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qu'au bout l'explication mécanique du monde. On a fait des Genèses sans dieu, véritables poëmes où, pour n'être plus divin, le merveilleux ne manque pas. N'est-ce pas quelque chose de merveilleux, en effet, que cette tendance au progrès qu'on dépose dans l'atome éternel, et qui le pousse à la vie comme par une sorte de ressort intime, ces passages de la période atomique à la période moléculaire, de celle-ci à la période solaire, etc., etc.? On voit naître ainsi l'univers, grâce à cette hypothèse, bien humble en effet, d'un besoin de marche et de progrès que l'on attribue à l'atome, qui coexiste en lui, on ne sait comment, avec le règne de la mécanique pure, et qui le conduit successivement, dans un triomphe graduel, au règne des lois chimiques, à la vie, à la sensation, à la raison. Rien de plus simple, en vérité, l'hypothèse une fois admise. Mais cette hypothèse est tout; elle seule est plus incompréhensible que Dieu.

Sur son chemin, la Genèse nouvelle recueille les théories les plus contestables, les conjectures les plus hasardées. Elle va intrépidement à son but en s'aidant de tout ce qui peut la servir, en tenant pour non avenu tout ce qui la contrarie. Elle a un grand faible pour la thèse, pourtant bien compromise, des générations spontanées. Elle triomphe avec Lyell de la fable du Déluge et des Révolutions terrestres que racontait Cuvier. Elle se reconnaît elle-même avec enthousiasme dans les idées de Darwin, bien qu'elle incline à trouver Darwin timide. De fait, il y a

moins loin du polype à l'homme que de l'atome à la pensée. Ainsi la création intentionnelle cède la place à une métamorphose lente et inconsciente qui conduit l'Étre de son plus bas degré, où règne la mécanique pure, à son plus haut degré, où l'Idéal se révèle dans la raison. La marche est longue. L'Etre est parti il y a longtemps, bien longtemps; mais, au terme de son Odyssée, que ne saura-t-il pas? Et sachant tout, il pourra tout. Il sera vraiment maître de l'univers et de la vie : il sera Dieu. Dieu n'est donc pas en arrière, caché dans les ombres d'une cosmogonie superstitieuse; il est devant nous; il est en voie de se faire.

Ces idées trouvent des enthousiastes. Il y a parmi nous toute une classe d'esprits scientifiquement désorganisés, habiles à saisir les phénomènes, les lois, dans les divers ordres de la réalité, dans la nature ou dans l'histoire, mais incapables par l'effet d'une inertie systématique qui se prend pour une force, de s'élever à la conception de la Cause divine, la dernière raison des lois naturelles, comme les lois sont la raison des faits. C'est un auditoire admirablement préparé pour accueillir avec sympathie la critique philosophique ou religieuse qui se propose d'écarter du monde toute cause transcendante. A ce point se rejoignent, partis des deux côtés opposés de l'horizon, l'empirisme, le naturalisme, qui ôtent à la Cause intelligente tout prétexte d'intervenir dans le développement du Monde, et les spéculations des Hégéliens, pour qui l'idée de

l'Absolu est l'Absolu lui-même, se cherchant depuis les degrés inférieurs de l'être jusqu'à la conscience humaine où il se reconnaît enfin, et s'étant reconnu, s'adore.

III

C'est par le concours de ces influences diverses que s'est fondée et propagée la philosophie que nous venons combattre. Elle s'inspire de la critique de Kant et de la dialectique hégélienne, dont le résultat le plus clair est de dissoudre toute métaphysique et d'enlever à la pensée humaine son point d'appui dans l'absolu; elle trouve un auxiliaire énergique dans le Positivisme, qui, appliquant à tous les objets et à toutes les formes de la connaissance une règle unique, refuse d'admettre tout procédé qui ne repose pas sur l'observation directe et toute réalité que l'expérience sensible ne saisit pas; enfin elle tire une grande partie de sa force des hardiesses de la critique religieuse qui, dans la discussion des origines du Christianisme, porte ses coups au delà du but qu'elle se marque à elle-même et atteint jusqu'aux principes du spiritualisme.

La philosophie nouvelle est la résultante de toutes ces tendances combinées, l'expression d'un grand travail intérieur des intelligences. En les exprimant, elle donne à ces dispositions critiques de l'esprit moderne une précision, une force nouvelles; elle leur donne la pleine conscience d'elles-mêmes qu'elles

n'avaient pas auparavant. Elle leur donne surtout le prestige de grands talents qui se font leurs interprètes devant l'opinion, et par qui elles arrivent à la parole et à la vie.

MM. Renan, Taine et Vacherot représentent avec distinction trois catégories d'esprits, trois nuances. importantes dans la philosophie nouvelle. Ils peuvent être pris comme types et comme sujets d'étude.

M. Taine remonte par des sympathies assez confuses vers Spinoza et vers Hegel, mais sa méthode et sa doctrine le rattachent plus particulièrement à l'école positiviste, dont il ne se distingue que par la vigueur de son tempérament d'esprit. Nous avons ailleurs traité avec assez de soin des principes et des conclusions de l'école de M. Comte' pour nous croire dispensés d'y revenir aujourd'hui. Nous nous occuperons uniquement ici de la forme originale qu'imprime au naturalisme l'énergique individualité de M. Taine.

La doctrine de M. Vacherot semble, au premier abord, ne pas s'éloigner beaucoup du Positivisme. Elle est purgée avec le plus grand soin de toute idée de Cause transcendante. Mais tout en refusant de croire à l'existence d'une réalité supérieure au Monde, M. Vacherot prétend sauver de la métaphysique l'essentiel. Il admet des concepts à priori, qui s'imposent aux données de l'expérience pour y mettre la lumière et l'ordre; il admet Dieu, en l'expli

1. Particulièrement dans nos Études morales sur le temps présent.

quant, il est vrai, à sa manière, en le réduisant à n'être plus qu'une abstraction. Mais l'importance qu'il donne dans la philosophie à ces concepts à priori et surtout à l'idéal divin lui assure une place à part, sans parler de sa foi aux sciences psychologiques et au libre arbitre qui en est l'âme, sans parler enfin de son talent d'analyse, qui est du premier ordre.

La nuance la plus populaire, parce qu'elle est la plus vague, est celle que représente M. Renan. C'est tantôt une sorte de scepticisme scientifique, de positivisme, s'arrachant par un effort définitif aux rêves de la vieille humanité, prenant parti contre les illusions; tantôt un mysticisme qui se répand en aspirations et en extases vers un objet idéal qu'on ne définit pas1. Critique éternellement suspendue en

1. Si l'on pouvait jamais être assuré que l'on tient dans une définition un talent comme celui de M. Sainte-Beuve, l'aversion qu'il manifeste en toute occasion pour toute forme de dogmatisme littéraire ou philosophique, le soin qu'il a pour lui-même et qu'il recommande à chacun de tenir son esprit « toujours fluide et vivant, » le peu de goût qu'il montre pour les idées métaphysiques ou religieuses, tous ces traits et bien d'autres permettraient peutêtre qu'on essayât de marquer un jour, dans l'histoire de cette philosophie nouvelle, la physionomie originale de ce merveilleux écrivain, plus redoutable à une doctrine par son ironie que les autres par leurs discussions.

M. Schérer mériterait aussi une étude à part, comme écrivain et comme penseur de la même école, si l'on peut parler d'école à propos de ces libres et mobiles esprits. Il a plus d'un point com mun avec M. Renan, avec plus de décision dans le détail et un tour d'esprit moins élégiaque. Théologien avant d'être critique, il applique aujourd'hui aux discussions littéraires et politiques toutes les ressources d'un esprit riche de son propre fonds et plusieurs fois renouvelé dans la diversité de ses goûts et de ses études.

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