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peuple, la pompe et l'appareil qui l'entourent en font une espèce de colosse qui remplit tout: mais à sa mort il reprend sa grandeur naturelle, ensuite il disparait à mesure qu'il se recule et qu'il s'enfonce dans les siècles. Il ne reste alors que ces traits définitifs que la renommée saisit quand il y en a; quand il n'y en a point, il ne reste plus rien; et que deviennent alors les panégyriques? Quand la statue est brisée, à quoi sert l'inscription? Philosophe, orateur, qui que tu sois, veux - tu vivre? traite des sujets qui à deux mille lieues de toi et dans deux mille ans intéressent encore. N'écris pas pour un homme, mais pour les hommes. Attache ta réputation aux intérêts éternels du genre humain. Alors la postérité reconnaissante démêlera tes écrits dans les bibliothèques. Alors ton buste sera honoré et peut-être baigné de larmes, chez des peuples qui ne t'auront jamais vu; et ton génie toujours utile, selon l'expression d'un de nos poëtes, sera contemporain de tous les âges et citoyen de tous les lieux. »

L'auteur veut-il expliquer pourquoi, seule de tous les arts de l'esprit, l'éloquence ne fleurit point chez les Arabes conquérans ; il n'est pas embarrassé de le découvrir, et il l'exprime par un de ces traits éclatans et concis qui se détachent du discours et font, pour ainsi dire, explo sion dans le style. «Chez les Arabes, dit-il, on fut fanatique et conquérant pendant trois siècles: pendant les autres, on cultiva les arts; mais ce peuple ingénieux et brave eut des médecins, des astronomes, des géomètres, des chimistes, des poëtes même; tout, excepté des orateurs. Sous un despotisme religieux et militaire, on croit, on agit, on commande, on ne persuade pas.

Parvenu à l'histoire des éloges en France, après avoir annoncé qu'il examinera les hommes à qui ces éloges sont adressés, et qu'il comparera les vertus dont le panégyriste parle, avec les vices plus réels dont parle l'histoire, il ajoute avec ce mépris énergique qui sied à un caractère élevé : « Peut-être à force de reprocher aux hommes leur bassesse, parviendra-t-on à les faire rougir: mais quand

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on ne pourrait l'espérer, il est doux du moins de venger la vérité, que la flatterie est toujours prête à immoler a l'intérêt. L'indignation même que l'on éprouve est utile II Elle affermit dans l'heureuse habitude d'être libre et dans le besoin d'être vrai. »

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Il ne fait pas plus grace aux petitesses de l'autorité arbitraire qu'aux excès de la tyrannie. En parlant du recueil des éloges des hommes illustres de Charles Perrault, il n'oublie pas qu'on en avait fait exclure Arnauld et Pascal. « Leurs ennemis, dit-il, auraient voulu apparemment anéantir ces deux noms, et défendre même à la postérité de s'en souvenir; mais ces efforts ne servirent qu'à prouver l'impuissance de la haine. Le public n'aime ni les tyrans d'aulorité, ni les tyrans d'opinion. On loua un peu plus ceux qu'il était défendu de louer ; et on leur appliqua, comme on sait, ce fameux passage de Tacite Prafulgebant Cassius atque Brutus eo ipso quod effigies eorum non visebantur. Il fallut à la fin rétablir leurs éloges. On reconnut qu'il était plus aisé d'obtenir un ordre que de détruire deux réputations; et malgré une cabale, Arnauld et Pascal restèrent de grands hoinines. »

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- Quelquefois il s'élève à des matières plus générales, et en même tems plus délicates. En examinant les résultats de ce fameux siècle de Louis XIV, il n'oublie p ́s un objet auquel la plupart des gouvernemens ne songent. guères, le bonheur des peuples. Il ose dire ce qu'il faudrait pour ce bonheur, dont on ne s'occupait pas davantage au moment où il écrivait, sans avoir ni les mêmes dédommagemens ni les mêmes excuses. « Il faut pour le bonheur d'un peuple, que l'industrie soit exercée et ne soit pas fatiguée; il faut qu'il soit encouragé au travail par le travail même que chaque année ajoute à l'aisance de l'année précédente; qu'il soit permis d'espérer quand il n'est pas encore permis de jouir; que le laboureur, en guidant sa charrue, puisse voir au bout de ses sillons la douce image du repos et de la félicité de ses enfans ; que chaque portion qu'il cède à l'Etat,

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lui fasse naître l'idée de l'utilité publique ; que chaque portion qu'il garde lui assure l'idée de son propre bonheur; que les trésors, par des canaux faciles, retournent à celui qui les donne; que les dépenses et les victoires, tout, jusqu'au sang versé, porte intérêt à la nation qui paie et qui combat ; et que la justice même, en pesant les fardeaux et les devoirs des peuples, n'use pas de ses droits avec rigueur, et se laisse souvent attendrir par l'humanité, qui n'est elle-même qu'une justice. »>

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Quelquefois sa plume, consacrée à louer les grands talens et les grandes vertus, ne craint pas de déclarer pourquoi de son tems on s'abaissait moins à louer la puissance; et pour ôter à cet égard tout espoir de retour, il en applique la cause à une révolution générale faite dans les esprits, mais qui n'était, on le voit bien, dans aucun, aussi totale et aussi indestructible que dans le sien. Depuis un demi-siècle, dit-il, il s'est fait parmi nous une espèce de révolution. On apprécie mieux la gloire ; ou juge mieux les hommes; ou distingue les talens des succès: on sépare ce qui est utile de ce qui est éclatant et dangereux; on ne pardonne pas le génie sans la vertu; on respecte quelquefois la vertu sans la grandeur : on perce enfin à travers les dignités pour aller jusqu'à l'homme. Ainsi, peu à peu il s'est formé dans les esprits un caractère d'élévation ou plutôt de justice. Les ames nobles, en se comparant aux ames viles de tous les états, se sont mises à leur place. De-là, on prostitue moins l'éloge. Ceux même qui pourraient être corrompus et laches, sont arrêtés par l'opinion; et la peur de la honte les sauve au moins de la bassesse, etc. »

Mais dans son éloquente péroraison, il quitte enfin tous ces ménagemens. Il met à nu l'indépendance et la fierté de son ame il soulève pour ainsi dire l'art oratoire contre les abus qu'on en a fait et terinine un traité sur les éloges par une exhortation contre la louange. Il veut qu'après les quatre siècles des arts, monumens du génie, mais qui sont aussi trop souvent des monumens de bas

sesse, il en naisse un cinquième, qui soit celui de la vérité. « O écrivains ! qu'elle ait un asyle dans vos ouvrages. Que chacun de vous fasse le serment de ne jamais flatter, de ne jamais tromper. Avant de louer un homme, interrogez sa vie. Avant de louer la puissance, interrogez votre cœur. Si vous espérez, si vous craignez, vous serez vils. Êtes-vous destinés par vos talens à la renommée ? Songez que chaque ligne que vous écrivez ne s'effacera plus. Montrez-la donc d'avance à la postérité qui vous fira; et tremblez qu'après avoir lu, elle ne détourne son regard avec mépris.

» Non, le génie n'est pas fait pour trafiquer du mensonge avec la fortune. Il a dans son cœur je ne sais quoi qui s'indigne d'une faiblesse ; et sa grandenr ne peut s'avilir sans remords.... Que chacune de ses paroles soit sacrée. Que son silence même inspire le respect et ressemble quelquefois à la justice. Un conquérant qui aimait la gloire, mais plus avide de renommée que juste, s'étonnait de ce qu'un homme vertueux et que tout le peuple respectait ne parlait jamais de lui. Il le manda. Pourquoi, dit-il, les hommes les plus sages de mon Empire se taisent-ils sur mes conquêtes? Prince, dit le vieillard, les sages des siècles suivans le diront à ta postérité; et il se

retira. »

Ces citations suffisent pour donner une juste idée de cet Essai, trop peu lu, trop peu cité, l'un des ouvrages sans contredit les plus marquans du 18e siècle, et qui ne pouvait étre bien apprécié que dans le 19. L'Eloge de MarcAurèle, sous le même point de vue, n'est pas moins digne d'admiration, peut-être même l'e-il encore plus. L'ane indépendante et républicaine de Thomas s'y moutre à chaque page, à chaque mouvement, à chaque phrase. Il semble s'y moins apercevoir de ce qui l'entoure et de l'ordre de choses où il est placé.

Sous un monarque entouré d'une cour frivole et corrompe, il fait prononcer publiquement l'éloge d'un empereur philosophe par un vieillard, son maître en philoso

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phie et son ami; et fait sortir de cette bouche stoïque, dans la louange du passé, la censure évidente et hardie du présent.

Devant une noblesse ivre de blason et de titres héréditaires, car le systême monstrueux de l'hérédité qui était un des vices du trône, infectait aussi les titres, les dignités et même les emplois publics, il fait dire au sévère Apollonius: « Gardons - nous, Romains, d'outrager la vertu, jusqu'à croire qu'elle ait besoin de la naissance. Votre famille des Césars vous a donné quatre tyrans de suite, et Vespasien qui le premier releva votre Empire, était le petit-fils d'un Centurion. »>

Les princes, chefs de cette noblesse orgueilleuse, étaient élevés dans l'ignorance des égards, dûs au savoir et à la sagesse lors même qu'ils avaient besoin d'un savant ou d'un sage, ils croyaient avoir beaucoup fait en lui permettant de les approcher et en l'appelant auprès d'eux; voici ce que leur adresse Apollonius, l'un des maîtres qui avaient dirigé l'éducation de Marc-Aurèle: « Appelé à Rome du fond de la Grèce et chargé de l'instruire, on m'ordonna de me rendre au palais. S'il n'eût été qu'un simple citoyen, je me serais rendu chez lui: mais je crus que la première leçon que je devais à un prince était celle de la dépendance et de l'égalité : j'attendis qu'il vint chez moi. »

Dans un tems où les philosophes, qui s'étaient fait une considération publique par la force et l'élévation de leur doctrine, par la dignité de leur conduite, l'ensemble et la continuité de leurs efforts, n'étaient que tolérés par la cour; où souvent même plusieurs d'entre eux avaient éprouvé des persécutions violentes; où enfin leur véritable place n'était point encore faite dans l'opinion d'un peuple changeant et léger, Thomas, comme s'il eût été frappé à la fois, et du sort présent de la philosophie et de celui qu'elle devait éprouver vingt ans après, en expiation du bien qu'elle aurait voulu faire aux hommes, osait leur dire par l'organe d'Apollonius: « A ce mot de Philo

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