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savoir comment. Ils n'existent pas en vue d'un but; ils atteignent ce but parce qu'ils existent de telle manière plutôt que de telle autre. Un organe se caractérise par sa conformation et non par son usage; car le même organe remplit les rôles les plus divers, et réciproquement la même fonction peut être accomplie par des organes très-différents : ainsi le nez chez l'éléphant et la queue chez certains singes peuvent remplir l'office de la main; celle-ci à son tour devient une aile, une rame, une nageoire. Aussi de Candolle disait-il : « Les oiseaux volent parce qu'ils ont des ailes, mais un véritable naturaliste ne dira jamais : les oiseaux ont des ailes pour voler. » Les fonctions sont un résultat et non pas un but. L'animal subit le genre de vie que ses organes lui imposent. Le naturaliste étudie le jeu de ses appareils, et s'il a le droit d'admirer la perfection du plus grand nombre, il a aussi celui de constater l'imperfection de quelques autres et l'inutilité pratique de ceux qui ne remplissent aucune fonction'.

Les fonctions sont un résultat et non pas un but! Voilà sans contredit l'interversion la plus complète de nos idées, la négation radicale de la finalité. Si c'était là une simple recommandation de prudence dans l'emploi de la méthode pour découvrir les faits, nous n'aurions rien à dire. Mais c'est toute une doctrine, et elle est grave. Elle substitue une industrie

1. Ch. Martins. De l'unité organique dans les animaux et dans les végétaux.

aveugle dans la nature à un travail intelligent; elle affirme que quand le résultat est atteint, cela se fait sans qu'aucune intelligence l'ait voulu ou pensé, par un simple concours de causes mécaniques, travaillant sans direction, sans plan, par une sorte de fatalité qui n'a rien à voir avec la finalité et qui même l'exclut.

Nous connaissions déjà cette théorie de la nature. Lucrèce l'avait exposée dans des vers d'une précision rare quand il nous dit :

....

Nil natum est in corpore, ut uti

« Possemus, sed quod natum est id procreat usum',

Les organes ne nous sont pas donnés en vue de l'usage que nous pouvons en faire, c'est en se formant qu'ils déterminent l'usage que nous en faisons. N'est-ce pas là, précisément, la théorie de nos modernes naturalistes? On nous assure que lorsque nous admirons la conformité au but, nous admirons une merveille que nous créons nous-mêmes. Les choses fussentelles tout autres qu'elles ne sont, par l'effet de causes mécaniques autrement disposées, nous n'en serions pas moins disposés à les trouver conformes au but. Nous ne renoncerions pas pour cela à la merveille; nous l'expliquerions autrement, voilà tout. C'est ici, comme ailleurs, le miracle psychologique se transformant en miracle théologique; c'est le merveilleux de l'imagination humaine mis à la place du mécanisme universel, seul principe, seule cause.

1. De Natura Rerum, lib. IV.

Si la finalité est ailleurs que dans l'esprit humain, si elle est dans la Nature, comment se fait-il, nous dit-on, que la nature produise un si grand nombre de créations inexplicables par la conformité au but? Comment comprendre qu'elle commette tant de bévues et d'inepties, qu'elle tâtonne si souvent, qu'elle se laisse si gravement troubler dans ses procédés par des accidents extérieurs qu'elle ne sait ni prévoir, ni réparer? Les monstruosités, les anomalies, le gaspillage des créations inutiles et des forces perdues, la fécondité ridicule de certains animaux qui couvriraient en peu d'années la terre, s'ils ne périssaient aussi aisément qu'ils naissent, tant de détours si compliqués pour atteindre de prétendues fins que la Nature atteindrait si facilement si elle y tenait et si elle les connaissait, tout cela n'est-ce pas la condamnation des causes finales? Ces arguments ne varient guère. Kant les indiquait déjà avec une précision qu'on n'a pas dépassée. Mais la science en s'étendant et en multipliant ses observations, a multiplié les incidents et les faits, sans rien changer à l'objection fondamentale. C'est toujours la même irrégularité dénoncée dans les opérations de la nature, la même incertitude, le même et perpétuel tâtonnement. Dans chaque espèce organique, l'anatomie comparée nous montre des formes et des organes inutiles à cette espèce, nullement conformes au but que poursuit l'animal et à son genre de vie. C'est l'humérus caché dans la nageoire des cétacés, ce sont les deux

mamelles rudimentaires dans l'homme; ce sont les formes transitoires du fœtus, dans lesquelles les mammifères ressemblent aux poissons et aux reptiles avant d'atteindre leur forme véritable. De ces faits et de mille autres semblables, on conclut qu'il y a de l'inutile dans le monde organique, ce qui est l'assertion la plus contraire à la finalité. On soutient qu'il y a même de l'incohérence et du désordre, si l'on prétend expliquer chaque détail par l'idée d'une cause finale. Cette idée a fait son temps, elle ne suffit plus à la science.

Mais voici une théorie qui explique précisément tous ces désordres, toutes ces inutilités, tous ces détours et ces tâtonnements constatés dans les opérations de la Nature. C'est l'idée de l'unité de composition ou d'un procédé unique, suivi par la force aveugle des choses.

Geoffroy Saint-Hilaire et Goethe se sont emparés en maîtres de cette grande vérité que la Nature ne se dissipe pas, comme on pourrait le croire, dans une variété sans limites et dans la profusion des détails; que pour le regard de l'observateur attentif au fond des choses, l'apparente et inépuisable diversité des formes recouvre une certaine unité, sensible par ses effets, qui rattache ces formes les unes aux autres et les domine toutes; que la Nature compense par l'universalité de ses lois, on pourrait dire par l'unité de la loi fondamentale, l'incroyable fécondité de ses combinaisons; que partout prodigue de variétés, avare d'innovations, elle diversifie à l'infini

la vie en lui assignant, dans quelques conditions très-simples et très-générales, une limite qu'elle ne franchit pas.

Au fond qu'est-ce que cette unité? C'est à tort que l'on se sert pour la désigner de ces expressions qui rappellent trop la théorie condamnée des causes finales, unité de composition, de type, de plan. M. Littré propose de dire plus simplement la loi de développement. L'analogie des formes que l'on retrouve partout dans la structure des êtres organisés, même quand ces formes leur sont tout à fait inutiles, révèle aux positivistes deux faits: le premier, que la nature agit sans l'intelligence du but; le second, qu'elle agit toujours et partout uniformément. L'analogie de ses efforts, dans les organismes les plus différents, démontre la monotonie de son procédé. La diversité de ces organismes ne tient qu'à des accidents extérieurs qui réagissent sur le procédé unique et en altèrent la direction fondamentale. La Nature est un pur mécanisme élaborant tout ce qui vit d'après une seule loi, se répétant sans fin et ne variant pas les êtres en raison des fins différentes qu'elle leur assigne, mais en raison des circonstances qu'elle rencontre au dehors et auxquelles il faut bien qu'elle s'accommode. D'où la diversité apparente de ses opérations dans l'unité du procédé qui relie entre elles toutes les formes et toutes les espèces.

Nous n'avons à discuter ici ni la doctrine de Geoffroy-Saint-Hilaire, ni les conséquences que l'on

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