Sayfadaki görseller
PDF
ePub

comme disoit Bacon; ce qu'il cherche, c'est la vérité qui parle au cœur, la connoissance qui se tourne à aimer; non la science creuse, cymbale retentissante; il a horreur de l'abstraction vide et morte: il s'en éloigne toujours et c'est ce qui fait la force de son esprit ; c'est pourquoi il ne s'égare pas dans la profondeur métaphysique; c'est pourquoi sa parole est si pleine et si riche. Et cependant il semble encore se reprocher une tendance trop spéculative. « Pourquoi, se dit-il dans sa préface, ces subtiles recherches qui n'intéressent pas ceux qui souffrent, ni surtout ceux qui meurent? Pourquoi ce langage encore trop savant et particulier qui ne va pas à tous les hommes et ne console pas tous les cœurs ?» C'est que, répond-il, il veut éloigner les jeunes gens des dangers de la science abstraite, empêcher les plus nobles d'entre eux de consumer leur vie à courir après des songes creux. Il a fait plus que cela, selon nous: il a non seulement signalé l'écueil, mais il a indiqué la voie droite; il fait plus que préserver de la fausse science, il a contribué à donner la vraie. Il enseigne comment l'âme s'élève à Dieu de tous ses mouvements, par ondulations spirituelles, comme il dit, et en même temps son magnifique style imprime l'élan à ces ondes lumineuses.

Depuis bien longtemps la philosophie n'avoit revêtu tant de magnificences, et n'avoit répandu plus de vérités dans un flot de poésie plus large et plus pur. Ce n'est pas ce style ardent de Lamennais, cet entrain passionné, cette éloquence véhémente, ce glaive flamboyant, cette logique qui va toujours à l'extrême, cette manière conquérante qui ne traverse le domaine de la philosophie que pour le ravager; ce n'est pas non plus, comme sous la plume de J. de Maistre, un style de grandes saillies, de longs éclairs, d'éclats surprenants, expression originale de l'esprit s'élevant jusqu'au génie. Non, le style du P. Gratry est calme, contenu; il suit la pensée dans tous ses replis; il en développe toutes les ressources; c'est comme une grande lumière qui se lève à l'horizon. Il faut écrire lentement, dit-il dans sa logique et l'on voit qu'il a usé du précepte: il écoute le maître intérieur, il craint par la précipitation de perdre la vue nette, de confondre les sons: il interroge son cœur dans la solitude, il parle à Dieu dans la prière, et il écrit ce qu'il sent ce qu'il a entendu. Voilà comme il comprend le style: car, lui qui a un sens fort et droit, ne peut souffrir, pas plus que la philosophie abstraite, cet esprit littéraire qui, devenu le culte de la vie, parvient à force d'art, par imitation, par hypocrisie, à se passer de la pensée, qui écrit ce qu'il n'a pas senti, et qui prête à tout, à la vérité, à l'erreur, au bien et au mal, un vêtement de banale élégance.

[ocr errors]

Toutefois, à ceux mêmes qui ne se bornent pas au culte de l'expression, mais qui cherchent sincèrement la vérité à exprimer, il signale un écueil; l'âme dit-il avec Joubert, se chante naturellement tout ce qui est beau; il faut donc craindre un excès d'harmonie musicale; on doit l'éviter non par des efforts d'art, mais par cetle pudeur de l'âme qui ne veut pas s'abandonner tout entière sous les yeux de la foule. Il suffit d'avoir lu quelques pages du P. Gratry, pour comprendre que c'est une confidence. Cet admirable écrivain n'ose se laisser aller à son inspiration, il craint de traduire ses har

monies intérieures; mais songeant avant tout à éclaircir sa pensée, il arrète sans cesse son élan, il cherche de plus en plus à préciser sa pensée; il sait marquer sa marche par de forts jalons: il parle pour dissiper des doutes et non pas pour tresser des couronnes poétiques; de sorte qu'au milieu mème de ses magnificences d'imagination, il conserve toujours le caractère sérieux de la science. Son style ne s'échappe pas en tirades; mais il a l'unité, la continuité, la déduction qui caractérisent les classiques. Il y a dans tout ce qu'il dit un calme qui inspire la confiance : c'est un beau fleuve dont l'eau transparente s'avance par une pente insensible, réfléchissant à la fois les profondeurs du ciel et les harmonies de la terre. Platon, à l'ombre des platanes du cap Sunium, sous le ciel de la Grèce, les yeux fixés à l'horizon de la mer, ne méditoit pas sur Dieu d'une manière plus sereine; mais le P. Gratry a, de plus que Platon, l'expérience et la pratique de l'amour divin, réveillé par la lumière du christianisme, fortifié par les combats de la vie. Cette supériorité de tout chrétien sur le grand maître de la philosophie ancienne, I l'a exprimée dans une magnifique comparaison entre saint Augustin et le disciple de Socrate. «En mesurant, dit-il, le progrès de cet homme universel dont parle Pascal, le progrès de l'esprit humain comparé dans ces deux génies frères, on croit voir le même homme, d'abord dans sa première et poétique jeunesse, puis dans la force de son âge mûr. Tout jeune quand il étoit Platon, il avoit aimé la vertu, la vérité, il s'étoit dit je serai bon et je posséderai la science; je saurai les mystères de ce beau monde ; je connoitrai Celui qui en est le père et l'auteur et il entrevoyoit et poursuivoit cet idéal dans sa riche imagination. Et maintenant, après des luttes cruelles, après une vie entière de travail, de courage, après bien des prières, des larmes et des victoires, après avo.r appris par expérience d'où vient la force, après une nouvelle alliance avec Dieu, avec Dieu non plus rèvé comme poétique spectacle, mais possédé comme substance de la vie; cet homme enfin victorieux et soutenu du Père auquel il s'est confié, cet homme connoit la vérité, cet homme est bon et porte dans son âme murie par le soleil de Dieu les forces et les vertus des fruits dont sa jeunesse avoit les fleurs. Tels sont Platon et saint Augustin, si on compare les résultats. »

Avec son admirable sens pratique, le P. Gratry cherche la science qui forme l'homme et non pas celle qui s'enveloppe de difficultés, qui se hérisse d'un langage barbare et ne s'adresse qu'à un petit nombre d'initiés; il va toujours droit au but et il croit d'autant plus nécessaire de tout simplifier que pour parvenir à une connoissance juste et saine, il ne suffit pas, selon lui, de se vouer à une étude exclusive; tout esprit développé avec disproportion ressemble, dit Bacon, à un miroir sans symétrie et qui ne rend que des images difformes des choses! Joubert compare ceux qui ne se vouent qu'à l'étude des sciences physiques, aux Cyclopes qui n'ont qu'un œil. Ce que veut donc le P. Gratry, c'est d'arriver à la science comparée. Or luimême l'a pratiquée, et il en témoigne la fécondité; ancien élève de l'école polytechnique, profondément versé dans les sciences physiques et mathématiques, il se sert constamment de ces sciences pour

éclaircir son enseignement philosophique. On a souvent remarqué que la plupart des grands philosophes furent mathématiciens. Sans remonter au XVIIe siècle, il nous suffira de rappeler le nom de Bordas-Desmoulin et celui de Balmès, qui, jusqu'à l'âge de trente ans, enseigna les mathématiques élémentaires dans une petite ville d'Espagne, qu'il appeloit sa cage. Mais selon le P. Gratry, les mathématiques ne fortifient qu'un côté de l'esprit et ne le cultivent qu'incomplètement; c'est pourquoi cette étude n'est féconde que chez ceux dont les autres facultés sont proportionnellement développées. Sous ce rapport, il nous fournit le meilleur modèle; mathématicien poète, philosophe chrétien, esprit trempé par la réflexion, fortifié par l'étude, nourri dans la prière, réchauffé d'amour divin, son regard lumineux saisit directement l'unité des choses. Une de ses plus belles démonstrations est celle où il établit que la logique du quiétisme est la même que celle de la sophistique moderne; Hégel proclame que l'être c'est le néant, et les faux mystiques cherchent à pratiquer l'anéantissement de l'être; ils veulent détruire la volonté la paralyser en plongeant l'âme dans un état tout passif.

[ocr errors]

Une des principales causes de nos erreurs, selon la remarque du P. Gratry, c'est cet orgueil scientifique par lequel les philosophes prétendent toujours avoir inventé tout le système de la vérité, inconnu jusqu'à eux. Par contre, dans l'histoire ils cherchent à montrer que les plus grands génies n'ont guère fait autre chose que se tromper; et ils tournent à l'erreur toutes leurs pensées : on doit l'avouer, ce procédé augmente l'intérêt de stérile curiosité qu'on n'apporte que trop souvent dans la science; car la vérité est une et il paroit monotone de la rencontrer toujours; mais l'erreur a des variétés infinies et les historiens de la philosophie semblent la rechercher par plaisir, pour éviter l'ennui. Descartes et le XVIIe siècle ne sont pas sous ce rapport exempts de tout reproche. Ils ont prétendu fonder une philosophie toute nouvelle, se passer de tous les foyers de lumière des temps antérieurs ; ils se sont imaginés que tout étoit à recommencer, et dans leur réaction contre la scolastique, ils ont brisé de bonnes traditions en même temps que les mauvaises. C'est ainsi qu'ils ont abandonné l'étude de saint Thomas d'Aquin, qui pouvoit fournir tant d'enseignements au grand siècle. Aujourd'hui la bonne philosophie est revenue à ces sources fécondes et dédaignées des siècles antérieurs à Descartes, et elle y recourt avec d'autant plus de sécurité, que l'on a constaté que le père de la philosophie moderne avoit beaucoup emprunté à saint Anselme et à saint Augustin, dans les ouvrages duquel, on trouve trois fois le : je pense, donc je suis. Leibnitz étudioit les scolastiques, dans lesquels il avouoit avoir trouvé de l'or. De nos jours, Balmès a montré par son exemple, tout le fruit que l'on pouvoit retirer des philosophes du moyen-âge et particulièrement de saint Thomas d'Aquin. Le P. Gratry aussi a puisé abondamment dans les travaux prodigieux de l'Ange de l'Ecole; magnifique ensemble, dans lequel la vérité se déploie dans tout son jour; œuvre d'une raison inspirée d'une intelligence sanctifiée, toujours calme, sans lueurs passagères et sans inégalités. Il a voulu renouer la tradition du XVIIe siècle, dans lequel

de

sa pensée se sent à l'aise, où il trouve les harmonies de la science qu'il recherche partout. Mais il ne s'est pas arrêté à l'étude de cette belle époque, au milieu de ces génies qui semblent frères du sien, et dans la familiarité desquels il est entré, tant il les a étudiés : mais il est remonté plus haut; car il ne veut rien dédaigner : il a fait voir comment toutes les grandes voix du génie ont toujours redit les mèmes enseignements à travers les siècles, depuis les douces et sereines inspirations du disciple de Socrate, chants de l'aurore de la pensée philosophique, jusqu'aux profondes méditations de Descartes, de Pascal, de Leibnitz, de Mallebranche, de Bossuet, Pétau et de Thomassin. Le P. Gratry montre tous ces grands hommes se réunissant dans le foyer de la vérité, et fesant entendre, des profondeurs de l'histoire, le concert de la vérité universelle. En cela il a suivi les traces de Thomassin, le grand théologien de l'Oratoire, et l'on doit lui appliquer à lui-même ce qu'il a dit de son illustre prédécesseur. Il prend tout en bonne part, lorsque cela n'est pas enlièrement impossible; il rejette peu, admet beaucoup son génie vaste est largement hospitalier; il trouve toujours chez lui quelque place pour chacun; il ne repousse que les méchants et les impies; mais tout ce qui a été sérieux, sincère dans la recherche du vrai est accueilli. »

Cependant on doit bien reconnoître que, si cette méthode lui a admirablement réussi quant à Platon, elle a été trop loin en indulgence pour Aristote; on le sait, ce philosophe s'étoit renfermé dans la sphère logique avec une fermeté qui a fait la gloire de son génie; il rejetoit toutes les idées qu'il ne pouvoit concilier dans ses syllogismes, et repoussant loin de lui comme de sublimes rêves, les immortels instincts du cœur, poursuivant la réalité dans une analyse glacée, il avoit élevé devant l'oeil de la raison un système que celle-ci pouvoit embrasser d'un regard, sans rien qui dût l'émouvoir ni la troubler. Dans ce système, il n'y a pas de création; Dieu n'est que le terme suprême de la série des existences; l'homme n'a qu'une participation d'âme et un semblant d'immortalité.

Pour ramener à la vérité ce sublime rationaliste, le P. Gratry, au lieu de l'expliquer, a dû le transformer à l'exemple de saint Thomas d'Aquin, qui lui emprunta presque toutes ses idées de détail, mais pour les placer dans le magnifique plan que lui-mème avoit conçu. Le P. Gratry a très-clairement indiqué le but de ses travaux philosophiques : le rationalisme a aujourd'hui accompli toute son évolution, il est parvenu à ses dernières conséquences, il a abouti à l'absurde et il l'a avoué, il s'en est fait gloire; il a proclamé par la bouche de Hegel qu'il n'y avoit de possible, de vrai, de réel que la contradiction, il a pris pour base cet axiome que l'être c'est le néant; et prétendu démontrer l'identité de l'identique et du non identique. Le P. Gratry a compris que cette audacieuse entreprise, en renversant la raison, tend à ruiner le monde moral; qu'elle abaisse les âmes, pour les livrer tout entières à l'empire des sens; il a vu l'esprit d'incrédulité cherchant par cette dégradation de la raison, à détruire le christianisme, à obstruer les âmes d'erreurs, pour empêcher que le rayon de la foi ne parvienne jusqu'à elles, Á la vérité, la

foi est indépendante de la raison; mais celle-ci peut lui fournir son appui, l'éclairer de ses rayons; elle sert ensuite à préparer le cœur, à recevoir la lumière surnaturelle; ce sont ces deux grandes vérités, que les prodigieux travaux de saint Thomas ont apprises au P. Gratry. La somme philosophique, dit-il, c'est l'intelligence cherchant la foi; la somme théologique, c'est la foi cherchant l'intelligence. Mais quelqu'imposant que soit ce témoignage du saint Docteur dont la somme théologique resta toujours ouverte sous les yeux des Pères du Concile de Trente, quelque puissante que soit l'unanimité des plus grands génies en faveur des droits de la raison, l'auteur De la connoissance de Dieu se sent encore appuyé sur une autorité plus décisive, celle de l'Eglise. L'Eglise en effet a toujours condamné la doctrine fanatique, qui annihile la raison humaine, et foule aux pieds ce don naturel de Dieu. Cette doctrine étoit celle de Calvin et de Luther, et elle ne se trouve pas seulement énoncée dans quelques passages de leurs écrits, mais elle est le fondement même de la réforme religieuse qu'ils voulurent opérer. Selon eux, le péché originel a détruit, brisé, anéanti toutes les puissances naturelles de l'homme, il nous a enlevé la raison et la liberté pour nous livrer sans partage à la concupiscence. C'est de ce point de départ, comme l'a montré Moehler dans sa symbolique, qu'ils arrivoient à la doctrine de la jus.. tification par la foi seule et sans les œuvres : selon eux, l'homme par lui-même n'a de puissance que pour le péché; Dieu seul opère le bien dans la créature, sans aucun concours; celle-ci est incapable de tout mérite, et la justification n'extirpe pas le péché mais ne fait que le couvrir aux yeux de la justice souveraine. On conçoit que Luther ait condamné toutes les sciences spéculatives comme des erreurs damnables, et que Swingle ait exprimé le vœu que les élèves du sanctuaire se passent de livres pour apprendre un métier. Le P. Gratry n'a pas seulement la régle infaillible des décisions qui ont condamné les hérésies de Luther, de Calvin, de Baïus et de Quesnel. Mais il trouve encore la question des droits de la raison directement exposée dans le Cathéchisme romain, composé par ordre du Concile de Trente, et sanctionné dans tous les temps par les plus éclatantes approbations de l'autorité ecclésiastique. Voici les passages qu'il cite : « Telle est la nature de l'âme et de l'intelligence, dit ce cathéchisme œcuménique, que, quoi qu'elle ait pu découvrir par elle-même à force de travail et de soin beaucoup de vérités dans l'ordre des choses divines, cependant la plus grande partie de ces vérités, celles qui mènent au salut éternel, fin pour laquelle Dieu créa l'homme à son image, la raison ne peut les voir ni les connoître par sa seule lumière naturelle. «La grande différence entre la philosophie chrétienne et celle du siècle consiste en ce que cette dernière, guidée par la seule lumière naturelle, prenant pour point de départ les choses visibles et les effets de Dieu, ne s'élève à comprendre les perfections invisibles de Dieu que peu à peu, difficilement, après de longs travaux, et parvient ainsi à connoître que Dieu est, et qu'il est cause première et auteur de toutes choses; mais la foi au contraire élève et fortifie tellement le regard de notre âme, qu'elle pénètre le ciel sans effort, s'y trouve enveloppée de la lumière de Dieu, peut contempler d'abord la

« ÖncekiDevam »