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un de ses parents arriver à la puissance. On vous niera ces huit lignes; mais ne vous laissez éblouir ni par de vaines paroles ni par des réticences adroites. Demandez l'histoire nette et précise de la dernière cause célèbre jugée dans l'année. Le tribunal de la Rota juge souvent en dernière instance; les prélats qui le composent sont des jurisconsultes fort habiles; mais quel bien peut-on faire avec des usages aussi opposés au sens commun? Le détail exigerait deux ou trois pages, j'aime mieux renvoyer le lecteur curieux au jésuitique Lalande. Dès qu'un père voit un de ses enfants annoncer quelque esprit, il le fait prêtre. Cet enfant peut un jour protéger sa famille. Que sait-on? il peut devenir pape. Cette chance singulière trouble toutes les têtes, et s'accorde bien avec cet amour passionné pour le jeu, qui est un des caractères de l'imagination italienne. Il est d'usage que le neveu d'un pape soit prince; telle est l'origine de la fortune des maisons Albani, Chigi, Rospigliosi, Barberini, Corsini, Rezzonico, Borghèse et tant d'autres.

Quant à la façon de faire fortune dans les basses classes, voici l'opinion de mon bottier: Il faut bien se garder d'être travailleur, pieux et bon sujet. On fait tapage, on s'amuse, on va au mont Testaccio avec de jolies femmes; le scandale commence à éclater dans le quartier, tout à coup on est touché de la grâce, et l'on remet le soin de sa conscience à quelque fratone (quelque capucin ou carme adroit qui va souvent chez les cardinaux influents); on travaille assidûment le jour dans sa boutique, sauf à se divertir le soir avec prudence; on fait des aumônes, et en cinq ou six ans on est recommandé aux bonnes pratiques, aux princes, aux étrangers, et l'on se voit à la tête d'une boutique renommée. « J'aurais fait une fortune plus rapide, ajoutait le cordonnier, si j'avais épousé une jolie femme; mais, ma foi, ce moyen me répugne. » La critique de mauvaise foi va me dire : « Quoi, monsieur! un bottier vous

a dit cela en un quart d'heure et en dix lignes! - Non, monsieur, en six ans, et en trente ou quarante heures de bavardage. »

19 juin 1828. Nous venons de passer une soirée délicieuse dans le charmant palais de M. M.: on parlait de Rome antique et de Cicéron, quelqu'un a cité une ariette de la Congiura di Catilina, dramma per musica, de l'abbé Casti. On a lu la pièce : ce n'est qu'un libretto d'opéra; mais quel génie! quelle fougue de bonne plaisanterie! et celle précisément dont la musique augmente l'effet! Cette plaisanterie, qui compte sur l'ivresse de l'imagination, peut se permettre les allusions les plus hardies; elle suppose et fait naître la folie de la gaieté. Il y a six mois que nos compagnes de voyage, ne comprenant pas assez les mœurs italiennes, eussent été insensibles à ce chef-d'œuvre de brio et de gaieté. C'est, comme on voit, par hasard, qu'on a lu la Conjuration de Catilina. On a fait ensuite de la musique, même assez bonne; mais les sentiments nobles, tendres et sérieux n'avaient plus de prise sur nos cœurs. Il se faisait tard, nous n'étions plus que huit ou dix, on a demandé la lecture d'un second drame de Casti, égal au premier, et peulêtre encore plus gai; il s'appelle Cublai, dramma comico per musica, in due atti. Non, il n'est pas vrai que l'on meure de rire, puisque nous avons pu résister à cette lecture faite par un mime excellent. Cublai est une plaisanterie pleine de feu sur la cour de Russie et son étiquette. Mais heureusement cela est antérieur à la révolution qui s'achève en Europe, et pour laquelle il y a trois jours on a fusillé plusieurs personnes non loin de Rome. Dans Cublai, il n'y a rien d'odieux. Le roi est un homme d'esprit qui cherche à s'amuser, et se moque des courtisans. Je ne sais pourquoi les deux libretti dont je viens de parler sont fort rares. Le propriétaire, le vieil abbé F***,

qui les avait lus avec génie, nous a permis d'en prendre copie, mais à regret. Rien ne rend l'esprit étroit et jaloux, comme l'habitude de faire une collection.

Mes amis commencent à s'intéresser à la sculpture; voici quelques-unes des idées que nous a inspirées ce matin la vue des statues du musée Pio Clémentin. Notre fatuité ne connaît nullement les anciens; indécence incroyable d'un tombeau dans la cour des Studj, à Naples. Un sacrifice à Priape sur un tombeau, et de jeunes filles jouant avec le dieu! Il y a loin de là à l'idée d'une messe pour les morts. On voit combien la religion chrétienne dispose les âmes à l'amour-passion. Quoi! pas même la mort, rien ne peut rompre nos rapports avec ce que nous avons aimé une fois!

La sculpture peut-elle nous donner la tête de Napoléon contemplant la mer du haut du rocher de Saint-Hélène; ou la tête de lord Castlereagh qui va se tuer? Si une telle chose est possible, voilà une place pour le successeur de Canova.

Un sculpteur, qui était avec nous ce matin au musée Pio Clementin, voyant ce que nous demandions à son art, nous a dit: « Un jour un seigneur russe pria le peintre de la cour de lui faire le portrait d'un serin qu'il aimait beaucoup. Cet oiseau chéri devait être représenté donnant un baiser à son maître qui avait un morceau de sucre à la main; mais on devait voir dans les yeux du serin qu'il donnait un baiser à son maître par amour et non point par le désir d'obtenir le morceau de sucre. » Cette réponse a eu beaucoup de succès, on y fera souvent allusion; mais, je l'avoue, je ne suis pas convaincu.

La sculpture doit remplir plusieurs conditions, faute de quoi elle n'est pas de la sculpture: elle doit être belle vue de tous les côtés. Exemple : Une musique de Requiem, qui n'est pas agréable à entendre, n'est de la musique que pendant que son auteur est vivant et intrigant. Cette nécessité d'être belle, que

je suppose à la sculpture, peut-elle se concilier avec l'expression des passions? Il me semble que tous les grands mouvements rendent la sculpture ridicule. (Voir avec quelle retenue les anciens ont exprimé la douleur de Niobé.) C'est un autre art, celui de madame Pasta, qui se charge de nous présenter les mouvements d'une mère qui est sur le point de tuer ses enfants pour se venger de leur père (Médée).

Le nu obtenait un culte chez les Grecs, parmi nous il repousse. Le vulgaire en France n'accorde le nom de beau qu'à ce qui est féminin. Chez les Grecs, jamais de galanterie envers les femmes qui n'étaient que des servantes, mais à chaque instant un sentiment réprouvé par les modernes. Les soldats de la légion thébaine mouraient pour leur ami, mais cette amitié admettait-elle la mélancolie tendre? Virgile n'a-t-il pas prêté sa propre sensibilité à la peinture des tourments d'Alexis? L'amour, dans l'antiquité, a produit bien des actions héroïques, mais, ce me semble, peu de suicides par mélancolie. L'homme disposé à tuer son ennemi ne se tue pas, ce serait se rendre inférieur. Oubliez le Voyage d'Anacharsis, l'un des ridicules de notre littérature; lisez l'Histoire des premiers temps de la Grèce, par M. Clavier. Voilà une excellente base pour des idées justes. C'est dans les romans de Cooper que vous trouverez les habitudes sociales des Grecs des temps héroïques. (Voyez l'Arrivée d'Hercule chez Admète.) Si l'amour d'Héloïse pour Abailard a créé des sentiments plus délicats que tout ce que l'antiquité nous présente, la peinture, telle que l'ont faite Raphaël et le Dominiquin, doit surpasser les tableaux si vantés des Apelles et des Zeuxis.

Les madones de Raphaël et du Corrége attachent profondément, par des nuances de passions assez modérées et souvent mélancoliques. Les choses charmantes découvertes à Pompeï ne sont au contraire que de cette peinture toute de vo

A

lupté qui convient à un climat brûlant comme un sonnet de Baffo; il n'y a rien pour l'âme aimante. Cela est l'opposé d'une civilisation où l'on s'imagine plaire à Dieu en se causant de la douleur (principe ascétique de Bentham). Lisez l'admirable Théodorie des sacrifices, par M. de Maistre, et passez de là au tombeau napolitain qui présente le sacrifice à Priape. En 1829 nous ne croyons pas à M. de Maistre, et le tombeau napolitain nous choque. Que sommes-nous? Où allons-nous ? Qui le sait? Dans le doute, il n'y a de réel que le plaisir tendre et sublime que donnent la musique de Mozart et les tableaux du Corrége.

20 juin. Le bon ton moderne, disais-je un jour à Canova, qui ne me comprenait guère, défend les gestes. Un juge prononce à M. de Lav*** son arrêt de mort. M. de Lav*** est un homme comme il faut, précisément parce que son voisin, s'il est complétement sourd, ne peut pas s'apercevoir en le regardant s'il vient d'être acquitté ou condamné à mort. Cette absence de gestes à laquelle toutes les nations arriveront tôt ou tard ne doit-elle pas anéantir la sculpture? L'Angleterre et l'Allemagne ne nous sont peut-être un peu supérieures en sculpture que parce qu'elles sont moins civilisées que nous1. Dans les arts auxquels il faut des gestes, les artistes français en sont réduits à imiter des gestes connus et admirés de tout Paris, les gestes du grand acteur Talma Ce qu'on peut dire de mieux de leurs personnages, c'est qu'ils jouent la comédie

1 Voyez, dans les Mémoires de la margrave de Bareuth, la façon de vivre des gens riches en Prusse vers 1740. Paris avait alors une société qui lisait les Hasards du coin du feu, de Crébillon fils, et la Marianne, de Marivaux. Kant et ses successeurs égarent l'Allemagne, la Bible et le méthodisme égarent l'Angleterre. Il faudra plus d'un siècle à ces gens-là pour être aussi civilisés que nous.

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