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lui faudra traverser, n'effaceront jamais tout à fait ce qui en lui est lumière et féle, grâce chevaleresque, élégance, toutes les images nobles ou délicates de bravoure et d'orgueilleuse assurance, de gaité, de danse, de chant, de jeu ou de chasse. Il nous faudra toujours l'apercevoir, au moins de loin, sous les traits d'un enfant de bonne race, fier de son peuple et de son sang, se plaisant en galante et haute compagnie, amoureux de la nature, sensible à la beauté et aux grâces féminines, connaissant les troubles d'un cœur brûlant. C'est un gentilhomme florentin, un soldat, un poëte courtois : il fait la guerre et il chante l'amour.

Tous ces traits nous sont nécessaires pour comprendre sa figure, et dès l'abord ils nous sont fournis par la VITA NOVA. Mais ce ne sont encore pourtant que traits de surface et qui ne nous révèlent pas le fond de son âme. En dernière analyse il règne dans ce cœur un amour, qui domine tous les autres, c'est l'amour de la science. Il faut dire un « amour», car c'est le mot vouloir, d'un désir illimité, la possession de la vérité, pour trouver en elle la béatitude, comme la trouve l'amant heureux dans l'amour de sa dame, c'est là le mouvement d'âme qu'il faut savoir reconnaître dans quelques-uns de ces sublimes fils du XIII° siècle, dont Dante est le type le plus complet.

Nous ne pouvons plus très bien nous représenter, je pense, en nos siècles un peu lassés et déçus par l'excès

même du savoir, ce que put être, en d'autres temps, l'amour de la science. « Pensez, dit Ruskin, au goût délicieux et délicat qu'on trouvait jadis à cette nourriture-là, quand elle n'était pas aussi commune qu'aujourd'hui, quand les jeunes hommes ceux de belle

race

en avaient faim et soif1! » Si cette faim, si cette soif, cet appétit, (suivant l'expression Dantesque), n'eussent pas possédé l'âme de Dante, comment peut-on supposer la vérité de ce fait surprenant entre tous: ce jeune homme du monde, ce soldat, ce poëte acquiert (au moins en ses formes générales), toute la science de son temps, et cela, tout seul ou à peu près, par un effort personnel de volonté, et avant l'âge de trente ans?

Il faut se rappeler quelle était cette science, qui excitait tant d'amour, et quels attraits elle pouvait exercer sur l'esprit d'un jeune homme de cet âge. D'abord c'était une science chrétienne, la possession de la vérité éternelle révélée de Dieu; tel était le premier aspect qui se présentait à l'âme d'un chrétien tel que Dante. Mais il faut se rappeler aussi quelle forme nouvelle avait récemment prise la science chrétienne, par l'enseignement qu'avaient donné les maîtres de l'ordre de Saint-Dominique. C'était une encyclopédie immense et sans limites; elle s'étendait par sphères successives, depuis les connaissances sensibles les plus précises, jus

1. Dans Fors clavigera, (citation que j'emprunte à M. André Chevrillon).

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qu'à la raison pure, jusqu'à la contemplation extatique de la vérité absolue; elle comprenait toutes les connaissances humaines, et par sa méthode symétrique, elle les ordonnait toutes en Dieu. Mais si elle satisfaisait l'intelligence, elle comblait aussi le cœur ; elle est fondée sur la raison, mais aussi sur l'amour : le Dieu vers qui elle mène est le Dieu Incarné et Rédempteur.

C'était de quoi ravir l'esprit d'un jeune étudiant passionné.

Une autre chose encore pouvait toucher intimement sa pensée toscane, sa pensée latine. Jamais, malgré le cours des siècles, l'âme latine ne s'était déshabituée de l'influence profonde des poëtes, des philosophes, des orateurs de l'antiquité grecque et romaine1. La philosophie scientifique du x siècle lui donnait une certaine satisfaction. Elle accomplissait, entre la sagesse antique et la science chrétienne, un accord et une union qu'en vain chercheront les siècles suivants. Thomas avait fait ce grand miracle, nié d'abord, contesté, puis consacré enfin par l'approbation de l'Église catholique, et béni, si l'on en croit la légende, par la voix du Christ lui-même ; il avait ressuscité en une vie nouvelle l'antique philosophie, il l'avait conquise à la vérité évangé

1. Cf. F. NOVATI, L'Influsso del pensiero latino. (Milan 1897). On ne saurait recourir trop souvent à cette leçon magistrale, devenue, grâce à son riche appareil de notes et de commentaires, l'introduction nécessaire de toute étude de la pensée Italienne.

lique: il fondait sa méthode de démonstration chrétienne sur la dialectique grecque; il christianisait le Péripatétisme; il baptisait Aristote.

Pour qui sait voir, la partie morale et métaphysique de la philosophie Thomiste se devine déjà presque entière dans la Vita Nova. A vingt-cinq ans, Dante en possédait tous les principes. Il faut se demander comment il était matériellement possible qu'il les acquît. Florence n'avait pas alors d'Université; les leçons que pouvait trouver un enfant sur les bords de l'Arno ne devaient guère dépasser le niveau d'une modeste pédagogie grammaticale. Dante ne put pas s'instruire au pied d'une chaire illustre ou auprès de maîtres fameux. Il poursuivit et découvrit lui-même la science; il fut bien de ceux qui s'enseignent eux-mêmes, un autodidacte, ainsi que l'ont été plusieurs grands penseurs ; mais le fait est plus extraordinaire pour lui que pour bien d'autres, vu la complexité et le nombre des connaissances que supposait l'étude de la théologie scolastique. Il faut bien croire, et cela va sans dire, qu'il trouva dans cette Florence de sa jeunesse, sinon des maîtres, du moins certains directeurs de pensée1. Mais à la vérité nous ne savons pas exactement quels ils furent. En tous cas il ne trouva pas un enseignement régulièrement organisé.

1. C'est en ce sens sans doute que D. a pu dire que Brunetto Latini « l'a enseigné » (Cf. Inf. XV, v. 85).

Nous apercevons du moins qu'il rencontra de bonne heure une sorte de cercle poëtique et littéraire, auquel il s'affilia aussitôt, un de ces groupes intellectuels, qui si tot et si naturellement se formèrent à Florence, faisant prévoir longtemps à l'avance les célèbres acadé mies1. C'était un groupe de gens du monde(dirions-nous aujourd'hui), et de poëtes, tous adonnés à l'amour de la science, de la poësie et de la beauté. Ce cercle, où l'on nous introduit dès les premiers chapitres de la Vita Nova, fermé étroitement à tout profane, était gardé et gouverné par le grave et doux Guido Cavalcanti, celui que Dante appelle « le premier de ses amis. » Tous ceux qui y sont admis sont nommés sages, et l'on entend par là qu'ils sont poëtes. Ils font des vers en langue vulgaire, et les font pour des dames qui sont vertueuses. Dans ces jardins de Florence, où folâtreront plus tard d'autres dames, leurs libres petites nièces, celles du Decaméron et du Paradis des Alberti, on voit passer graves, dignes, un peu hautaines, mais aimables pourtant, souriantes, et, pour tout dire, courtoises, les dames de la Vita Nova.

Chaque dame avait son poële, et chaque poëte sa dame.

I. Cf. ce que j'ai dit de l'académie que semblent avoir formée au XIVe siècle les amis de Pétrarque. (Lettres de Francesco Nelli. Paris, Champion, 1892, pp. 80, sq.)

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