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vrir des écoles pour le peuple; toutes les institutions ont pour base une turpitude; le langage lui-même fut inventé pour tromper, et tous les hommes seraient vils s'ils osaient l'être.

(1715-1771.) Helvétius, qui vint après, appliqua dans son livre de l'Esprit le sensualisme à la morale, comme Condillac l'avait appliqué à la psychologie empirique. Si dans l'intelligence il n'y a que sensation, il n'y a dans la volonté que plaisir et douleur, puisqu'elle ne peut s'exercer que sur les éléments fournis par l'intelligence. Il déduit de là, par une conséquence toute logique, la morale de l'intérêt comme la seule possible; et, pour dédommager le lecteur de toutes les nobles consolations qu'il lui ravit, il offre pour but à l'égoïsme l'amour de l'humanité, sentiment sans énergie parce qu'il est général. Intelligence sans portée, il croit que l'esprit des gens qui l'entourent est celui de toutes les générations et de tous les pays. Avec la prétention d'être original, il ne fait qu'imiter : exagérant la Rochefoucauld, commentant Mandeville, contrefaisant Montesquieu, et estropiant Locke. Ce dernier avait déduit des sens toutes les connaissances humaines; mais les animaux étant doués de sens comme les hommes, d'où naît la supériorité de l'homme? D'une meilleure conformation de la main, répond Helvétius, qui ne voit les choses que d'un seul côté, et du plus mauvais. Il nie l'amitié en théorie, tandis qu'il lui fait, dans la pratique, de généreux sacrifices; son livre devient le code philosophique des mœurs du siècle de Louis XV, mais il est en même temps une accusation frivole et calomnieuse contre la nature humaine.

En étudiant tous ces ouvrages pleins de frivolité avec un appareil de science, on est étonné de voir leurs auteurs parler tous d'analyse et d'expérience, et risquer en même temps les hypothèses les plus dénuées de fondement. Ils abolirent les idées innées, et y substituèrent la nature. Personne ne vit jamais l'Atlantide, personne n'attesta que le berceau de l'homme ait été au nord : ce sont là pourtant les axiomes ou les expédients des philosophes. Personne ne vit l'homme à l'état sauvage pur, personne ne l'a vu sans idées, personne sans langage, personne avec un seul sens, auquel les autres soient venus s'ajouter suc

HIST. DE CENT ANS. -T. I.

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cessivement c'est pourtant de ces faits que partent les systèmes qui ont fait le plus de bruit '.

Le langage était et sera toujours le grand écueil de la philosophie athée, qui s'y évertue en vain. La Mettrie en attribue l'invention à quelque génie inconnu, sorti du sein de l'humanité brutale, comme il peut en surgir un parmi les singes et les chiens. Condillac exalte comme dignes des autels les inventeurs d'un si précieux instrument. Pour Maupertuis, il y voit le résultat d'un pacte social entre les hommes, qui, s'étant réunis dans cette ignorance primordiale, firent de telles prouesses d'analyse, que pas une académie moderne ne saurait y parvenir.

Ainsi la métaphysique se réduit à la sensation, le culte au déisme des païens incrédules, le langage à une algèbre, la poésie à un syllogisme, la morale au tempérament, la législation à un calcul de latitudes, l'histoire à une duperie, le style à une salve d'épigrammes.

Mais pour en venir à une bataille rangée, il fallait réunir les forces éparpillées des combattants, et les mener d'accord à l'attaque. Un libraire proposa de traduire le dictionnaire anglais de Chambers. Cet ouvrage donna naissance à un travail nouveau, qui fut l'Encyclopédie, application du système de l'association, où le nombre dut suppléer au talent. Diderot et d'Alembert se mirent à la tête de l'entreprise.

Diderot, né dans une humble condition, avait été élevé par les jésuites: il commença, pour vivre, à écrire des productions éphémères, préfaces, annonces, sermons, encycliques, comédies, satires; il essaya tous les genres, en un mot. Pour se mettre en réputation, il se déclara athée, et dirigea une attaque des plus hardies contre la religion, dans ses Pensées philosophiques (1746). Plein de feu, plein d'esprit, il est incapable d'une application soutenue; tout fermente chez lui, rien n'y arrive à maturité. Critique large et ingénieux, quoiqu'il s'a

«Les philosophes perdent un temps précieux à élever des systèmes qui nous en imposent, jusqu'à ce que les prétendus faits qui leur servaient de base aient été démentis. » RAYNAL, Hist. philos., t. III.

bandonne parfois à des élans lyriques et à l'emphase, il combattit le goût faux et conventionnel de son temps, en rappelant les écrivains à la vérité du costume, à la réalité des sentiments, et à l'observation de la nature. Mais il se fourvoya dans la pratique, et il ne montra dans ses drames larmoyants que l'exagération des passions. Il introduisit dans ses romans, où il imita les Anglais, une familiarité expressive; il mêla le sentimental et l'obscène, et à un tel degré, qu'il faut pour les lire avoir perdu toute pudeur.

Il comprit le grand mouvement qui s'opérait alors, non partiellement, comme les autres l'entendaient, ou dans les lettres, ou dans les arts, ou dans la politique, ou dans la religion, mais dans toutes choses à la fois; et il se fit l'organe, le directeur de l'insurrection philosophique. Il laissa son nom à la postérité, sans aucun ouvrage digne d'elle.

D'Alembert avait bien autrement de mérite, et il était modéré par nature. Né d'un amour secret de la célèbre marquise de Tencin, abandonné par sa mère qui voulut le reconnaître lorsqu'il fut devenu illustre, il s'y refusa avec un juste dédain; et, toujours reconnaissant pour la pauvre vitrière qui l'avait ramassé sur le pavé de la rue, il resta près d'elle tant qu'elle vécut. Il eût pu, avec un savoir et un esprit si rares, prendre place parmi ses contemporains les plus illustres, s'il ne se fût entêté de devenir aussi le chef du parti philosophique.

Pour remédier aux incohérences et aux disparates de ce grand travail, on confia la direction de l'Encyclopédié à d'Alembert et à Diderot, qui refondaient les articles pour soumettre cette compilation à une pensée philosophique : c'était de montrer à l'esprit humain ses conquêtes, et de compléter son émancipation par les sciences. Pour donner une méthode à l'Encyclopédie, d'Alembert rédigea le discours préliminaire, qui est le meilleur morceau de cette œuvre médiocre; et, pour enorgueillir l'homme par l'énumération de ses conquêtes, il y traça le tableau des connaissances humaines. Il en emprunta l'idée à Bacon, dont il reproduisit les défauts quant à la disposition et à la généalogie. S'il l'emporte sur lui en connaissances positives, et par l'idée de montrer le progrès général dans les progrès partiels,

il lui cède en imagination; il n'a pas non plus, au même degré, cette chaleur indispensable à la persuasion, qui ne laisse pas seulement raisonner et discuter, mais qui entraîne. A la suite de Locke, il établit que l'homme ne tire ses connaissances que des sens; mais il détruit ce principe en exceptant une loi morale intérieure 2: souvent même il insiste sur les vérités morales, qu'il ne croit pas moins certaines que les vérités géométriques. Après avoir considéré l'Encyclopédie comme une exposition de l'ordre et de l'enchaînement des connaissances, d'Alembert l'envisage ensuite comme un dictionnaire des principes généraux et des particularités les plus essentielles de chaque science et de chaque art. Il passe alors en revue les grandes conquêtes de ce demi-siècle; et jamais l'on n'avait vu un tableau philosophique d'une telle vigueur, et pourtant d'une intelligence si générale, noble sans déclamation, docte sans étalage de science. Il bronche toutefois dès le premier pas, en ne prenant son point de départ que de la renaissance des lettres; et, après avoir décrit sous les plus sombres couleurs l'ignorance du moyen âge : « Il fallut, dit-il, pour rendre la lumière au genre humain, une de ces révolutions qui donnent à la terre un aspect nouveau. L'empire grec est détruit; sa ruine fait refluer en Europe le peu de connaissances qui avaient survécu. L'invention de la

Bacon dira: « La chronologie et la géographie sont les deux yeux de l'histoire; » et d'Alembert : « La chronologie et la géographie sont les deux rejetons et les deux soutiens de l'histoire. »>

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<< Rien n'est plus incontestable que l'existence de nos sensations. Ainsi, pour prouver qu'elles sont le principe de toutes nos connaissances, il suffit de démontrer qu'elles peuvent l'être : car, en bonne philosophie, toute déduction qui a pour base des faits ou des vérités reconnues, est préférable à celle qui n'est appuyée que sur des hypothèses même ingénieuses. » Le premier axiome incontestable était réfuté par Hume: la vérité qui sert de conclusion porte en elle-même la condamnation de tous les philosophes de cette époque, et surtout de celui qui la proclame, et qui ajoute : « Pour former les notions intellectuelles, nous n'avons besoin que de réfléchir sur nos sensations... La première chose que nos sensations nous apprennent..., c'est notre existence. » Voilà deux hypothèses qui s'opposent à ce qu'il appelle « l'esprit philosophique » de son temps, « qui veut tout voir et ne rien supposer..»

presse, la protection de Médicis et de François Ier raniment les esprits, et la lumière renaît de toutes parts. »

Diderot se réserva de revoir tous les articles, et de rédiger tout ce qui se rapportait aux arts et métiers; il voulut faire à la technologie une part d'autant plus grande qu'on en faisait moins de cas. Habile à saisir la capacité de ses collaborateurs, possédant des notions peu profondes, mais universelles, joignant à l'opiniâtreté du travail la facilité de style, bienveillant envers quiconque voulait le flatter, et ne dédaignant pas de concourir à des ouvrages de pacotille pourvu qu'ils vinssent en aide à la cause qu'il servait avec passion, Diderot était un excellent chef d'ouvriers subalternes, manœuvre de la destruction. Il possédait l'art d'analyser les moindres choses, un métier à bas ou une idée métaphysique, et de s'inspirer des livres, des ouvrages d'autrui; il en tirait des pages brillantes, il ne se faisait pas d'ailleurs scrupule de les altérer, et de faire professer l'hérésie à un Père de l'Église 1. Il rédigea jusqu'à neuf cent quatre-vingtdix articles sur toutes les matières. Il n'avait donc le temps ni de lire ni de méditer. Quelque fait qui se présentât à lui, il inventait une théorie pour l'expliquer; il associait, surtout en politique et en morale, les réalités et les songes, le cynisme et la noblesse, l'incrédulité et le mysticisme. Il se vantait d'avoir « l'univers pour école, le genre humain pour pupille. »

La classification générale de l'Encyclopédie tient de la scolastique. Il y est fait abstraction de l'homme, de ses idées et de ses besoins, jusque dans les dogmes d'une science qui ne subsiste que par l'homme; tout s'y rapporte à la nature, et on n'y distingue les procédés technologiques que par la substance sur laquelle ils s'exercent. Les manufactures y arrivent comme un appendice de l'histoire naturelle; on rencontre dans la métallurgie les monnaies, les batteurs d'or, les orfévres, les doreurs, etc.; et à propos des pierres fines, les lapidaires et les joailliers toujours l'homme sous la matière. De cette façon on

En citant à l'article Feuilles un passage de Bossuet, on trouve partout les mots nature et lois générales substitués à Dieu et à Providence; de telle sorte que celui-là même qu'il combattait paraît appartenir à la secte philosophique.

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