Sayfadaki görseller
PDF
ePub

prouvé que si ces républiques avaient survécu, elles auraient aujourd'hui les deux chambres, et tous les Italiens riches iraient s'y établir.

Mon abbé ultra meurt d'envie d'aller voir à Paris la Chambre des députés, il a besoin de pouvoir prouver aux autres et peut-être à lui-même que c'est une invention détestable. Je lui conte des anecdotes qui le font sourire et un instant après le torturent; enfin la musique a fini. Un Florentin fort aimable disait à madame Lampugnani : « Le meilleur commentaire sur un grand poëte, l'Arioste par exemple, c'est le récit des circonstances au milieu desquelles il a vécu.

« Quand l'Arioste, qui vivait à la cour de Ferrare où il était à peu près sous-préfet, avait trente ans, en 1505, voici ce qu'y faisait le cardinal Hippolyte, qu'il a tant célébré. Le cardinal voulait plaire à une dame de ses parentes qui avait pour amant don Jules d'Este, son frère naturel; un jour Hippolyte, reprochant à cette dame la préférence qu'elle accordait à son rival, elle s'en excusa en alléguant la puissance qu'exerçaient sur elle les beaux yeux de don Jules. Le cardinal sort de chez elle furieux; et, apprenant que son frère don Jules est à la chasse, il va le surprendre dans les bois, le long du Pô, le force à descendre de cheval, et là en sa présence lui fait arracher les yeux par ses écuyers. Mais, bien que le cardinal surveillât ses gens pendant cette atroce exécution, don Jules, quoique défiguré, ne perdit pas absolument la vue1.

« L'aimable Alphonse, frère de Jules et d'Hippolyte, qui régnait alors, n'était pas assez puissant pour punir un prince de l'Église. Il passait une grande partie de ses journées à surveil ler la fonte de ses canons de bronze. (On sait qu'il s'immortalisa à la bataille de Ravenne, par la première grande manœu

1 Guichardin, liv. VI, p. 357.

vre d'artillerie en rase campagne, dont l'histoire fasse mention.) Il s'oubliait des matinées entières dans son atelier de tourneur, où il exécutait avec beaucoup d'adresse des travaux en bois. Ne songeant qu'à vivre gaiement, il admettait à une familiarité intime les hommes d'esprit qui se trouvaient à Ferrare; on comptait parmi eux l'Arioste, des bouffons et des hommes de plaisir. Alphonse, sentant en lui les grandes qualités qui font le prince, vivait sans affectation, sans pédanterie, et ses sujets le jugeaient peu digne du trône.

« Une ambition démesurée porta son second frère don Ferdinand à tirer parti de cette circonstance; un ardent désir de vengeance poursuivait le malheureux don Jules devenu main- " tenant fort laid; tous deux cherchèrent et trouvèrent des associés pour renverser le gouvernement. Don Jules voulait se venger par le fer et le poison d'Hippolyte et d'Alphonse, qui ne l'avait pas puni, Ferdinand n'en voulait qu'à la cou

ronne.

« La difficulté de cette conspiration était de se défaire des deux frères à la fois. On ne les voyait ensemble que dans les grandes cérémonies, et alors ils étaient entourés d'une garde nombreuse; ils ne mangeaient jamais l'un avec l'autre; Alphonse, entouré de sa joyeuse compagnie, prenait ses repas de bonne heure; le cardinal Hippolyte, avec toute la pompe et la délicatesse d'un homme d'église, prolongeait les siens jusqu'à minuit.

<< Les conjurés attendaient une occasion favorable. L'un d'eux, Giani, chanteur célèbre, faisait tant de plaisir au duc par son talent, que ce prince jouait avec lui comme un écolier. Souvent dans les jeux auxquels ils se livraient ensemble dans les jardins, Giani avait lié les mains au prince et aurait pu l'assassiner. Mais Hippolyte ne perdait point le souvenir de ce qu'il avait fait; par ses ordres on surveillait de fort près

7

[ocr errors]

toutes les démarches de don Jules, et enfin, au mois de juillet 1506, le cardinal surprit le secret du complot.

« Le pauvre don Jules eut le temps de s'enfuir jusqu'à Mantoue, mais il fut livré par le marquis François II de Gonzague. La torture infligée à Giani et aux autres conjurés fit connaître parfaitement le projet des deux frères. Les subalternes furent mis à mort; Ferdinand et Jules, qui avaient été condamnés au même supplice, reçurent leur grâce comme ils étaient déjà sur l'échafaud; leur peine fut commuée en une prison perpétuelle. Ferdinand y mourut en 1540; Jules fut remis en liberté en 1559, après cinquante-trois ans de captivité. Nous avons vu les portraits de tous ces gens-là dans la bibliothèque de Ferrare. »

J'ai rapporté cette anecdote parce qu'elle est plus ou moins dissimulée par tous les gens d'esprit du temps, qui cherchaient à plaire à Alphonse. L'Arioste, en introduisant les deux malheureux frères parmi les ombres présentées à Bradamante, se récrie sur la clémence d'Aphonse 1.

Vers l'an 1500, les princes commencèrent à craindre l'histoire et à acheter les historiens. L'histoire d'Italie, si belle jusqu'alors, devient vers 1550 comme l'histoire de France de Mézeray, du père Daniel, de Velly, etc.: on lit un homme acheté par de l'argent ou par le désir de la considération et la nécessité de ménager des préjugés puissants. Le seul SaintSimon fait exception parmi nous; quant à l'Italie, Guichardin est un vil coquin; Paul Jove ne dit la vérité que lorsqu'il n'est pas payé pour mentir, et il s'en vante.

8 juillet 1828. - Nous errions ce matin sur le mont Aventin par un temps enchanteur, pas de soleil et des bouffées d'un air frais qui vient de la mer; il y a eu sans doute quelque

1 Orlando furioso, chant III, octaves LX et LXII.

tempête cette nuit : nous flânions, en vrais badauds heureux d'exister. Nous avons parcouru le mont Coelius, derrière le prieuré de Malte. Après avoir haussé les épaules à la vue des ornements placés ici par le cardinal Rezzonico, et bien dignes du siècle de Louis XV, nous sommes arrivés à la porte d'une vigne. Nous avons frappé longtemps; enfin une vieille femme est venue nous ouvrir, escortée de son petit chien hargneux; elle l'a fait taire, et s'est mise à faire le cicerone avec beaucoup d'empressement.

Saint-Étienne-le-Rond, San-Stefano-Rotondo, dont vous voyez la forme générale, fut un temple élevé en l'honneur de l'empereur Claude. La première église consacrée à saint Etienne fut construite par saint Simplicius en l'an 467. Mais dans la notice écrite par ce saint lui-même, on trouve à la fois l'église de Saint-Étienne et le temple de Claude. Remarquez bien que de son temps, en 467, l'autorité publique ne permettait pas encore aux chrétiens de démolir et d'occuper les monuments publics. Ce ne fut qu'en 772 que le pape Adrien Ier put s'emparer du temple de Claude, et sur ses fondements élever l'église que nous voyons. Nicolas V la fit réparer en 1454; Innocent VIII et Grégoire XIII y ont fait travailler.

Cette église, d'une forme très-singulière, est ornée de cinquante-six colonnes antiques disposées en deux files; presque toutes sont ioniques et de granit, six sont d'ordre corinthien et de marbre gree. C'est contre les murs intérieurs de la nef que sont ces affreuses peintures du Pomarancio et du Tempesta, si célèbres parmi les hommes vulgaires que le hasard fait passer à Rome; cela est intelligible pour ces messieurs, comme la guillotine en action. Cette réalité atroce est le sublime des âmes communes. Raphaël est bien froid auprès de saint Érasme dont on dévide les entrailles avec un tour.

En entrant j'ai vu près de la porte un saint dont la tête est

écrasée entre deux meules de moulin; l'œil est chassé de son orbite, et... Le reste est trop affreux pour que je l'écrive.

Les beaux vers de Racine décrivant un spectacle atroce en voilent l'horreur par leur élégance. Les fresques de San-Stefano-Rotondo ne sont point assez belles pour rendre supportables les supplices affreux qu'elles ne représentent que trop bien et trop clairement. Nos compagnes de voyage n'ont pu supporter la vue des tableaux qui couvrent l'enceinte du mur concave tout à l'entour de l'église; ces dames sont allées nous attendre à la Navicella. Nous avons eu le courage d'examiner ces fresques avec détail. Les hommes du dix-neuvième siècle ne sentent plus la passion qui faisait courir au martyre les premiers chrétiens. Notre sympathie nous donne l'idée d'une douleur qui réellement n'a jamais été sentie; la plupart des martyrs étaient plus ou moins dans l'état d'extase. De 1820 à 1825, six cents femmes du Bengale se sont brûlées sur la tombe de maris qu'elles n'aimaient point1. Voilà un sacrifice vraiment senti, une douleur réellement atroce. Il est bien plus aisé de braver la mort pour les intérêts d'une théorie métaphysique soutenue par des gens d'esprit qui de leurs discours tirent leur considération et leur subsistance; ils persuadent aisément aux âmes poétiques qu'elles vont acquérir un bonheur éternel au prix d'une douleur de quelques heures.

La plupart des voyageurs que nous voyons parler des martyrs à Rome sont décidés d'avance à tout croire ou à ne rien croire. Les femmes, qui tous les jours se brûlent dans l'Inde anglaise en l'honneur de maris qu'elles n'aimaient pas, repous

1 Beau triomphe de la législation! Les savants assurent que cet usage fut établi parce que autrefois les femmes indiennes se délivraient par le poison des maris incommodes. Depuis quarante ans les Indiens osent demander à leurs brames pourquoi les femmes doivent se brûler. Toutes les religions vont-elles s'éteindre ?

« ÖncekiDevam »