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rationalité, se nierait elle-même. Il faut donc que cet idéal demeure irréalisable, c'est-à-dire que l'objet de la science ne soit point entièrement réductible au pur «< rationnel » à l'identique immobile des Eléates mais contienne une part d'irrationnel. Et quels sont ces éléments irrationnels ? Qu'on ne se hâte pas de les définir, au risque d'arrêter prématurément l'effort unitaire de notre raison. Ainsi, selon M. Meyerson, Driesch a peut-être tort de poser dès maintenant un «< irrationnel » spécifiquement biologique. Mais enfin, il y a des «< irrationnels » : les plus généraux et les plus incontestables sont la diversité statique, qui persiste dans les Mathématiques mêmes, et le devenir, inséparable d'une science de la nature, d'une « physique ».

Puisque les sciences ont toutes pour objet la nature, fixons notre attention sur le point nodal, où se rencontrent forcément toutes les théories scientifiques : le « devenir ». Il recèle un irrationnel, disions-nous; mais, dans l'histoire de la pensée humaine, ne voyons-nous pas affichée par des philosophes

la prétention de déduire rationnellement ce prétendu irrationnel? Pour Schelling, par exemple, comme pour Hegel, le Devenir procède du Sujet pur, et même en procède par nécessité logique. Si leur raisonnement est valable, la science achevée se confondrait avec la philosophie transcendantaliste, et l'expérience n'aurait plus, dans notre savoir, qu'un rôle accidentel. M. Meyerson se voit donc amené à discuter la synthèse hégélienne du devenir, à l'effet d'en montrer l'illusion radicale. Sa critique dénonce, chez Hegel, deux erreurs primitives l'une affecterait la valeur formelle du « procédé dialectique >> » (ici, nous croyons que M. Meyerson, après Trendelenburg et d'autres, se méprend sur le véritable sens de la synthèse hégélienne); l'autre, où tomba aussi Schelling, consisterait dans l'introduction subreptice de données irrationnelles (Nature par opposition à Esprit) au sein de l'apriorisme rationnel (qui ne peut être que position pure du Sujet, l'Idéalisme strict excluant toute « réalité en soi »).

On voit où nous sommes acculés, tant comme hommes de science que comme philosophes à choisir entre des points de vue également antinomiques.

Suivons-nous les méthodes de la science théorique ? Alors, d'une part, supposant des « régularités » et des « lois »>

qui débordent notre subjectivité présente, nous postulons bon gré mal gré, comme ultime « raison suffisante » de nos généralisations, une réalité ontologique s'opposant au moi. Mais d'autre part, en vertu de la même tendance rationnelle, nous ramenons inlassablement le divers à l'identique, posant ainsi, virtuellement, comme « explication » dernière des phénomènes, l'espace pur, qui ne peut subsister comme tel. Notre raison, dans la théorie scientifique, se fait échec à elle-même.

Comme philosophes, serons-nous plus heureux ? Le pur rationalisme (qui ne peut être qu'une identité de la pensée et du réel, puisqu'il prend à tâche la déduction de la totalité des objets à partir du sujet) postule d'emblée l'impossibilité d'une « réalité en soi »; sauf paralogisme, il devrait s'enfermer dans l'identité du Moi pur, et laisser donc échapper le « divers » : ce qui revient à faire évanouir totalement la Nature.

Devant la théorie scientifique, aussi bien que devant la spéculation philosophique (et, faudrait-il ajouter, devant l'ontologie sommaire du « sens commun »), un même écueil se dresse l'impossible conciliation de l'Un, imposé par la raison, et du Multiple, condition de la Nature. M. Meyerson appelle « paradoxe épistémologique » l'expression de cette attitude nécessaire et déroutante de notre raison en face de la Nature. Nous disons bien de notre raison; car, si la science, la philosophie, et même le sens commun posent des exigences antinomiques, la cause en est « une seule et même tendance fondamentale de l'esprit humain, la tendance qui veut le monde intelligible et qui ne peut se satisfaire qu'en le détruisant »> (II, p. 199). « Partout (en effet), notre raison, sous les formes les plus diverses, ne peut appliquer qu'un seul et unique artifice, foncièrement le même, qui consiste à expliquer le divers en le réduisant à l'identique » (II, p. 353).

Que conclure? Que notre raison, appliquée au réel, se révèle « antinomique »; que, par conséquent, le réel n'est point calqué sur elle; que, d'autre part, la fécondité, si souvent éprouvée, des théories scientifiques témoigne que la Nature se prête, dans une large mesure, aux exigences de la raison; que l'« explication scientifique » représente donc un compromis légitime entre deux conditions opposées : la construc

tion rationnelle, qui, poussée à bout, détruirait la nature; et la contrainte de l'irrationnel, qui, devenue exclusive, nierait la raison.

Une remarque seulement, pour terminer M. Meyerson, en situant et en délimitant « l'explication scientifique », ne touche point encore le fond du problème de la « valeur de la science » : il se borne, en effet, à dégager les rapports de la science théorique avec une « raison » réglée tout entière sur l'identité (c'est-à-dire, ici, sur l'équivalence substitutive). Pour être fixé complètement sur la valeur de l'explication scientifique, il resterait à préciser, au sein d'un système philosophique plus compréhensif, la relation mutuelle du << rationnel » (défini comme plus haut) avec l'« intelligible >> et avec l'« être ». Par le fait même apparaîtrait la fonction logique et ontologique qu'il convient d'attribuer aux deux sortes d'« irrationnels » qui envahissent notre intelligence : non seulement l'irrationnel empirique, ou le « donné », mais encore l'irrationnel « transcendant » ou le « métarationnel ». M. Meyerson, n'ayant pas cru devoir aborder ici ces problèmes plus strictement philosophiques, ne conduit point, dans ses deux volumes, jusqu'aux solutions dernières : ce qu'il ne nous avait d'ailleurs pas promis.

J. MARECHAL, S. J.

LE SYSTÈME DES SCIENCES. Le Vrai, l'Intelligible et le Réel, par EDMOND GOBLOT, Correspondant de l'Institut, professeur à la Faculté des Lettres de Lyon. Un volume in-12 de 259 pages. Paris, A. Colin, 1922. — Prix : 7 fr.

Les lecteurs du Traité de Logique de M. Goblot retrouveront son style ferme, sa manière précise mais un peu sommaire, et ses idées favorites, dans ce petit volume, qui groupe vingt leçons professées à Barcelone en 1921. Pour en apprécier l'intérêt, il faut remarquer que le « système des sciences >> couvre, aux yeux de l'auteur, le domaine entier « du vrai, de l'intelligible et du réel »; et ainsi le titre, rapproché du sous-titre, fait entrevoir dès l'abord le point de vue dominant de tout le livre : un empirisme délibérément rationaliste.

Au lieu d'examiner, au fil des chapitres, les différentes disciplines qu'on peut appeler « sciences » arithmétique,

algèbre, géométrie, mécanique rationnelle, physique, physiologie, psychologie, sociologie, morale, sciences normatives, philosophie, marquons rapidement les idées directrices qui donnent à l'enquête critique de M. Goblot son tour particulier.

D'après lui, sciences pures, telles les mathématiques, et sciences d'observation ne diffèrent que « par leur inégal degré d'avancement » : toute science, absolument, commence par l'expérience et l'induction, comme aussi toute science, absolument, « tend à devenir rationnelle et déductive ». D'un bout à l'autre, la science n'est qu'une élaboration rationnelle de l'expérience, une application du procédé déductif au donné empirique.

Le mot « déduction » fait penser immédiatement au syllogisme aristotélicien. Qu'on se détrompe. Le syllogisme, qui descend « du général au spécial », ne nous mène guère au delà de ce que nous savions déjà. La déduction est beaucoup plus féconde; en mathématiques, par exemple, science déductive par excellence, le raisonnement procède, non du général au spécial, mais « soit du spécial au général, soit de l'hétérogène à l'hétérogène » (p. 48). Bref, la déduction se montre progressive et extensive; sa vraie nature, M. Goblot confesse en avoir eu la révélation « en février 1906 »: « Déduire, c'est construire » (p. 50). D'autres s'en étaient bien un peu doutés avant cette date mémorable.

Or on ne construit qu'avec des matériaux plus simples que l'édifice même. Et, dans un édifice rationnel, le « plus simple » ne peut être que le « plus général ». Puisque toute science part de l'expérience, les moellons à utiliser pour la déduction seront donc ces « lois » de plus en plus universelles que nous abstrayons de la diversité infinie des phénomènes, et au moyen desquelles nous édifions des hypothèses, rationnellement construites, permettant de représenter les faits en termes «< intelligibles ». (N. B. Cette abstraction généralisatrice n'est au fond qu'une substitution progressive de l'identité à la diversité, au sens où l'entend M. Meyerson. Voir le compte rendu précédent.)

Si nous appelons « réel » ce que la nature nous offre immédiatement dans les phénomènes, et « vrai » ce qui est conforme aux exigences de la raison, il faut dire que « l'intel

ligence progresse dans la vérité en s'éloignant du réel ». D'autre part, la spéculation, qui nous fait « quitter le réel pour atteindre le vrai » (p. 95), rend possible la prévision et, par là même, l'élargissement indéfini de l'action, qui, elle, nous replonge dans le réel : « C'est par l'action et non par la pensée qu'on revient au réel » (p. 89).

M. Goblot doit-il être rangé parmi les pragmatistes ? Nous ne le croyons pas ; car, si nous comprenons bien sa pensée, la science, c'est-à-dire la « rationalisation » du phénomène, arrivée à sa perfection, exprimerait adéquatement la nature à la limite, le « vrai » rejoindrait le « réel », devenu totalement lumineux à l'intelligence. M. Goblot postule done que la nature, en son fond, soit « rationnelle », encore que nos << rationalisations » partielles ne puissent fournir un décalque exact de la « rationalité » profonde des choses. Pour lui, comme pour M. Meyerson, la science humaine est, en fait, un compromis de raison et de nature; mais M. Goblot n'admettrait pas des « irrationnels » définitifs.

Aussi, dans la conception générale de cet auteur,les sciences et la philosophie se confondent; la finalité prend un sens étroitement défini, qui la réduit aux étapes enchaînées de la causalité ; le « libre arbitre » devient une fiction, qui masque la « liberté » véritable, laquelle « suppose le déterminisme » (p. 236); « l'intelligence est le dernier et le plus haut degré de l'évolution » biologique ; enfin, la métaphysique, réfractaire au cadre des sciences tracé par M. Goblot, est déclarée inexistante de droit : « ce n'est pas assez de dire que les problèmes métaphysiques sont insolubles : ils ne peuvent même pas être posés ; ce ne sont même pas des problèmes, ce sont des pseudo-problèmes » (p. 218).

Ces conclusions, qui appellent bien des réserves, découlent de l'erreur initiale d'un rationalisme qui confond l'intelligence avec l'entendement discursif, l'« intelligible » avec le << rationnel »>; elles trahissent aussi quelques malentendus sur la signification des métaphysiques anciennes.

Chose curieuse, l'auteur ne croit pas que ses opinions puissent heurter les convictions de lecteurs catholiques. De très bonne foi, nous n'en doutons pas, il leur ouvre une échappatoire : « Il va sans dire que cette critique de l'ontologie rationaliste (N. B. Il s'agit, en réalité, d'une ontologie du

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