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tribue à prolonger de fâcheuses équivoques. Il y a mille occasions de luttes, parce qu'il y a dans les ames plus d'opiniâtreté que de conviction, et plus d'orgueil que de charité. La piété elle-même n'inspire pas toujours la douceur, et l'indifférence en matière de religion, qui ne fait que trop de progrès, porte la plupart des hommes à railler ou à blesser ceux qui ont le bonheur d'avoir une foi et la force d'y conformer leur conduite. Cet état de choses, en nous montrant combien il est difficile d'établir la vraie tolérance, nous montre aussi combien il est urgent d'y travailler, et combien sont vaines les espérances de ceux qui ne veulent agir que par la loi.

Le progrès, en tout et principalement dans ces matières, résulte des lois et des mœurs, mais principalement et avant tout, des mœurs. Les lois relatives au culte, qui en ce moment régissent la France, sont sages et libérales, si on les juge en tenant compte de l'ensemble et de l'origine de nos institutions. Un culte ne peut exister en France qu'à la condition d'y être reconnu voilà la seule restriction qu'on y impose à la liberté. Elle est fort grave; nous en verrons plus tard toute l'importance; mais les cultes reconnus jouissent chez nous d'une grande somme de liberté et ils sont traités, quant aux prescriptions légales, avec une égalité complète. Dans la pratique, on sent quelquefois l'action dominante du

clergé catholique; cela ne tient ni aux lois, ni aux institutions, mais à ce fait très-considérable que l'immense majorité du pays appartient à cette religion. Du reste, ni entraves à l'exercice du culte, ni restriction au droit de recruter le sacerdoce et de répandre, par la transmission orale et par la presse, l'éducation religieuse. L'égalité de tous les citoyens entre eux, quel que soit leur culte, et leur admissibilité à tous les emplois est absolue. Que la nécessité de l'autorisation préalable pour l'établissement d'un culte soit levée, et il restera bien peu à faire, dans les lois spéciales, pour que nous ayons en France la liberté religieuse complète.

Il est vrai que les lois spéciales ne sont pas tout dans cette matière, et qu'il y a entre les institutions d'un même pays une telle solidarité, que la législation des cultes ne peut être séparée ni de celle des associations, ni de celle de la presse, ni de celle de l'enseignement. On sent bien que, pour mille motifs, je ne veux pas entrer dans les détails; mais, en vérité, je ne crois pas me tromper en disant que la liberté la moins dangereuse, en toute matière, est la liberté complète, et qu'une liberté n'est jamais complète tant qu'elle existe seule dans un pays, car toutes les libertés s'enchaînent l'une à l'autre et sont nécessaires l'une à l'autre. En un mot, les principes de 1789, qui sont le fondement de notre droit public,

ne peuvent pas se scinder, et il faut les accepter ou les repousser tous ensemble.

Sans doute il est juste de dire qu'il faut une règle à la liberté, et que la liberté sans limite change de nom et s'appelle l'anarchie. Mais qu'est-ce qu'un État libre, sinon un État fondé pour faire jouir la société de la plus grande somme de liberté possible ? j'entends de liberté conciliable avec l'ordre. Il s'agit de déterminer, et c'est là la science du politique, quel est précisément le sacrifice que la nécessité de l'ordre exige de la liberté. La règle générale est celle-ci; elle est bien ancienne, et pourtant le vrai progrès serait de la faire pénétrer enfin dans la pratique : « On n'ôtera à chaque liberté que ce qu'il est nécessaire de lui ôter pour que les autres libertés ne soient pas détruites, et à l'exercice de chaque liberté par chaque citoyen que ce qu'il est nécessaire de lui ôter pour protéger dans la même mesure les droits des autres citoyens. Au fond, c'est à la liberté seule qu'il appartient de détruire ou de prévenir les maux de la liberté.

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J'ajoute que toute liberté a besoin des autres libertés pour être praticable et inoffensive; et je prends pour exemple la Belgique, où la liberté de conscience, la liberté de la presse, la liberté d'association et la liberté de la tribune existent ensemble. Dès que l'intolérance y a levé son drapeau, la presse s'est émue, et la discussion a porté les faits à la connaissance de tout le pays. N'est-ce rien? Les vrais

principes ont été rappelés chaque jour, non-seulement dans la presse de l'opposition, mais dans la presse la plus conservatrice. Presque aussitôt la question a été déférée à la Chambre. Jamais discussion n'a été plus solennelle. On peut différer d'avis sur le résultat obtenu ; mais la discussion en elle-même, quand elle est conduite avec cette fermeté, est déjà une force et une force presque invincible, car il n'est personne qui puisse douter désormais de ce qui serait réservé à une nouvelle tentative de l'intolérance. Il a été, à mon sens, très-important d'entendre des catholiques condamner l'intolérance catholique; c'est un signe des temps, c'est une grande promesse d'avenir. Enfin, lorsqu'en Belgique le clergé a pensé que l'enscignement échappait trop à son influence, s'est-il trouvé opprimé? Non; car, en vertu de la liberté d'enseignement, il a pu fonder l'université catholique de Louvain. Le parti libéral de son côté, ou, si l'on veut, le parti rationaliste, au lieu de répondre à cette manifestation par des attaques contre l'enseignement de Louvain, par des entraves apportées au succès de l'université catholique, a fondé à Bruxelles une université libre, dont M. Verhaegen a pu dire « qu'elle est devenue un bienfait pour la Belgique et une nécessité de notre époque1. » Pour moi, je l'avoue, j'ai suivi cette polémique et le jeu de ces

1. Discours d'ouverture de l'Université libre de Bruxelles, 6 octobre 1856.

fortes institutions avec un intérêt passionné, et quand les sociétés littéraires de la Belgique m'ont ouvert leurs libres tribunes, la pensée de me mêler à cette grande lutte m'a été au cœur. Je l'ai fait avec la réserve que ma qualité d'étranger m'imposait, c'est-à-dire en laissant de côté les considérations plus essentiellement politiques, et en me bornant à la théorie, à la philosophie.

Oserai-je dire qu'ici, comme en beaucoup de choses du reste, la philosophie est plus forte que la loi, et que c'est plutôt des mœurs que de la législation et du pouvoir qu'il faut attendre le progrès? Je sais bien

que

la loi influe sur les mœurs; mais tout est fait de ce côté; pas une barrière ne subsiste; l'égalité est non-seulement réglementée, mais pratiquée; aucune administration ni publique ni privée ne s'inquiète de la doctrine d'un homme pour le juger ou pour l'employer il suffit qu'on soit honnête. C'est donc aux esprits qu'il faut s'adresser maintenant pour les éclairer, et aux habitudes de la vie privée, pour les rectifier dans ce qu'elles ont gardé d'agressif et de haineux. En ce sens, toute étude historique, pourvu qu'elle soit sincère, et même toute étude scientifique, profite à la liberté et à la concorde. C'est presque toujours l'ignorance qui nous sépare. On juge les choses et les hommes avec douceur, quand on connaît le secret des passions et la cause des événements. Pour

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