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complètement aveugle, il passa un jour à côté d'une écluse dont une des portes présentait une fente plus ou moins régulière, et fut surpris de voir jaillir à travers cette fente une nappe d'une certaine étendue. Après un spectacle aussi banal en apparence, un passant quelconque aurait poursuivi son chemin sans plus songer à ce qu'il avait vu; mais il n'en fut pas de même pour Plateau, qui avait le talent de s'étonner à propos. En recueillant mes souvenirs quant aux détails qu'il m'a communiqués longtemps après, et à ceux qu'il a publiés, je vais tâcher de reproduire le raisonnement auquel il s'est livré.

Et d'abord il s'est rappelé la loi de Torricelli sur la marche parabolique d'un jet liquide s'échappant d'un orifice percé en mince paroi sous une charge donnée; mais une fente est composée d'une infinité d'orifices empiétant les uns sur les autres; il en a conclu que la nappe jaillissant de cette fente doit être formée par une infinité de veines empiétant aussi les unes sur les autres. Après cette déduction, il était naturel de se demander quelle serait la figure théorique de la nappe s'écoulant par une fente étroite, rectiligne et verticale, partant du fond d'un réservoir et s'élevant jusqu'au niveau du liquide. C'est effectivement ce que fit Plateau: il chercha la ligne sur laquelle se trouvent les intersections successives de toutes les courbes décrites par les différents jets s'échappant de tous les points d'une fente verticale et infiniment étroite; il trouva aisément que toutes les courbes en question sont tangentes à une droite inclinée à 45o sur l'horizon. Toutefois ce calcul faisait totalement abstraction de toutes les causes perturbatrices, telles que la résistance de l'air, les effets dus aux propriétés fondamentales des liquides, savoir la cohésion, l'élasticité due à la compression ou à la trac tion, la viscosité, etc.

Néanmoins, Plateau résolut de soumettre sans retard le résultat théorique à l'épreuve de l'expérience (1): il fit construire un réservoir cylindrique de 40 centimètres de hauteur, dont la paroi latérale était percée d'une fente partant du fond et s'élevant jusqu'à la partie supérieure. Il fit trois essais avec des fentes dont les largeurs étaient successivement d'environ 1mm, 1mm, 5, et 2mm, 5. C'est cette dernière largeur qui a fourni les meilleurs résultats; les voici textuellement :

(1) Note sur la figure de la nappe liquide qui s'écoule par une fente étroite, rectiligne et verticale, partant du fond d'un réservoir et s'élevant jusqu'au niveau du liquide (BULL. DE L'ACAD. ROY. DE BELG., t. III, p. 145, 1836).

1o En se plaçant de manière que le plan de la nappe fût perpendiculaire au rayon visuel, elle paraissait effectivement terminée par une ligne entièrement droite, sans la moindre courbure apparente excepté à une très petite distance de la paroi ; en cet endroit, la ligne se relevait rapidement jusqu'au niveau du liquide. Cette partie recourbée avait tout au plus un centimètre d'étendue. L'inflexion de la ligne près de la paroi est évidemment due à l'action capillaire des bords de la fente; aussi étaitelle beaucoup plus prononcée avec les deux autres fentes, surtout avec la première, et il n'est pas douteux qu'elle ne disparût complètement avec une fente d'une largeur convenable.

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2o La droite limite n'était pas tout à fait inclinée de 45o sur la verticale; en d'autres termes, la base du triangle était un peu moindre que sa hauteur, effet qui provenait sans doute de la résistance de l'air.

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3o Enfin, cette limite extérieure de la nappe n'était pas de la même épaisseur que le reste : elle était formée d'un renflement qui allait en croissant depuis la partie supérieure.

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Après avoir publié ces résultats, Plateau les a-t-il regardés comme suffisants? Il faut croire que non, car il en parla à ses collègues, et entre autres à Le François, qui transforma la question en un problème curieux de géométrie analytique, toujours en supposant les filets exactement paraboliques et indépendants entre eux. On le voit, la fente de la porte d'écluse, en laissant passer une nappe plus ou moins régulière, allait provoquer non seulement d'intéressantes expériences de physique, mais encore la solution d'une belle question de mathématiques appliquées.

En admettant une fente percée suivant la ligne de plus courte descente dans une paroi plane, inclinée sous un angle quelconque avec l'horizon, Le François démontra plusieurs propositions dont les principales sont les deux suivantes (1):

1o La ligne qui termine extérieurement la nappe liquide est toujours une droite.

2o Comme la paroi peut être chargée d'eau successivement de chaque côté, il existe, pour une même position de la fente, deux droites qui seraient chacune la limite d'une nappe jaillissante, et ces deux droites se coupent à angles droits.

Comme il fallait s'y attendre,Plateau et Le François essayèrent l'expérience pour le cas d'une inclinaison de 45°. Le réservoir

(1) Voir l'addition à la Note de J. Plateau sur l'écoulement des liquides, tome III des BULLET. DE L'ACAD. DE BELG., 1836.

était placé sur le bord d'une table, et l'eau se trouvait du côté de la paroi qui regardait le ciel. La limite de la nappe s'est montrée effectivement encore rectiligne sur une longueur d'environ i mètre; ici le bourrelet était moins épais, parce que la ligne limite s'écartait un peu davantage de celle qu'indique le calcul, peut-être, dit Plateau, à cause de l'action capillaire que la diminution de la pression rendait plus sensible.

Les deux observateurs ont placé ensuite le réservoir dans une position inverse, c'est-à-dire de manière que le liquide intérieur se trouvât du côté de la paroi qui regardait la terre. Dans ce cas, le bourrelet devint si considérable qu'en retombant de part et d'autre de la nappe, il en altérait la régularité, et que la ligne limite paraissait fortement ondulée; cependant sa direction générale était encore rectiligne et occupait à peu près la position donnée par la théorie.

Bien longtemps après, Plateau a réuni dans un même ouvrage (1) l'ensemble de ses recherches sur les liquides soumis aux seules forces moléculaires; dans un chapitre spécial, il a fait connaître les divers modes de génération des lames liquides. A cette occasion, il rappelle son expérience de 1836 (2); pour mieux rendre raison de toutes les particularités qu'elle présente, il a fait construire un réservoir cylindrique de 50 centimètres de diamètre et de 54 de hauteur; la fente, longue de 49 centimètres, avait 2mm de largeur; elle était constituée par un intervalle entre les bords en regard de deux règles en fer épaisses, réunies par une traverse à chacune des extrémités ; ces bords étaient taillés en biseau du côté intérieur du vase.

Plateau insiste alors sur la nature des deux bourrelets: celui du bord inférieur est transparent, presque uni et ressemble à une tige de cristal courbe ; mais celui du bord supérieur présente une constitution bien singulière à partir du milieu de sa longueur à peu près, ses deux parties latérales se convertissent chacune en une gerbe de gouttelettes, et la partie intermédiaire se montre. trouble comme si elle était formée elle-même de gouttes en mouvement.

Pour s'éclairer sur la constitution de la partie du bourrelet antérieure au lieu où s'opérait la résolution en gouttes, Plateau

(1) Statique expérimentale et théorique des liquides soumis aux seules forces moléculaires, Paris, 1873.

(2) Op. cit.. §§ 239 et 446.

l'a fait observer par son fils Félix (1) au moyen d'un disque percé de fentes radiales et tournant avec une vitesse convenable : cette partie consistait en un faisceau de veines de petit diamètre, dont chacune présentait une suite de renflements et d'étranglements, et qui avaient un léger mouvement dans le sens transversal. Dès lors, on pouvait expliquer la génération des gouttes en les regardant comme les renflements ci-dessus passés à l'état de masses isolées." Quant à la cause de cette bizarre constitution en faisceau de veines, ajoute J. Plateau, elle m'échappe complètement. "

Arrivé à ce point de notre historique, nous voyons clairement que la nappe sortie de la porte d'écluse fendue n'avait pas encore laissé découvrir tous ses secrets. Aussi la recherche de la cause inconnue de certaines particularités piqua vivement ma curiosité, et, en 1881 (2), je tâchai de la découvrir.

De même qu'une bande de caoutchouc résiste quand on l'étire, de même une masse liquide, transformée d'une manière quelconque en lame, oppose une certaine résistance; car si, dans le premier cas, la lame étirée de caoutchouc est soumise à une tension dans toute sa masse, de même la lame liquide est douée d'une force contractile tout au moins dans ses deux couches superficielles; seulement cette force contractile, qui est bien réelle et non pas idéale comme l'ont cru pendant longtemps plusieurs physiciens, ne varie que très peu pour le même liquide à la même température, tandis que la tension de la bande de caoutchouc va en augmentant à mesure qu'on l'étire davantage. J'ai pu conclure de là que, lors de l'extension en lame, l'unité de masse d'un liquide acquiert une énergie potentielle d'autant plus grande que l'épaisseur de la lame devient moindre; c'est en vertu de cette énergie potentielle que la lame se ramasse sur elle-même, dès que la force qui a produit l'extension vient à

cesser.

J'ai été ainsi mis à même d'expliquer pourquoi il est plus facile de gonfler de très grosses bulles à l'aide d'un entonnoir en soufflant par le bec, qu'au moyen d'une simple pipe au bord de laquelle ne peut adhérer qu'une quantité de la solution beaucoup moindre qu'au bord de la portion évasée de l'entonnoir.

(1) Actuellement professeur de Zoologie à l'Université de Gand. (2) Sur une propriété générale des lames liquides en mouvement : voir le § III de ce travail (BULL. DE l'ACAD. ROY.DE BELG., 3me série, t. I, 1881.)

On comprend, d'après cela, que dans l'étude de la nappe de J. Plateau, il faut tenir compte non seulement du travail effectué par la pesanteur, mais encore du travail résistant dû au développement du liquide en lame.

J'ai pu faire voir de cette manière que, conformément à l'observation, la nappe ne peut partir d'un point de la fente situé au niveau même du liquide, mais d'un point situé d'autant plus bas que la fente est plus étroite.

En invoquant l'énergie potentielle développée comme travail résistant, et cette même énergie diminuée par l'annulation des surfaces libres près du bord, j'ai tâché d'expliquer le resserrement de l'étendue de la nappe avant d'arriver à la ligne limite, et l'étalement du bourrelet supérieur en deux portions latérales qui se transforment en gouttelettes; quant à la partie intermédiaire. constamment choquée par de nouveaux filets liquides, elle doit montrer une suite de renflements et d'étranglements qui ne peuvent manquer de se résoudre aussi en masses isolées.

Me voici parvenu à la fin de l'exposé succinct des recherches provoquées par l'observation fortuite de J. Plateau. Faut-il regarder comme définitivement résolues toutes les questions soulevées par l'examen attentif de la nappe réalisée par l'ingénieux physicien? Bien loin de là, car je me propose précisément de faire voir qu'on peut l'étudier à un point de vue nouveau, dont je me suis efforcé, dans ces dernières années, de montrer toute la fécondité, je veux dire au point de vue de l'élasticité des liquides.

Pour plus de clarté, je vais rappeler d'abord un fait connu de tout le monde lorsqu'on déverse très lentement un liquide d'uu verre dans un autre, ce liquide s'obstine généralement à ne pas quitter la paroi latérale extérieure du verre ; c'est pourquoi un opérateur peu expérimenté a souvent beaucoup de peine à transvaser un liquide sans en épancher une partie.

Afin d'expliquer le phénomène, peut-on simplement invoquer l'adhérence du liquide au verre ? Je ne le pense pas, car si l'on couvre la face extérieure de celui-ci d'une huile quelconque, et qu'ensuite on produise avec précaution l'écoulement du liquide, la nappe s'infléchit encore vers la paroi; seulement, à mesure que la vitesse du liquide augmente, la portion baignée diminue et il y a toujours une grande quantité de liquide déviée de la verticale vers la paroi; ce qui démontre bien que, si l'adhérence intervient réellement dans le phénomène, il faut réserver une part notable à une tout autre cause.

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