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Cette journée fut troublée par quelques petits incidents, qui prouvèrent au premier Consul que les idées révolutionnaires n'étaient pas encore tout à fait éteintes. Il avait entendu murmurer autour de lui le mot de capucinades; plusieurs personnages marquants s'étaient abstenus de paraître à Notre-Dame; Augereau et Lannes, qui faisaient partie du cortége, descendirent de leur voiture et se retirèrent à moitié chemin. Aussi, Bonaparte s'expliqua-t-il le lendemain, avec quelques intimes, sur ses véritables sentiments. Lorsque les autorités vinrent le complimenter, le tribun Ganilh lui ayant dit qu'il ne voyait dans tout cela d'autre inconvénient que l'augmentation du pouvoir temporel du prince de l'église, Bonaparte lui répondit à haute voix : << Pensez-vous que par la convention du 26 messidor, je me sois mis dans la dépendance du pape? j'ai agi à son égard comme avec les royalistes, qui, lorsque je suis arrivé au pouvoir, étaient partout les maîtres. C'étaient les Vendéens, les Chouans qui gouvernaient la France. Eh bien, je leur ai fait croire que je voulais ce qu'ils voulaient eux-mêmes, et leurs chefs sont venus à Paris; un mois après ils étaient tous arrêtés!... Voilà comment on gouverne!» ajouta-t-il avec un geste dédaigneux.

La grande mesure conciliatrice du Concordat fut suivie de la publication d'une nouvelle amnistie, en faveur de l'émigration. Le territoire de la république ne fut plus interdit qu'aux royalistes qui, individuellement avec un grade et d'une façon particulière, avaient coopéré aux troubles de la Vendée, aux campagnes de la coalition, aux complots contre le gouvernement, ou qui avaient conservé des places dans la maison des ci-devant princes français.

Le moment était favorable pour arracher à la France de nouvelles concessions et de nouveaux sacrifices politiques. Que pouvait-elle refuser au héros pacificateur? Bonaparte lui aurait demandé l'empire, qu'elle le lui eût accordé d'une seule voix.

Les peuples, comme les individus, ont dans leur existence de ces instants de fatal abandon, où le premier venu est accueilli avec des faveurs insignes refusées, dans d'autres circonstances, aux plus vives et aux plus légitimes sympathies. Le génie du premier Consul avait habilement accumulé ses services sur une de ces époques de faiblesse. Il n'avait plus qu'à formuler ses désirs, et à charger un des complaisants pouvoirs de l'Etat de les signaler à l'enthousiasme et aux suffrages populaires. Le Tribunat fut choisi pour donner le signal.

Trois orateurs du gouvernement présentèrent le 16 floréal (6 mai), aux deux chambres, les articles ratifiés du traité d'Amiens. Le citoyen Chabot, de l'Allier, présidait le Tribunat. Après la lecture du traité, il monte à la tribune, et il demande qu'il soit donné au général Bonaparte un gage éclatant de la reconnaissance nationale, lequel gage sera porté par des messages, au Sénat, au Corps Législatif et au gouvernement. Le lendemain, la députation des tribuns est admise chez le premier Consul. Le député Siméon prend la parole; il présente à Bonaparte un brillant tableau de la situation intérieure de la république; il termine son discours par ces paroles significatives: « Elles méritent bien << de la patrie, ces armées qui l'ont sauvée, défendue, agrandie; <«< mais celui qui les conduisit tant de fois à la victoire, n'a-t-il « pas plus de droit encore à la reconnaissance nationale? Ces «< droits sont écrits partout. Je les lis sur les drapeaux de ces «< braves soldats, si fiers de la gloire de leur général; ils sont << gravés sur le sommet des Alpes, comme dans les plaines d'I«talie. La victoire ne les a pas seule tracés; d'autres monu«ments les attestent. Qui a pacifié la Vendée, fait cesser les der<< nières proscriptions, rendu la paix aux consciences, la liberté «< aux cultes; aux familles, des membres chéris et malheureux? « Je me hâte je crains de paraître louer, quand il s'agit seu«<lement d'être juste et de marquer, en peu de mots, un senti«ment profond, que l'ingratitude seule aurait pu étouffer. »

:

« Je n'ambitionne, répond Bonaparte, d'autre récompense que l'affection de mes concitoyens; heureux s'ils sont bien convaincus que les maux qu'ils pourraient éprouver, seront toujours pour moi les maux les plus sensibles, que la vie ne m'est chère que par les services que je puis rendre à la patrie, que la mort même n'aura point d'amertume pour moi, si mes derniers regards peuvent voir le bonheur de la république aussi assuré que sa gloire.»>

Un message du Tribunat avait instruit le Corps Législatif de sa délibération du 16, au sujet du gage éclatant de reconnaissance à accorder à Bonaparte. Un député proposa alors à ses collègues d'émettre le même vou, mais cette motion fut froidement accueillie, et le Corps Législatif se borna à nommer une députation pour aller féliciter le premier Consul. Les espérances que le dictateur avait fondées sur les deux chambres s'évanouissaient donc; un vœu stérile ne lui suffisait pas pour s'asseoir sur le trône qu'il rêvait. Il avait cru un instant qu'aux premiers mots de la proposition du député Chabot, tous les représentants sc lèveraient comme un seul, pour le placer sur le pavois national; au lieu de cela, tout s'était borné à une froide députation et à un plat discours, qui lui apprenait ce qu'il savait déjà de reste : que la république lui devait sa situation à peu près florissante.

Les familiers du premier Consul l'engagèrent à faire par le Sénat ce qu'il n'avait pu obtenir par les chambres; à tout prendre, la nation était aussi bien représentée par celui-là que par celles-ci, et on avait toujours sous la main, pour déguiser l'usurpation, le moyen si commode et si facile de la sanction populaire par les cahiers d'adhésion, déjà employé en l'an VIII.

Le Sénat fut réuni, en conséquence, le 18, au nombre de membres prescrit par l'article 90 de la constitution. Un comité spécial fut nommé pour lui présenter ses vues sur la récompense à accorder à Bonaparte. Après une courte délibération, il prit la résolution suivante, sur le rapport de son comité, la motivant en ces termes :

<< Le Sénat conservateur considérant que, dans les circonstances où se trouve la république, il est de son devoir d'employer tous les moyens que la constitution a mis en son pouvoir, pour donner au gouvernement la stabilité qui seule multiplie les ressources, inspire la confiance au dehors, rassure les alliés, décourage les ennemis secrets, écarte les fléaux de la guerre, permet de jouir des fruits de la paix, et laisse à la sagesse le temps d'exécuter tout ce qu'elle peut concevoir pour le bonheur d'un peuple libre;

<< Considérant, de plus, que ce magistrat suprême qui, après avoir conduit tant de fois les légions républicaines à la victoire, délivré l'Italie, triomphé en Europe, en Afrique, en Asie, et rempli le monde de sa renommée, a préservé la France des horreurs de l'anarchie qui la menaçait, brisé la faux révolutionnaire, dissipé les factions, éteint les discordes civiles et les troubles religieux, ajouté aux bienfaits de la liberté ceux de l'ordre et de la sécurité, hâté le progrès des lumières, consolé l'humanité, et pacifié le continent et les mers, a le plus grand droit à la reconnaissance de ses concitoyens, ainsi qu'à l'admiration de la postérité;

<< Que le vœu du Tribunat, parvenu au Sénat dans la même séance, peut, dans cette circonstance, être considéré comme celui de la nation française, que le Sénat ne peut pas exprimer plus solennellement au premier Consul la reconnaissance de la nation, qu'en lui donnant une preuve éclatante de la confiance qu'il a inspirée au peuple français;

<< Considérant enfin, que le second et le troisième Consuls ont dignement secondé les glorieux travaux du premier Consul de la république;

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D'après tous ces motifs, et les suffrages ayant été recueillis au scrutin secret, le sénat décrète ce qui suit :

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« ART. PREMIER. Le Sénat conservateur, au nom du peuple français, témoigne sa reconnaissance aux Consuls de la république.

<< II. Le Sénat conservateur réélit le citoyen Napoléon Bonaparte

« premier Consul de la république française, pour les dix an«nées qui suivront immédiatement les dix ans pour lesquels il «< a été nommé par l'article XXXIX de la constitution.

« III. Le présent sénatus-consulte sera transmis par un mes« sage au Corps Législatif, au Tribunat et aux Consuls de la « république.

« Signé, TRONCHET, président. »

Ce vote du Sénat ne satisfit pas encore Bonaparte. Il ne désirait pas une prolongation du mandat national, encore limité quelque étendue qu'il reçût, mais bien une aliénation complète, définitive et sans restriction, de tous les droits reconquis par le peuple en 1789 et en 1792, au profit d'une dynastie dont il se ferait le chef glorieux. Il ne voulut pas accepter le nouveau pouvoir décennal qu'on lui offrait. Le Concordat, la paix d'Amiens, la réconciliation des partis, les deux plaies de la Vendée et de l'émigration fermées par ses mains, valaient mieux que cela. Jamais peut-être un concours de circonstances et d'événements aussi heureux ne se présenterait pour seconder et réaliser les projets de sa vaste ambition. Il lui fallait le consulat à vie; le Sénat avait eu la maladresse de ne pas le lui offrir: il se le décerna lui-même, par l'intermédiaire de ses deux collègues, instruments actifs de sa volonté, que lui avait donnés la constitution. Il imagina de renvoyer le vœu du Sénat conservateur à la sanction du peuple, et de faire substituer, sous la responsabilité de Cambacérès et de Lebrun, à cette question : Le consulat de Bonaparte sera-t-il prolongé de dix années? celle-ci : Bonaparte sera-t-il consul à vie?

Voici comment se joua cette comédie. Le premier Consul avait adressé la réponse suivante aux sénateurs qui lui apportèrent le décret du 18:

« Le suffrage du peuple m'a investi de la suprême magistrature. Je ne me croirais pas assuré de sa confiance, si l'acte

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