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peut pas s'empêcher d'y voir un roman, un récit de fails, une suite de réalités humaines. Y a-t-il en effet un fond de vérité ? C'est là une interrogation qui se pose invinciblement à l'esprit; mais à mesure que l'on avance dans la lecture, la réponse varie page par page. Devant tel trait marqué, presque tangible, on ne peut hésiter: il y a un fond de vérité. Mais on tourne la page et l'on s'envole dans l'irréel.

Aussi c'est sur ce point que la discussion reste la plus vive et la moins décidée entre les critiques : les deux écoles, la réaliste et l'idéaliste, gardent toujours leurs positions, encore que l'idéaliste ait subi bien des défaites; elles se donnent chaque jour de rudes coups. Il n'est pas bien surprenant que la discussion passionne : mais il ne me semble pas qu'on l'ait toujours bien considérée et dans toute sa complexité. Il y a ici, non pas un, mais deux points de vue à observer peut-être : un de fait, et un d'esthétique.

Voyons la question de fait. Elle doit être tranchée dans le sens réaliste. Avec le grand nombre des érudits d'aujourd'hui, je crois qu'il y a dans l'histoire des amours poëtiques de Dante un fond de vérité, que tous les faits n'y sont pas imaginaires, que Béatrice en un mot a existé. Nous savons son nom par Dante lui-même. Il nous a dit

ont noté même quelques corrections, peu nombreuses à vrai dire, que l'Inquisition imposa au texte de la V. N. On apercevait donc bien dès lors le sens théologique du livre.

en outre qu'elle était belle à merveille, et parée des vertus qui sont les plus précieuses au monde à trouver en une dame. Il nous a même donné quelques précisions assez formelles, comme on le verra, sur les détails de sa beauté, taille, teint, regard, voix. Il l'a entourée d'une famille, père, frère et de compagnes et d'amies. Il est vrai qu'au même point où il la nommait d'un nom réel, il nous signifiait, par la vertu même de ce nom, qu'elle était dame allégorique et représentait l'idée de la béatitude. Mais cette manière de jeter le lecteur dans le doute est une forme de sa poëtique. Cela n'empêche pas de croire que Béatrice fut une dame véritable et vivante.

Il faut croire aussi que Boccace, tout Boccace qu'il est, a donné un renseignement correct en disant que Béatrice appartenait à la famille des Portinari, dont les maisons, dans les vieux quartiers de Florence, étaient presque contigues à celles des Alighieri; que Béatrice étail la fille de Folco Portinari, noble et pieux citoyen de la ville; qu'elle épousa Simone de' Bardi et mourut jeune1. Voici maintenant comment il me semble que doit se

1. Parmi les raisons qui feraient croire que Boccace était bien renseigné, on n'a peut-être pas assez signalé celle-ci : que son père pendant de longues années, et du vivant assurément du mari de Béatrice, avait été au service de la famille des Bardi. D'ailleurs on remarquera que l'accord le plus continuel peut être établi entre les indications de personnes, d'áges et de dates que Dante nous donne et les renseignements de fait que l'on possède sur la famille Portinari.

présenter la suite des faits, ainsi que nous pouvons les comprendre: Béatrice était une charmante et vertueuse jeune fille; Dante fit des vers pour elle, ainsi qu'il était d'usage qu'on en fit pour les dames, et prit comme sujet de ses vers, suivant le même usage, quelques circonstances de ses rencontres avec sa Dame. Ces vers, à vrai dire eurent dès le début une tournure allégorique, et l'eurent de plus en plus, à mesure que Dante s'attacha plus aux principes du Doux Style nouveau. Ce caractère allégorique s'affirma plus complètement encore lorsque Dante coordonna ses vers en un récit suivi, car la Vita Nova est un livre entièrement symbolique, et destiné donc à faire découvrir une pensée métaphysique sous une matière sensible. C'est entendu, et les idéalistes ne sauraient trop le répéter.

Mais il y a une matière sensible, et voilà où s'assurent les réalistes. Cette matière sensible est si réelle que Dante nous a même donné, sous le voile d'une quintessence astrologique et géométrique, des dales et une chronologie. La première rencontre avec Béatrice est de 1274; la seconde de 1283; et quant à la date de la mort de Béatrice, en termes embrouillés mais intelligibles, elle nous est fixée, avec plus de précision encore, au 8 juin 1290. C'est deux ou trois ans plus tard, comme on l'a vu, qu'il composa, à la louange et pour la glorification de la Dame, le fameux « petit livre ». Ce fut en 1291 ou 1292.

On ne peut guère douter de tout cela. Oui, Dante a fondé son récit sur des réalités historiques, et Béatrice fut une dame réelle. Mais, dans la Vita Nova, il y a bien d'autres réalités historiques encore. On y lit par exemple tout un chapitre d'histoire littéraire ; c'est l'épisode du premier sonnet, qui nous introduit dans un cercle florentin au XIII° siècle, nous fait deviner Cavalcanti et son école. Combien d'autres réalités ne découvrirait-on pas encore ?

Le principal est ceci : Dante a rimé allégoriquement pour une dame véritable. De cela nous aurions pu être surs d'avance, en observant les usages et l'état d'âme des poëtes de son temps et de son pays. Il n'était pas possible que sa dame poëtique ne fût pas une dame véritable. Je ne sais pas s'il est prouvé que quelque poëte courtois ait versifié pour une dame imaginaire. Mais assurément cela n'est arrivé, ni ne pouvait arriver à aucun poëte florentin. J'en ai pour garant ce profond connaisseur de l'âme florentine, Isidoro del Lungo. Il a écrit sur la réalité des Dames florentines quelques-unes des meilleures pages qui soient de critique Dantesque1. Je les analyse ici.

A première vue, observe del Lungo, il peut paraître vraisemblable que les Dames des poëtes fussent fictives et imaginaires. Les Dames, en effet, de nos antiques

1. Cf. Beatrice nella vita e nella poesia del secolo XIII. (Milan, 1891), pp. 13 sq.

:

rimeurs n'avaient rien à faire avec la femme que le sort leur avait donnée pour compagne de leur vie, (pour compagne très chère, lorsqu'il plaisait à Dieu !) -Leur « Madame », leur « Dame gentille » restait hors de la famille et de la maison: dans la maison et dans la famille, le florentin était bien autre chose que faiseur de rimes amoureuses; il était marchand, tisseur de laine, banquier, juriste; et puis il était magistrat, homme de parti, soldat de chevauchée, ambassadeur de la Commune, gouverneur dans d'autres villes d'Italie. Mais ce n'est pas tout il était actif père de famille, travaillant à assurer la fortune des siens; lorsqu'il partait en voyage d'affaires, il confiait le soin de sa maison à sa dame, non pas, entendez-vous, à sa dame poétique, mais à la vraie, à son épouse; car elle avait la main vigoureuse et savait administrer son ménage. Ils travaillaient sans relâche tous les deux à la prospérité de ce ménage, et ce n'était pas mince besogne, car le plus souvent ils avaient beaucoup d'enfants; toute leur volonté était d'assurer pour l'avenir les espérances et les desseins qu'avaient conçus pour сихmêmes autrefois leurs honnêtes parents, lorsqu'ils les avaient unis comme mari et femme.

Et puis comme la plus pratique, la plus laborieuse des vies laisse parfois se développer, malgré mainte compression, quelque souffle d'idéal, tout ce qui en pouvait

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