nous concluons l'activité, et l'existence d'un support substantiel de cette activité. Mais, pour nous-mêmes, on peut dire que nous nous voyons face à face au fond de notre conscience, que nous y voyons l'activité même qui nous constitue. Aussi nous connaissons, nous sentons par le sens intime, non seulement ce que nous faisons, c'est-à-dire nos actions, mais encore ce que nous pouvons faire, c'est-à-dire notre puissance active, notre activité. Aussi, en posant un acte, nous savons que c'est un acte libre, parce que nous nous sentons capables de ne pas le poser et même de faire le contraire. Cette conviction de sens intime s'impose à nous si bien qu'il nous est presque toujours impossible de la rejeter, et elle nous revient opiniâtrẻment malgré toutes les négations. De toutes les vérités de fait il n'en est pas pour nous de plus évidente et de plus impérieuse. Tant pis pour le matérialisme, qui est obligé de la contredire. Je ne prétends pas que le matérialiste qui déclare ne pas la voir manque de sincérité, mais je suis sûr qu'il est au moins aussi sincère quand, bientôt après, dans l'usage de la vie, dans ses rapports avec ceux qui lui plaisent et surtout avec ceux qui lui déplaisent, il s'en montre parfaitement convaincu. Eh bien, puisque cette liberté que nous voyons si bien, se trouve dans un grand nombre de nos actions matérielles, dans nos mouvements musculaires par exemple, il s'ensuit qu'il y a des phénomènes matériels qui, suivant notre bon plaisir, peuvent être ou ne pas être, et qui par conséquent ne sont pas un effet nécessaire de l'état antérieur des atomes dans l'univers et des lois de la dynamique.

Mais notre thèse va plus loin, et le sens intime prouve quelque chose de plus. Sans être un effet nécessaire de l'état antérieur du monde, mon acte volontaire pourrait encore, par le renversement de la relation, être rigoureusement lié avec lui. On connaît le système de l'harmonie préétablie, imaginé par Leibnitz pour expliquer l'influence de l'âme sur le corps. Dans ce système l'acte volontaire de l'homme ne serait pas le phénomène matériel, il serait tout intérieur, tout spirituel. Dieu aurait disposé l'état initial du monde de façon qu'à chaque moment, sans lien immédiat, le résultat matériel voulu coïncidât de lui-même avec la volition.

Il n'y aurait donc qu'une relation éloignée de causalité entre nos actes intérieurs et les actes matériels qui semblent en résulter, absolument comme entre la prière et le bienfait qu'elle obtient. Toute la série des phénomènes où interviennent les substances atomiques n'aurait d'autre cause immédiate que ces substances inintelligentes; elle serait rigoureusement déterminée, dans tous ses détails, par les lois de la dynamique. On voit par là, pour le dire en passant, combien le système de l'harmonie préétablie diffère du plan providentiel exposé au chapitre précédent. Leibnitz, nous semble-t-il, ne l'aurait pas imaginé s'il n'avait commencé par croire, bien à tort selon nous, qu'il n'y a pas moyen d'expliquer autrement l'influence de l'âme sur le corps. Quoi qu'il en soit, et malgré la grande autorité de son auteur, nous ne craignons pas d'affirmer que cette hypothèse est formellement contredite par le sens intime. Celui-ci nous révèle en effet que le libre arbitre, la liberté interne de notre volonté, est une partie essentielle de notre nature, que par conséquent celui-là seul peut l'anéantir qui peut nous anéantir nous-mêmes. Aucune puissance finie ne peut donc nous le ravir, aucune ne peut nous faire vouloir malgré nous. Et cependant, dans le système de l'harmonie préétablie, non seulement l'intelligence imaginée par Laplace et rappelée par M. du Bois-Reymond, mais proba

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