Sayfadaki görseller
PDF
ePub

mêler à l'auditoire; on s'arrachait ses écrits; les femmes mêmes ne rêvaient que de sa gloire. On le prit, on lui jeta sur les épaules un froc de moine, on l'exila tantôt à l'abbaye de Saint-Denis, tantôt sur les âpres rochers de Saint-Gildas. Il s'échappe, et toujours plein de sa pensée, ne trouvant plus d'asile dans les monastères et dans les écoles, il court au désert, y bâtit un oratoire qu'il appelle le Paraclet, c'est-à-dire le consolateur, avec une tente pour s'abriter; et aussitôt sa foule lui revient, ardente, émue, passionnée comme aux anciens jours. On assemble un nouveau concile pour le juger, c'est-à-dire pour le détruire. Il y vient, au milieu d'anciens amis devenus ses juges, entouré de disciples. Là il se déclare enfant soumis de l'Église. « Je crois, dit-il, tout ce que l'Eglise enseigne; je me soumets à l'autorité; je suis orthodoxe. » Et que lui répond l'intolérance? Qu'il ne faut pas discuter ses livres; qu'il suffit de les lire. « J'en appelle, dit Abélard, à l'autorité de Rome. -Doit-il trouver un refuge auprès de Pierre, répond saint Bernard, celui qui renie la foi de Pierre? » Quoi! pas de discussion et pas d'appel? Non, la raison ne sera pas discutée, elle sera domptée. Saint Bernard l'avait écrit à la cour de Rome. « Il importe à l'Église, il importe à cet homme lui-même qu'il lui soit imposé silence. » Il disait, dans son horreur pour l'hérésie, et pour cette introduction de la raison dans la discussion des dogmes qui caractérise la

théologie d'Abélard: « Il faut briser cette bouche avec des bâtons1. »

Je ne puis que rappeler en passant le nom des Albigeois, et les sanglantes tragédies du XIIe siècle. Dix-sept mille hommes, massacrés dans Béziers, annonçaient tristement nos guerres religieuses. L'inquisition n'existait pas alors; mais elle était sur le point de naître, et ce fut pendant cette croisade même que fut fondé l'ordre de Saint-Dominique.

Ce tribunal de l'inquisition, sur lequel l'indignation se concentre, ne fut qu'une forme plus savante d'une ancienne intolérance. Comme il eut des greffiers pour écrire les noms des victimes, et des autoda-fé pour les brûler en cérémonie, il a laissé des souvenirs plus éclatants et plus vivaces que les persécutions antérieures. L'inquisition est encore aujourd'hui la personnification de l'intolérance, avec son double caractère de perfidie et de cruauté. Un inquisiteur, dans les souvenirs et dans les ressentiments de la foule, c'est à la fois un espion et un bourreau.

Espions, bourreaux, auto-da-fé, guerres civiles, voilà les mots qui reviennent sans cesse sur mes lèvres, tandis que je vous raconte à grands traits ce martyrologe de la pensée. Dieu me préserve de vous faire l'histoire de l'inquisition, de vous traîner dans

1. Voy. Abelard, par M. de Résumat, t. I, p. 220 et suiv. C'est pourtant saint Bernard qui a écrit : « Hæretici capiantur non armis, sed argumentis. » (Serm. 64.)

[ocr errors]

ses cachots, de vous étaler ses bûchers et ses instruments de torture! Et Dieu me préserve aussi de faire de cette sinistre histoire un argument contre une doctrine ou contre une Église! Il faut savoir distinguer la doctrine et l'organisation spirituelle, qui persistent depuis tant de siècles, du clergé du moyen âge, poussé peut-être à la cruauté par l'opinion publique, composé d'hommes faillibles comme nous le sommes tous, et dont l'esprit était aveuglé par des intérêts purement mondains et par les maximes de leur temps. Hélas! je suis si loin de penser à exagérer les faits ou à en forcer les conséquences, que toute cette histoire m'opprime, et que je la parcours avec une profonde douleur, comme on traverse un champ de bataille, quand les armées s'en sont retirées n'y laissant plus que des cadavres. Enfin, le moyen âge s'enfuit, ses institutions oppressives s'écroulent; l'art ressuscite; de nobles esprits rendent une nouvelle vie aux lettres; la science progresse dans toutes les directions; Léon X à Rome, François Ier en France, inaugurent le règne des mœurs polies et le siècle de la Renaissance. Est-ce l'heure si longtemps attendue de l'émancipation de la pensée ?

Messieurs, c'est sous François Ier, c'est par ses ordres que le baron d'Oppède massacra trois mille Vaudois, jeta le reste sur les galères, livra leurs femmes aux soldats, mit le feu à vingt-quatre villages, et

fit de Cabrière et de Mérindol un monceau de cendres. On a dit, pour défendre le roi, que la Provence était bien loin de la cour de Fontainebleau, toute plongée dans les plaisirs, que le roi ne prévoyait pas l'abominable cruauté de ses agents, et n'entendait pas au milieu de ses fêtes les cris de ses victimes: triste excuse, messieurs, et qui même ne lui reste pas. C'est auprès de lui, dans son conseil, que le fanatisme vint saisir un gentilhomme célèbre par ses connaissances, distingué par l'élévation de son caractère, le conseiller d'État Louis Berquin, dont l'unique forfait était d'incliner à la réforme. Relâché une première fois à la sollicitation de la reine Marguerite, il fut repris de nouveau et condamné à avoir le front marqué d'une fleur de lis, la langue percée d'un fer rouge. La sentence fut exécutée sur la place de Grève, le 16 avril 1529. Jeté dans les prisons pour y mourir après ce supplice, Berquin en appela devant la cour de Rome. Cet appel n'eut d'autre résultat que de le faire brûler le lendemain.

Un jour qu'on discutait devant François Ier pour savoir s'il fallait condamner au feu de malheureux huguenots, Duchâtel, évêque de Tulle, le même qui fonda le Collége de France, opina pour la douceur. Le cardinal de Tournon, qui avait voté les mesures les plus rigoureuses, lui fit des reproches au sortir du conseil : « J'ai parlé en évêque, lui répondit Duchâtel, et vous en bourreau. »>

Passons sur les dernières années du règne de François Ier, de ce roi chevalier, de ce père des lettres, que Brantôme félicite d'avoir fait faire ces grands feux, et d'avoir montré le chemin de ces brúlements1. Du règne de son fils, il n'y a qu'un point que je veuille dire. En 1557, Henri II vint siéger au Parlement sans être attendu. C'est cette fameuse séance où il provoqua des rigueurs contre les protestants, et où Faur et Anne du Bourg furent, par ordre du roi et en sa présence, arrêtés jusque sur les fleurs de lis, et conduits à la Bastille pour la courageuse liberté de leurs votes. On sait que du Bourg, neveu d'un chancelier de France, et qui passait, à trente-huit ans, pour l'exemple et la lumière du Parlement, fut pendu et étranglé en place de Grève, et son corps jeté dans le feu. Mais ce n'est ni l'emportement du roi, ni le martyre de du Bourg que je veux signaler dans cette séance c'est le discours du premier président Le Maître : « Il déclama fort contre les sectaires, dit de Thou. Il apporta l'exemple des Albigeois, dont six cents furent brûlés en un jour par les ordres de Philippe Auguste, et celui des Vaudois, dont une partie périt par le feu dans leurs maisons, et le reste fut étouffé par la fumée dans des cavernes et des car

1. Il en a fait faire de grands feux et en épargna peu d'eux qui vinssent à sa connaissance et dit-on que ç'a été le premier qui a montré le chemin de ces brûlements.» (Brantôme, François Ier.)

« ÖncekiDevam »