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Les savants semblent se partager ainsi entre deux écoles, de manières de voir opposées d'un côté, les tenants des anciennes traditions, de l'autre, ceux que j'aurais appelés les modernistes, si le mot n'était déjà occupé dans une acception malsonnante; que je qualifierai de modernisants, parce que leur mentalité correspond aux tendances supercritiques positivistes et pardessus tout sceptiques de notre époque. On les désigne aussi par le nom de pragmatistes, qu'on met en face de celui de dogmatistes (1); mais nous n'attachons pas grande importance à ces dénominations, essentiellement discutables. Ce qui ne l'est pas, c'est l'antagonisme des idées des deux groupements. Nous aurons à nous prononcer entre eux, avant d'aborder, comme nous comptons le faire plus tard, l'examen des hypothèses qui ont régné tour à tour en Électricité. Il serait peu sérieux, en effet, de prétendre caractériser les traits de ressemblance que ces images présentent avec la réalité, si l'on n'établissait d'abord qu'elles peuvent en offrir une. Nous entrerons donc en matière par des considérations générales sur l'origine et le développement des hypothèses et des théories de la physique et la valeur qu'on doit leur attribuer.

Qu'est-ce que la science peut connaître et comment peut-elle le connaitre ?

Pour répondre à cette question, il faut étudier les procédés et la manière d'arriver au vrai de la science. Rendons-nous compte d'abord de ce qui constitue essentiellement la méthode scientifique.

Suivant un ordre logique plus que chronologique,

(1) Au mot pragmatique on lit dans Littré: « Néologisme emprunté aux Allemands..., qui tire des faits étudiés en eux-mêmes leur esprit, leur ordre et leur liaison nécessaire ». Le mot pragmatiste ne se trouve pas dans le Dictionnaire, non plus que dans le grand dictionnaire Larousse.

nous marquerons trois étapes du savoir, trois degrés dans la connaissance du monde extérieur.

par

Au premier degré, les phénomènes sont observés au jour le jour, au petit bonheur, comme ils se présentent; la curiosité humaine progressivement éveillée note plus ou moins judicieusement, par le gros et le détail, surtout par le détail, les circonstances de leur production. La découverte du fait naturel est suivie d'une expérimentation faisant naître dans des conditions provoquées, offrant un caractère souvent artificiel, une répétition de ces circonstances. Cuvier a dit que l'observateur écoute la nature, alors que l'expérimentateur l'interroge; il a même ajouté que ce dernier la force à parler. Est-il déjà un savant? C'est du moins un érudit. Il accumule un amas de faits, compilation désordonnée et confuse de documents qu'il se préoccupe médiocrement de débrouiller, de crainte de s'y perdre. Le temps se chargera de décider de leur valeur pour le moment, on veut tenir compte de tout, plus soucieux de ne rien laisser échapper que de consigner uniquement sur ses tablettes des faits indiscutables. Joignant l'exemple au précepte, le chancelier Bacon étudie donc les dilatations produites par la chaleur; Galilée, qui a suivi du regard les oscillations de la lampe du dôme de Pise, étudie le mouvement du pendule; déconcerté par la rapidité de la chute des graves, il les fait rouler le long d'un plan incliné ; Messieurs de l'Académie de Florence repèrent des températures sur leur thermoscope; Salomon de Caus s'intéresse à la tension des vapeurs saturées, Gilbert aux aimants et à l'arc-en-ciel, J. B. Porta aux images réelles qui vont se peindre au fond de la chambre noire, etc. On collectionne donc avec ardeur des observations variées et l'on marque d'une croix celles qui paraissent mériter d'être retenues; en rangeant leurs acquisitions, ces infatigables « prospecteurs » commen

cent alors à y mettre un peu d'ordre. D'instinct, leur recherche s'oriente vers un but déterminé vaguement entrevu; un premier travail de pensée accompagne celui de leurs mains; toutefois c'est encore le règne de l'empirisme.

Mais voici que les savants correspondent entre eux, se font part de leurs trouvailles, les discutent et les soumettent à un examen sévère, j'allais dire à un criblage, qui leur permet de les trier et de séparer l'ivraie du bon grain. Par induction (1), ils rattachent entre elles les constatations faites à l'aide de méthodes diverses; ils y découvrent des rapports de dépendance et un mode d'action permanent des forces naturelles. L'ordre, la succession dans les phénomènes leur suggère des formules simples, résumant, dans leur généralité, un grand nombre de cas individuels; ce sont des lois, dont ils ébauchent les énoncés. Prenons un exemple. Les PP. Mersenne et Noël, Ricci, Descartes, Pascal échangent leurs vues sur l'expérience de Torricelli Pascal émet l'idée que la pesanteur de l'air pouvait bien être cause des effets que l'on avait jusqu'alors attribués à « l'horreur de la nature pour le vide ». L'idée de l'air pesant se répand, l'idée du vide se précise. Otto de Guericke en appelle à l'expérience pour mettre fin à des controverses qui menaçaient de rester stériles et il invente la machine à faire le vide; puis il déduit de l'expérience de Boyle, de la vessie aplatie qui se gonfle dans l'air rarefié, que l'air est un fluide élastique, éminemment expansible et compressible; Mariotte et Boyle annoncent alors simul

(1) L'induction, dit M. Lachelier, est le « raisonnement par lequel nous érigeons en lois universelles des rapports de causalité dùment constatés » ; elle diffère de la déduction, qui tire des faits certaines vérités qui y étaient implicitement contenues.

tanément que « l'air se condense précisément selon la proportion des poids dont il est chargé » ; qu'à la condition que la température reste invariable dans l'opération, le volume d'une masse donnée est toujours d'autant moindre que la pression qu'il subit est plus considérable. La science, née de l'expérience et fondée sur elle, se développe ainsi progressivement; elle continue d'approvisionner des recettes et des préceptes, en s'efforçant de remonter à l'origine commune des actions constatées; elle reste simplement expérimentale, mais est déjà au-dessus du vulgaire empirisme, autant que la loi est au-dessus du fait isolé.

Les lois se corrigent peu à peu : il y a de multiples variétés d'air l'air vital, inflammable, irrespirable, phlogistiqué et déphlogistiqué, etc.; ce sont des gaz différents, auxquels la loi de Mariotte ne s'applique pas également bien.

Les lois se multiplient et toutes les branches de la science se développent tour à tour, la dioptrique et la catoptrique, le magnétisme comme l'électricité, à laquelle Boyle semble avoir donné son nom (1).

Cette ascension continue du fait isolé aux lois expérimentales (purement expérimentales), spéciales à chaque espèce de phénomènes, et aux applications pratiques que l'on pouvait en faire, s'était accompagnée d'un progrès non moins décisif pour l'avancement de la science. Les énoncés des lois, qui n'avaient d'abord été que qualitatifs, étaient devenus quantitatifs, ainsi que nous venons de le voir; la question du combien s'était donc ajoutée à celle du comment. Ce fut un grand pas, et lord Kelvin l'a caractérisé plus tard par ces mots : « Si vous pouvez mesurer ce dont vous parlez et l'exprimer par un nombre, vous savez quelque chose de votre sujet ; mais si vous ne pouvez pas le

(1) Boyle, De mechanica electricitatis productione ; Genève, 1694.

mesurer, si vous ne pouvez pas l'exprimer par un nombre, vos connaissances sont d'une pauvre espèce et bien peu satisfaisantes » (1).

Voyons comment ce résultat si désirable avait été obtenu.

Les lois s'appliquent à des objets que l'expérience nous fait connaître et dont elle nous permet de spécifier les propriétés caractéristiques. Le physicien prend séparément, les uns après les autres, les divers objets sur lesquels portent les lois qu'il a formulées qualitativement; il en crée des entités spéciales, sans s'occuper autrement de ce qu'ils sont; mais, à chacun d'eux, il fait correspondre une grandeur dont la notion représente à son esprit les propriétés les plus immédiates relevées par ses observations. Il lui a fallu procéder à une étude complète des phénomènes pour établir ces notions et les discerner nettement les unes des autres, sans confusion, ni répétition; il a eu besoin d'une méthode sûre et éclairée pour les définir. Ces concepts algébriques ou géométriques (grandeurs scalaires ou vectorielles) (2) se prêtent à des comparaisons, puis à des mesures; ils sont par conséquent exprimables par des nombres, en fonction d'unités choisies d'abord arbitrairement, au gré des tendances et de la fantaisie de chacun, et qui ne seront unifiées en un système rationnel et cohérent que beaucoup plus tard. Mais dès que la grandeur a été mesurée, elle peut être représentée numériquement et entrer dans

(1) J'emprunte cette citation à La Physique moderne, de M. Lucien Poincaré (Paris. Flammarion, 1909), p. 22.

(2) Les premières ne sont que des grandeurs numériques, les secondes des grandeurs dirigées dans l'espace, ayant à la fois une valeur numérique et une orientation. Les densités, les températures, les chaleurs spécifiques, les capacités électriques, le potentiel, l'énergie, appartiennent à la catégorie scalaire; à l'autre, les vitesses et les accélérations, les forces, les intensités des courants, etc. Celles-ci s'additionnent géométriquement : les premières définies par un paramètre, que l'on suppose continùment variable, s'ajoutent algébriquement les unes aux autres.

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