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n'aurait que difficilement cours parmi des intelligences françaises. On y a provisoirement re

noncé.

Ce qu'on a gardé de Hegel, ce sont des habitudes d'esprit, des idées générales, des principes de critique, non rigoureusement enchaînés entre eux, mais d'autant plus puissants peut-être pour dissoudre les croyances spiritualistes. Un système, si spécieux qu'il soit, est toujours par quelque endroit artificiel et forcé. Au contraire, des vues isolées, flottantes, pénètrent bien plus facilement que le système lui-même dans les intelligences, moins en défiance, moins averties, si je puis dire.

La négation du Dieu réel et vivant; la thèse de la personnalité divine déclarée un non-sens, et ne souffrant même plus la discussion des penseurs sérieux; l'idée d'un certain Être indéterminé, placé à l'origine des choses, principe obscur qui se détermine par la succession des phénomènes, sous la double forme de la Nature et de l'Histoire; la cause efficiente et la cause finale du Monde inhérentes au Monde lui-même, immanentes, non transcendantes, ce qui revient à dire que le Monde est à lui-même sa cause efficiente et sa cause finale; l'identité des contradictoires, adoptée, sinon comme la base d'une logique nouvelle, du moins comme un excellent principe de critique; toute vérité et toute réalité s'évanouissant dans les formes fugitives de l'universel devenir; voilà quelques idées que l'on a mises en grand

crédit, et qui sont de la plus pure race hégélienne. C'est l'esprit de Hegel, débarrassé du poids de ses formules et de la longue chaîne de ses déductions abstraites; mais d'autant plus souple, plus actif, partout reconnaissable dans les écoles les plus nouvelles et les talents les plus divers. La critique, l'histoire, la philosophie, en ont senti tour à tour la secrète contagion.

La marque la plus générale par où je reconnais l'influence de l'esprit nouveau, c'est cette opinion, partout répandue, que la vérité a un caractère essentiellement relatif. A supposer que l'absolu existe, on nous assure qu'il est situé hors des prises de notre esprit; il est pour nous comme s'il n'était pas.

Les objets de la raison tombent sous la condition de la nature où tout est mouvement, transition: L'univers, nous dit-on, n'est que le flux éternel des choses, et il en est du beau, du vrai, du bien, comme du reste ils ne sont pas, ils se font; ils sont moins le but vers lequel tend l'humanité, que le résultat changeant des efforts de tous les hommes et de tous les siècles '.

Voilà la pensée abandonnée à ses propres incertitudes, condamnée à poursuivre sans fin un but qui fuit toujours, ne trouvant nulle part ni points de repère, ni points d'arrêt; rien de fixe où prendre son appui dans le vertige qui l'entraîne. Il n'y a

1. M. Schérer.

plus que des points mouvants qu'elle sent vaciller autour d'elle, que le flot emporte au milieu de cet écoulement des choses, entre les rives mobiles du temps.

Le mouvement de la Nature détruisant toute réalité fixe; l'objet de la pensée entraîné dans le torrent des phénomènes avec la pensée elle-même; l'homme devenant la mesure du vrai, non pas par sa raison générale, qui est une fiction des métaphysiciens, mais par ses impressions individuelles, cette doctrine, qui reparaît avec éclat au jour, sera reconnue sans peine par tous ceux qui ont eu quelque commerce avec l'antiquité. Cinq siècles avant l'ère chrétienne, Protagoras l'enseignait sous les portiques d'Athènes, aux applaudissements d'une jeunesse fatiguée des vieux dogmes, et qui trouvait, elle aussi, que la philosophie avait fait son temps. « L'homme est la mesure de toutes choses, disait l'audacieux novateur, des choses qui sont en tant qu'elles sont, des choses qui ne sont pas en tant qu'elles ne sont pas. »

On connaît l'admiration de Hegel, dans son Histoire de la philosophie, pour cette célèbre maxime : Πάντων χρημάτων μέτρον ἄνθρωπος. II la commente avec enthousiasme. C'est le retour de la pensée sur elle-même, dit-il. La dialectique tournée par les Éléates contre la nature se tourne maintenant contre les vérités rationnelles. Le sujet tend à s'ériger en principe absolu et à tout rapporter à lui. C'est une ère nouvelle qui commence en phi

losophie; c'est l'arrêt de mort des vieux dogmatismes.

Aujourd'hui la négation est la même; les conséquences sont les mêmes aussi : la vérité soumise à la loi du devenir, rentrant dans la catégorie des phénomènes, toujours en voie de dissolution ou de formation, changeant selon les modes de l'esprit, ce qui revient à dire qu'il n'y a plus de vérités, mais des opinions; plus de couleurs fixes, mais des

nuances.

Si l'on admet qu'il n'y ait pas de règle pour la raison, tout sera vrai à titre égal dans les mille conflits de l'opinion humaine, et rien ne sera vrai, aucune pensée ne saisissant l'ensemble complexe des choses. Chaque vérité est partielle, limitée, vraie et fausse à la fois. Pour être vraie autant qu'une approximation peut l'être, elle a besoin d'être complétée par ses contraires. La contradiction devient ainsi un élément intégrant de la science. Les adeptes conservent pieusement ce culte pour la thèse et l'antithèse, pour l'affirmation et la négation, opposées par une sorte de symétrie logique dans les deux premiers moments de l'idée. Et ce n'est pas là un culte platonique, un stérile hommage au maître. Tous les écrits de la nouvelle école sont frappés au rhythme de cette dialectique des contraires. La contradiction étant, on l'a dit, en certaines matières, le signe de la vérité', on s'en est fait un procédé, une façon ha

1. M. Renan.

bituelle de concevoir les choses. Voilà certes un trait bien reconnaissable, qui nous permet de dire que si la doctrine de Hegel est morte, son esprit est plus vivant que jamais parmi nous.

L'absolu étant une chimère, il faut que l'on renonce à étudier l'esprit humain en soi, dans ses idées pures, dans ses objets immuables, dans son fonds éternel. On ne doit plus l'étudier que dans ses évolutions diverses, dans le relatif, dans l'histoire. C'est là, nous dit-on, le grand progrès du dix-neuvième siècle les sciences historiques remplaçant la science psychologique et la métaphysique elle-même. La nouvelle critique abandonne aux scolastiques et aux rêveurs l'étude abstraite des idées pures. Elle s'honore de n'avoir de goût que pour les faits. D'ailleurs les faits se confondent avec les idées pour un hégélien qui admet l'identité de l'être et de la pensée, du réel et du rationnel. Les faits, ce sont les idées vues du bon côté, du côté réel et expérimental. Les idées vues de l'autre côté, du côté purement rationnel, ce sont des idoles métaphysiques, inertes et stériles comme toutes les abstractions.

Sous cette influence se renouvellent simultanément toutes les formes de la critique, littéraire, historique et religieuse.

S'il faut croire que le vrai, le beau, le bien, ne sont pas, mais qu'ils se font; qu'ils sont moins un but fixe qu'une résultante mobile, la doctrine de l'idéal est condamnée d'avance dans la littérature et dans l'art. Il n'y a plus de beau absolu dont les diffé

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