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VIII

DANTON ET L'AVOCAT LAVAUX

La vue de Danton, emporté sur la charrette à l'échafaud avec ses amis, ne laissa personne indifférent et ce fut un spectacle grandiose qui émut quiconque avait un cœur et une âme, un spectacle dont tous ces curieux, royalistes ou républicains, groupés sur la place de la Révolution ou échelonnés dans la rue Saint-Honoré, gardèrent jusqu'au tombeau l'impression tragique. Au coin du café de la Régence, le peintre David attendait le passage de l'effrayant convoi, un crayon à la main et une feuille de papier sur son genou. Il voulait, en bon robespierriste, faire la caricature du tribun vaincu, et insulter à l'agonie des dantonistes. Quand la charrette s'approcha, il put voir, sur le banc de devant, à côté de Delacroix, inerte et affaissé, Danton droit et ferme, la tête rejetée en arrière, les yeux plus hauts que la foule. regardant dans sa pensée. Parfois, il souriait en se tournant vers Camille Desmoulins et vers Fabre d'Eglantine. Pour les badauds, pour un Des Essarts, c'était là de la fierté, de la gaîté héroïque. Mais David perça ce masque et il

lut, sous cette contenance, un si effroyable poème intime de douleur, d'angoisse, d'infinie désespérance, qu'il renonça, quoi qu'en dise Courtois, à son projet de caricature et d'insulte, oublia son robespierrisme pour redevenir artiste, pour tracer ce croquis éloquent, analogue aux esquisses les plus troublantes du Vinci, et où la seule médiocrité de ce triste Courtois pouvait voir une bouffonnerie féroce. C'est que David, l'homme à la joue bouffie et au regard faux, déclamateur sentimental et poltron, se sentait vrai en face du beau, et alors il n'était plus que poète. Or, Danton mourant lui parut beau. Aussitôt son génie s'éveilla, son rôle tomba, il sut voir la passion de cet homme avec d'autres yeux que ceux de la foule stupidement ahurie ou puérilement émue qui se pressait sur le passage du cortège.

I

Mais si l'attitude de Danton sur la charrette désarma David et éveilla en lui une sorte de sympathie, au moins une émotion d'artiste qui voit une belle chose, il y eut des âmes froides et étroites qui restèrent fermées et aveuglément haineuses en face de tant de grandeur et de misère. Voici un homme à qui Danton n'avait fait nul mal, mais qui, par manière de facétie bourgeoise, lui avait souvent prédit que ces opinions républicaines et son dévouement à la patrie le mèneraient à la potence; cet

homme eut la pensée de se placer au premier rang de ceux qui regardaient le passage du vaincu et de prendre l'attitude la plus propre à éveiller son attention, afin qu'en le voyant la victime se rappelât cette prédiction bête et en reçut une amertume nouvelle. Mais Danton était distrait ce jour-là il ne vit pas l'homme, dont la malice fut perdue. Celui-ci, vingt ans plus tard, avoua le fait dans un factum anonyme, qu'il réédita ensuite sous son vrai nom. Il s'appelait Lavaux et avait été collègue de Danton, avocat comme lui aux Conseils du roi.

J'ai été curieux de savoir qui était ce Lavaux, << féroce pour Danton» et dont les historiens ne parlent pas, quoique son factum renferme des traits curieux pour l'histoire. Ce n'était pas un homme né cruel, ni même dur. Bon enfant, facile, aimé de tous, il traversa toutes les circonstances sans recevoir une égratignure, et mérita en 1815, la bienveillance de Madame Royale, comme il avait mérité, en 1794, celle de Fouquier-Tinville. Une seule chose l'irritait, le rendait haineux, lui faisait voir rouge; c'était le spectacle du génie, du sacrifice héroïque. Voilà pourquoi il voulut insulter l'agonie de ce collègue qui avait déserté la carrière pour culbuter le trône.

Il n'est pas facile, faute de documents, de reconstituer la biographie de Lavaux. Je ne sais ce qu'il devint après la suppression des offices d'avocat aux Conseils du roi. A l'en croire, il aurait quitté Paris au milieu des massacres de septembre. Ce qu'il y a

de sûr c'est que Lavaux était royaliste. Quand vint le procès Louis XVI, il eut un accès de courage et écrivit au président de la Convention pour offrir à Malesherbes son assistance dans la défense de l'accusé. Le souvenir de cette honorable audace l'effraya ensuite : il ne se crut en sûreté que dans l'antre même du lion, comme Charles de la Bussière, et il devint défenseur au Tribunal révolutionnaire. Fouquier-Tinville le prit en amitié, et il traversa la Terreur sans encombre. Sous le Directoire, il exerça les fonctions de juré au tribunal criminel de la Seine. Sous l'empire, il occupa des postes importants dans la magistrature et se livra à diverses publications juridiques.

On le voit: malgré son dévouement pour Louis XVI, il avait beaucoup de choses à se faire pardonner, quand vint la Restauration. C'est dans ce dessein qu'il écrivit les Campagnes d'un avocat ou anecdotes pour servir à l'histoire de la Révolution (Paris, Panckouke, 1815, in-8 de 56 pages). Il y affecte, au début, un enthousiasme de bon royaliste gobeur, et commence ces courts et piquants souvenirs par le récit du dîner de Louis XVI et de Marie-Antoinette, le 12 juillet 1789, à Versailles. Lavaux était, avec sa famille, dans l'heureux public admis à contempler le gros appétit du monarque. <<< Tous les traits de Louis XVI, dit-il, exprimaient le calme et la sérénité d'une âme noble et pure. A côté de lui, son auguste compagne brillait d'un air majestueux, tempéré par les grâces. » Sur la ter

rasse, après dîner, il eut le bonheur de voir Madame Royale, et il remarqua « avec une vive émotion, sa tendre jeunesse, son badinage enfantin et pourtant réservé, la douce expression de ses regards, ses cheveux blonds tombant en boucles naturelles et ombrageant une figure angélique. M. le Dauphin jouait auprès de la princesse, sa sœur. A peine sorti du berceau, il était tel que les peintres représentent l'Amour. »

II

Ce madrigal fut mis sous les yeux de Madame Royale, qui voulut bien regretter que tant d'esprit fût anonyme. Lavaux fit aussitôt une seconde édition de ses Campagnes, qu'il signa de son nom afin d'obtempérer, dit-il, à son auguste désir, il n'osa pourtant pas faire une dédicace à Madame elle-même. On ne devinerait jamais à qui il dédia son opuscule... I le dédia à MM. les préfets de France avec l'expression de son respect dévot pour leur royalisme administratif. Le citoyen Lavaux avait beaucoup d'esprit.

Ses souvenirs sont importants par des anecdotes sur Danton et confirment pleinement tout ce qu'a écrit le docteur Robinet sur l'excellente tenue et sur la décence de mœurs du tribun avant 1789. Le témoignage d'un royaliste n'est pas suspect, n'est-ce pas? quand il est favorable à Danton. Eh bien, Lavaux ne peut s'empêcher d'avouer « qu'il avait

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