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d'elle-même, sans objet réel et extérieur. La sensation perçue au dehors n'est-elle pas pour beaucoup dans l'hallucination collective ? Celle-ci serait-elle possible en dehors d'elle? En d'autres termes, la sensation objective ne constitue-t-elle pas l'élément essentiel de ce genre d'hallucination, ne lui enlève-t-elle pas dans l'espèce toute valeur probante? Nullement ; car il faut insister sur ce fait que l'illusion n'enlève à l'hallucination aucun de ses caractères propres.

Toute hallucination est liée à une impression anormale, morbide de l'organe sensoriel: elle y naît en quelque sorte, y prend corps, mais tire ses développements de l'encéphale et de la faculté sensible. Qu'elle siège principalement, comme la sensation même, dans l'organe du sens externe, nul ne saurait le contester; mais il ne faut pas oublier non plus qu'elle ne va pas sans le concours des centres nerveux et de l'imagination. Que la sensation soit vraie ou fausse, objective ou subjective, l'hallucination réclame toujours, comme la sensation externe et commune, le double et simultané concours de l'organe périphérique et du centre cérébral correspondant. Aucune différence. essentielle, nous l'avons dit, ne sépare l'illusion sensorielle de l'hallucination proprement dite.

Pourquoi dès lors deux ou plusieurs personnes, qui ont des points communs de rapprochement non seulement par l'âge, l'éducation, le rang et le genre de vie, mais par les idées et les préoccupations actuelles, ne pourraient-elles pas être, sous une même influence, le jouet d'une hallucination commune ? Cette supposition n'a rien de contraire. aux lois de la physiologie ni à celles de la logique. Le P. de Bonniot la repousse énergiquement, sans donner une raison suffisante de son sentiment.

Il est impossible, écrit-il, que deux imaginations travaillant isolément, sans modèle commun, produisent le même tableau, quoique le sujet proposé soit le même. La raison en est évidente. Pour se former une image d'un objet

que les sens n'ont jamais aperçu, l'imagination emprunte à la mémoire les éléments d'objets qu'elle suppose analogues; puis, parmi les milliards de milliards de combinaisons possibles avec ces éléments, elle en choisit une où son œuvre trouve corps et unité. Qu'une autre imagination travaille sur le même sujet, pourra-t-elle rencontrer les mêmes éléments, former la même combinaison? Oui, s'il est possible de composer l'Iliade en jetant plusieurs fois au hasard les lettres de l'alphabet grec. Tout ce qu'on peut dire de plus favorable, c'est que les deux images se rencontreront dans le genre, tout au plus dans l'espèce, mais jamais dans les détails qui appartiennent à l'individu. » Et notre auteur n'hésite pas à conclure que deux imaginations distinctes ne peuvent, sans miracle, coïncider dans la formation d'un même type ".

On ne saurait exagérer davantage ni compliquer plus à plaisir un problème difficile pour le rendre humainement insoluble et aboutir quand même au surnaturel. Les hallucinés ne composent pourtant pas une Iliade, et tous les hommes ne sont pas des Homère. L'imagination vulgaire est infiniment plus simple que ne le suppose le P. de Bonniot elle ne réclame que quelques sensations propres, accessibles à tous. Pour décrire l'objet ou le sujet de leur vision par exemple, les hommes n'empruntent pas d'ordinaire aux poètes les couleurs variées de leur palette, ou aux écrivains les mille artifices de leur art: ils contemplent l'ensemble, donnent deux ou trois traits dominants et ne s'attachent jamais à scruter les détails, à poursuivre une délicate et profonde analyse du tableau. Que la vision soit vraie ou fausse, ils en apprécient nettement les formes générales, les caractères principaux, mais ne perdent pas leur temps à en faire une description détaillée et savante. C'est ce qui ressort de l'observation journalière et ce que les exemples suivants d'hallucinations collectives démontreront amplement.

Au moment de la plus forte mêlée du siège de Jérusa

lem, deux chefs croisés, Godefroid et Raymond, aperçoivent, sur le mont des Oliviers, un cavalier agitant un bouclier et donnant à l'armée chrétienne le signal pour entrer dans la ville. Ils s'écrient que saint Georges arrive au secours des chrétiens.

L'apparition fut-elle réelle ?

Il est permis d'en douter, et le P. de Bonniot luimême ne la tient pas pour certaine. Nous inclinons à croire que les voyants furent victimes d'une hallucination commune. Comme Godefroid était au nord et Raymond au sud de Jérusalem (1), la communication des impressions était impossible (2) la vision a dû se faire en même temps et dans des conditions identiques. Une telle hallucination n'a rien d'irréalisable, quoi qu'en dise le savant Jésuite. Ce n'est pas dans le feu d'une bataille, écrit-il, que l'imagination a le loisir de se donner libre carrière. Nous avons donc de la répugnance à admettre que Godefroid et Raymond aient été hallucinés. Nous rejetterions cette hypothèse comme absolument fausse, s'il était prouvé que le guerrier céleste s'est montré, aux deux croisés, sous un aspect identique. » Mais rien ne prouve que cette dernière condition s'est trouvée remplie. Les chefs croisés n'ont pas vu si loin, et pour cause. L'apparition de saint Georges venait à son heure, et est sans doute née des circonstances. La situation critique de l'armée chrétienne, l'issue douteuse de la bataille, la vaillance indomptable des croisés, leur foi ardente, tout était fait pour exciter vivement l'imagination, actionner la volonté et créer l'illusion sensible.

Guillaume de Tyr, qui rapporte le fait, ajoute même que l'apparition fut vue de toute l'armée. Elle venait à l'heure où, rebutés par une attaque infructueuse qui avait duré toute la journée, les soldats chrétiens commençaient

(1) Guillaume de Tyr, 1. VIII, chap. XVI et XVII.

(2) A moins d'une action télépathique qui n'est pas prouvée. V. notre Vie psycho-sensible, 5o éd., p. 177 ; « Télépathie ».

à perdre courage et à reculer. Cette intervention de saint Georges, patron des guerriers, n'était-elle pas désirée, pressentie par tous, et son annonce n'allait-elle pas être saluée avec enthousiasme et rendre l'honneur aux armes françaises? Que l'hallucination frappe seulement les chefs, quelques soldats, et tous s'y associeront d'instinct et la partageront complètement. Comment le P. de Bonniot ne s'est-il pas rendu compte de cette nécessité psycho-physiologique, et s'est-il inscrit en faux contre l'évidence même ? «En ce moment, déclare-t-il, moins que jamais, l'imagination des croisés était capable de façonner un symbole de courage et de le placer avec un ensemble unanime sur la montagne voisine. » C'est, au contraire, à ce moment critique que l'espérance chrétienne et le courage héroïque des croisés devaient redoubler sous les coups de la mauvaise fortune, et qu'une hallucination collective était possible, à défaut du miracle que la foi attendait.

Mais n'insistons pas davantage sur un fait qui manque de précision et de détails circonstanciés. Sa nature reste indécise. Dieu pouvait faire un miracle en faveur des braves qui s'étaient noblement consacrés à son service et combattaient sans mesure pour la Croix. L'hallucination collective n'en rencontre pas moins, dans ce cas, toutes les conditions physiologiques et psychiques nécessaires à sa réalisation. On pourrait peut-être concilier tout le monde, en disant que c'est Dieu qui a suscité cette commune vision.

Un autre fait, plus simple et plus décisif, nous est fourni par le premier bataillon du régiment de la Tour d'Auvergne (aujourd'hui 46° de ligne), et raconté par son chirurgien, le Dr Parent.

C'était pendant les guerres d'Italie. Après une longue marche de 19 heures, huit cents hommes de ce régiment furent logés le soir dans une vieille abbaye. Ils étaient entassés les uns sur les autres, sans couvertures, avec de la paille pour lits. « Les habitants, dit le Dr Parent, nous

prévinrent que le bataillon ne pourrait rester dans ce logement, parce que, toutes les nuits, il y revenait des esprits, et que déjà d'autres régiments en avaient fait le malheureux essai. Nous ne fîmes que rire de leur crédulité; mais quelle fut notre surprise d'entendre, à minuit, des cris épouvantables retentir en même temps dans tous les coins de la caserne, et de voir tous les soldats se précipiter dehors et fuir épouvantés ! Je les interrogeai sur le sujet de leur terreur, et tous me répondirent que le diable habitait dans l'abbaye, qu'ils l'avaient vu entrer par une ouverture de la porte de leur chambre, sous la forme d'un très gros chien à longs poils noirs qui s'était élancé sur eux, leur avait passé sur la poitrine avec la rapidité de l'éclair et avait disparu par le côté opposé à celui par lequel il s'était introduit. »

Les soldats refusent de rentrer et passent dehors le reste de la nuit. Une enquête sérieuse les trouve tous unanimes à protester qu'ils ont réellement vu ce qu'ils affirment. La nuit suivante, encouragé par les officiers qui promettent de veiller, le bataillon reprend son logement. En effet, ces messieurs se distribuèrent dans les chambrées et restèrent levés pendant que leurs hommes dormaient. Vers une heure du matin, continue le Dr Parent, et dans toutes les chambres à la fois, les mêmes cris de la veille se renouvelèrent, et les hommes qui avaient vu le même chien leur sauter sur la poitrine, craignant d'en être étouffés, sortirent de la caserne pour n'y plus rentrer. Nous étions debout, bien éveillés et aux aguets pour observer ce qui arriverait, et, comme il est facile à supposer, nous ne vimes rien paraître. »

Il y a là, selon nous, une hallucination collective, et il est facile de s'en rendre compte. Les soldats étaient arrivés fatigués par une longue marche, et s'étaient endormis avec la pensée que la vieille abbaye était fréquentée par les mauvais esprits. Des cauchemars devaient nécessairement résulter d'une telle disposition psycho-sensible. Tous

II SÉRIE. T. XVI.

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