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pensée et par elle. De vrai, il n'y a d'infini que prit humain, quand il pense l'infini. Penser Dieu, c'est le créer. Ce que le vulgaire appelle de ce nom n'est que le plus haut degré où puisse s'élever la raison. Dieu n'est que le divin; c'est une qualité, non un être. Il y a des choses divines, mais Dieu n'est pas. La critique nouvelle, a-t-on dit, ne détruit pas Dieu, elle le dissout et le dissémine. En vérité, il faut être bien délicat pour apercevoir quelque différence entre ces deux opérations. II est trop clair que le mouvement religieux de l'humanité n'a plus d'objet. L'élan se continue, mais il se perd dans le vide. En vain, pour remplir ce vide infini, évoque-t-on de grandes idées, de grands mots. Ces idées ne sont plus que de purs fantômes d'abstraction. L'absolu sans l'être, l'universel sans substance, l'idéal sans réalité, tout cela n'est pas Dieu. Il y a là je ne sais quelle suprême ironie : des mots qui prennent la place des êtres un nom qui devient Dieu. L'axiome Nomina Numina est à la lettre une vérité pour les nouvelles écoles.

On voit à quoi aboutit cette fameuse religion du sentiment libre. Elle n'est plus qu'un phénomène subjectif; c'est une sensation sans objet, une hallucination d'un nouveau genre, l'hallucination du divin.

Dieu n'est pas un être. Dès lors, il n'y a pas pour l'homme d'autre destinée que celle de l'espèce. Tous ces mots, immortalité, Ciel, vie future, sont le leurre des imaginations mystiques. Les vrais penseurs

fortifiés par la science, se font un cœur intrépide en conformant leurs sentiments aux idées vraies; ils écartent dédaigneusement cette légion de chimères, qui assiégent les cerveaux faibles. La véritable forme de l'immortalité, c'est notre pensée, quand elle s'attache aux choses éternelles; le vrai ciel, le seul, c'est notre raison. Connaître sa dépendance de l'ordre universel, qui est l'universel mécanisme, voilà la seule immortalité qui nous

reste.

Indifférence philosophique à l'égard des compensations de destinée que réclame notre cœur affamé de justice; indifférence historique à l'égard des misères, des souffrances et des crimes du passé, qui, expliqués et ramenés sous leur loi, ne sont pas autre chose que des fatalités de race, de temps et de lieu; c'est là une doctrine bien dure, implacable. Mais, quel intérêt voulez-vous que nous inspire cette multitude d'individualités, sans lien dans le passé, sans espérances dans l'avenir, formes fugitives dont l'apparition et l'évanouissement dans le temps sont réglés par la fatalité de lois inexorables? Au vrai, sont-ce des êtres ? Non pas; ce sont des formes d'être, dont le seul but est de réaliser un instant le type, de manifester l'espèce. Ce qui existe seul, c'est le type; lui seul importe; la Nature ne s'intéresse qu'à lui et proclame sa souveraine indifférence pour l'individu, dont le rôle est fini dès qu'il a transmis à d'autres l'hérédité de l'idée que l'espèce représente. Pouvons-nous faire mieux que d'imiter

la Nature, c'est-à-dire la nécessité des choses? Pourquoi nous attendrir sur le sort de ces éphémères, qui n'ont rien de sacré que par les lois naturelles qu'ils manifestent? Étudions ces lois et nous aurons atteint le but le plus élevé de la vie, la science.

L'attendrissement sur des misères individuelles serait donc une indigne faiblesse pour qui, une seule fois, s'est élevé à la contemplation de l'universel. Qu'importent les souffrances de cette vie, les douleurs vulgaires, les oppressions subies par les peuples, les injustices souffertes par les individus ? Qu'importe tout cela à qui, une fois, a conçu l'ensemble des choses et substitué en lui l'idée de la totalité de l'existence à l'étroite et basse préoccupation d'un simulacre d'individualité?

Il se crée ainsi dans certains esprits une habitude de curiosité désintéressée qui peut devenir, si l'on n'y prend garde, une jouissance mauvaise. On assiste au spectacle de l'humanité; on ne se soucie que de mesurer les forces mécaniques par lesquelles se meut l'immense décor, et les forces intellectuelles, également fatales, par lesquelles sont produits les divers actes du drame qui se joue; on ne s'inquiète d'ailleurs ni de la vérité des idées que contiennent les symboles éphémères qui se succèdent, ni de l'obscur dénouement poursuivi par chacune des générations qui passent sur la scène et la remplissent tour à tour de leurs passions, de leurs douleurs, de leurs misères. Qu'il y ait des larmes et du sang sur cette scène, il importe peu. Les acteurs

y passent si vite! Tout cela, pure tragédie, blessures et cris de théâtre! Le Penseur, simple spectateur dans l'univers, s'est dit d'avance à luimême que le monde ne lui appartient que comme sujet d'étude. Ne le troublez pas dans ses joies d'artiste.

D'ailleurs, pourquoi s'inquiéter de l'avenir? On ne nie pas le progrès, on l'explique, on démontre qu'il s'accomplira bien malgré nous, sans nous. Les conceptions d'Hegel ont renouvelé la philosophie de l'histoire. Le mouvement est fatal, continu, il ne se laisse ni arrêter ni diriger. Nos faibles efforts ne réussiraient pas plus à l'accélérer que nos résistances insensées à le suspendre. L'illusion de la volonté humaine se montre ici dans toute son impuissance. De là un quiétisme nouveau qui se fonde sur la conviction de l'universelle fatalité. L'idée fera bien son chemin toute seule, à travers les obstacles et les abîmes, vers le but qui fuit toujours, mais qu'elle poursuit sans trêve. L'esprit souffle où il veut; il prend à son service et quitte tour à tour les plus hautes individualités humaines, qui ne sont que les formes passagères de son éternelle incarnation, Socrate ou Confucius, Bouddha ou Jésus, Périclès ou Washington, César ou Napoléon. Laissez-le accomplir, sans prétendre l'aider, son éternel labeur. Le seul effort, digne du Penseur qui n'en doit pas faire d'inutiles, est d'essayer de comprendre le sens divin des grands symboles dans lesquels passe succes

sivement l'esprit infini. Comprendre, c'est égaler. Comprendre l'infini, c'est le devenir soi-même. La philosophie de l'histoire, ainsi entendue, ne sollicite ni le dévouement actif, ni l'effort pratique. Le dévouement spéculatif lui suffit. L'hommage le plus délicat qu'on puisse rendre à l'humanité, c'est d'essayer de saisir les lois qui la gouvernent. Le seul héroïsme qu'elle réclame, c'est l'héroïsme de l'étude. Son plus utile collaborateur, c'est le critique. Je cherchais le nom de ce quiétisme. C'est le quiétisme scientifique.

Par bonheur la logique absolue n'est pas toujours celle que l'on suit. Plus d'un de nos Hégéliens de Paris protestera contre ces conséquences. Il y a, parmi eux, des esprits ardents qui professent des doctrines sociales, très-sympathiques à l'humanité, dans lesquelles se mêlent confusément des idées généreuses et d'incroyables illusions. Ils ont leur utopie au service de laquelle ils mettent un dévouement tout prêt. C'est un singulier contraste avec l'indifférence spéculative des autres penseurs de la même école. Mais il faut tenir compte des contradictions de cette école, qui sont un des éléments essentiels de son histoire.

<< Nous poursuivrons le bonheur des peuples, s'écriait Henri Heine; nous ne combattrons point pour les droits humains des peuples, mais pour les droits divins de l'humanité; nous fonderons une démocratie de dieux terrestres, égaux en béatitude. » Je n'examinerai pas si le poëte de l'ironie par excel

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