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Les marchands hollandais, le duc de Choiseul, ministre de Louis XV, et des milliers d'amateurs payent au poids de l'or un tableau représentant une grosse cuisinière ratissant le dos d'un cabillaud, pourvu que ce tableau réunisse les trois parties matérielles de la peinture. Les formes énormes des Nymphes de Rubens (Vie de Henri IV au Louvre), les figures souvent insignifiantes, du Titien font la conquête des hommes un peu moins dépourvus d'âme. Enfin, les trois quarts des voyageurs français se trouveraient bien en peine d'avoir un têteà-tête avec une des Madones de Raphaël; leur vanité souffrirait étrangement, et ils finiraient par la prendre en guignon; ils lui reprocheraient de la hauteur et s'en croiraient méprisés.

Quant à tous les tableaux de Raphaël dont le sujet n'est pas une jolie femme, les Parisiens arrivant à Rome n'ont pour eux que de l'estime sur parole; et, si le culte du laid triomphe tout à fait en France, ce peintre sera aussi méprisé dans quatre-vingts ans qu'il l'était il y a quatre-vingts ans.

Si le jeune peintre dont je parlais a beaucoup d'esprit et d'imagination, mais ne possède pas le sine qua non de son art, la couleur, le clair-obscur et le dessin, il fera de jolies caricatures comme Hogarth, dont personne ne regarde les tableaux une fois qu'on a saisi l'idée ingénieuse qu'ils sont destinés à présenter au spectateur.

La civilisation étiole les âmes. Ce qui frappe surtout, lorsqu'on revient de Rome à Paris, c'est l'extrême politesse et les yeux éteints de toutes les personnes qu'on rencontre.

Je faisais ces réflexions ce matin en accompagnant plusieurs jeunes femmes dans les ateliers de MM. Agricola et Cammucini. Le premier fait d'assez jolies imitations de Raphaël. Il ravale ce grand homme au niveau de notre tiédeur actuelle, en ôtant toute énergie à ses figures de Madones. Sans

aucun doute, une tête de femme de M. Agricola plaisait beaucoup plus ce matin que la plus belle Madone de Raphaël, tant l'énergie, quelque mitigée qu'elle soit par l'expression de la piété la plus tendre, est antipathique au dix-neuvième siècle.

M. Cammucini est un homme fort adroit, qui fait de grands tableaux de trente pieds de long, tels que la Mort de Virginie, la Mort de César, etc. Ces grandes toiles n'apprennent rien de nouveau et ne laissent aucun souvenir. Cela est correct, convenable et froid, absolument comme les poemes à grandes marges que Paris voit prôner tous les hivers. Le bon public ne sait quoi y blâmer.

M. le chevalier Cammucini a le talent assez commun de faire d'excellentes copies. Lorsque les victoires de l'armée d'Italie enlevèrent à Rome la Déposition de Croix si énergique de Michel-Ange de Carravage, en vingt-sept jours seulement M. Cammucini en fit une copie admirable pour le matériel de l'art, et qui n'affaiblissait pas trop l'expression des passions. Je louerai avec plaisir les dessins de M. Cammucini, d'après des figures isolées de Raphaël; ils annoncent réellement beaucoup de talent.

En sortant du magnifique atelier de ce peintre, nous sommes allés chez M. Finelli, sculpteur, place Barberini. Sa Vénus sortant de l'onde est une bien jolie chose, et a obtenu un succès réel auprès de nos compagnes de voyage si jolies elles-mêmes. La sculpture est un art sévère, et qui est loin de plaire au premier abord; depuis quelque temps nos compagnes de voyage ont surmonté ce premier mouvement d'antipathie. M. Finelli a beaucoup d'imagination, sous ce rapport c'est un véritable artiste.

Nous n'avons pu résister à l'envie de revoir la villa Ludovisi, dont nous étions tout près; nous sommes descendus ensuite à la villa Borghèse, où l'on nous a montré les nouvelles

acquisitions du prince. Le soir nous avons eu un bal charmant; il y avait des jeunes gens fort aimables, plusieurs étaient Allemands et les autres Russes. Ceux qui ont le moins de succès dans ce moment sont les Anglais; leur timidité souvent gauche trouve le moyen d'être offensante. L'un d'eux, horriblement triste, et prenant tous les événements de la vie du mauvais côté, a vingt-cinq ans et vingt-cinq mille louis de rente; il est d'ailleurs fort bel homme: il étalait ce soir un immense col de chemise en toile fort grosse. Ces deux ridicules l'ont perdu auprès des dames. Charmante figure de madame la marquise Florenzi de Pérouse; elle avait pour rivale miss N***, qui arrive de l'Inde.

15 juin. Toute l'Europe envie les éléments du bonheur réel que la France possède. L'Angleterre elle-même est bien loin de l'état de prospérité dont, si nous n'étions pas un peu fous, nous saurions jouir. Parce qu'un lieutenant d'artillerie est devenu empereur, et a jeté dans les sommités sociales deux ou trois cents Français nés pour vivre avec mille écus de rente, une ambition folle et nécessairement malheureuse a saisi tous les Français. Il n'est pas jusqu'aux jeunes gens qui ne répudient tous les plaisirs de leur âge, dans le fol espoirde devenir députés et d'éclipser la gloire de Mirabeau (mais on dit que Mirabeau avait des passions, et nos jeunes gens semblent être nés à cinquante ans). En présence des plus grands biens, un bandeau fatal couvre nos yeux, nous refusons de les reconnaître comme tels, et oublions d'en jouir. Par une folie contraire, les Anglais, réellement condamnés à un malheur inévitable par la dette et par leur affreuse aristocratie, mettent leur vanité à dire et à croire qu'ils sont fort heureux.

Le bon sens italien ne peut pas comprendre notre étrange folie. Les étrangers voient le résultat total de ce qui se passe

chez une nation, mais ils ne saisissent pas assez les détails pour voir comment le bien s'opère. De là cette croyance si plaisante si jamais l'Italie se lève pour obtenir la charte de Louis XVIII, la France l'appuiera.

A côté de cette supposition, le bon sens italien comprend fort bien que désormais toute charte peut se réduire à cet article unique:

« Chacun pourra imprimer ce qu'il voudra, et les délits de la presse seront jugés par un jury. »>

C'est par cette vérité qu'a commencé la longue discussion politique qui nous a occupés depuis la fin du spectacle jusqu'à deux heures du matin. Une nouvelle loi promulguée par M. le duc de Modène mettait tous les esprits en émoi; elle nous a été apportée par M. N***, peintre fort habile. Il nous raconte qu'en arrivant à Modène il était allé voir le musée avec un ami intime; ils parlaient bas, et les gardiens se tenaient loin d'eux; cependant, dès le lendemain matin, Son Altesse savait tout ce qu'ils avaient dit à l'occasion de ses tableaux. Voici la loi que je rapporte, pour n'être pas toujours cru sur parole; elle me semble fort bien faite :

« FRANÇOIS IV, par la grâce de Dieu, duc de Modène, Reggio, etc., archiduc d'Autriche, prince de Hongrie et de Bohême;

« Considérant la nécessité toujours croissante de mesures plus efficaces que celles actuellement existantes pour préserver nos sujets bienaimés de la contagion morale qui, par le moyen si facile de la presse, venue de pays même lointains, fait chaque jour de nouveaux ravages; tandis qu'en même temps la faculté de lire se répand et accroît ainsi le nombre des personnes exposées au danger, bien que privées d'instructions suffisantes pour le distinguer et en éviter les pernicieuses conséquences;

« Nous nous sommes déterminé à prendre de nouvelles mesures pour garantir nos sujets bien-aimés de cette horrible contagion, de telle sorte qu'à des signes extérieurs ils puissent immédiatement re

connaître celles des productions de la presse dont ils ne doivent craindre la séduction ni pour eux ni pour leurs enfants, certains ainsi qu'elles ne contiendront rien de contraire à notre sainte religion, aux princes et aux bonnes mœurs;

« Voulant pourtant que ces mesures n'entravent pas la circulation des livres réellement utiles et instructifs, avons ordonné et ordonnons ce qui suit :

« Art. 1er. Il sera établi une commission de censure, composée d'un nombre égal d'ecclésiastiques et de laïques. Tous les censeurs seront nommés par nous; mais les censeurs ecclésiastiques le seront d'accord avec les évêques diocésains.

« Art. 2. Nous confions la surveillance de la censure à notre département de la haute police... A cet effet, il sera formé, près de ce ministère, une section qu'on appellera Bureau de surveillance et de censure. Tous les censeurs dépendront de ce bureau et de notre conseiller d'État chargé de ce département. Les cas douteux seront soumis audit conseiller d'État, qui les résoudra lui-même, ou les renverra aux tribunaux, lorsqu'il jugera que l'affaire est de leur compétence.

« Art. 3. Tout censeur est garant de la sanite des doctrines contenues dans les livres soumis à son visa, comme les notaires le sont de la réalité des actes munis de leur signature et de leur sceau. A cet effet, tout censeur sera muni d'un timbre. Les livres seront marqués, à leurs première et dernière pages, d'un double timbre, constatant le visa du censeur ecclésiastique et du censeur laïque; le premier, pour ce qui regarde la religion; le second, pour ce qui regarde le prince et les bonnes mœurs. Les censeurs devront refuser leur visa à tout livre dans lequel ils entreverraient une tendance générale vers de mauvais principes.

Art. 4. Tout mauvais livre sera remis au Bureau de surveillance. « Art. 5. Tout possesseur d'un livre sera libre de choisir celui des censeurs auquel il désirera en confier l'examen. Si le censeur qu'il aura désigné refuse, le bureau de surveillance nommera d'office.

« Art. 6. Les propriétaires de livres ne seront obligés de les soumettre à la censure que lorsqu'ils auront l'intention de les mettre en circulation, c'est-à-dire de les faire sortir de leur maison par vente, donation, échange, ou de quelque autre manière que ce soit, ou de les donner en lecture, fût-ce même dans leur propre maison.

«En conséquence, à dater du 1er janvier 1829, quiconque mettra en circulation un livre ancien ou moderne, non muni des timbres de la

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