Sayfadaki görseller
PDF
ePub

je suppose à la sculpture, peut-elle se concilier avec l'expression des passions? Il me semble que tous les grands mouvements rendent la sculpture ridicule. (Voir avec quelle retenue les anciens ont exprimé la douleur de Niobé.) C'est un autre art, celui de madame Pasta, qui se charge de nous présenter les mouvements d'une mère qui est sur le point de tuer ses enfants pour se venger de leur père (Médée).

Le nu obtenait un culte chez les Grecs, parmi nous il repousse. Le vulgaire en France n'accorde le nom de beau qu'à ce qui est féminin. Chez les Grecs, jamais de galanterie envers les femmes qui n'étaient que des servantes, mais à chaque instant un sentiment réprouvé par les modernes. Les soldats de la légion thébaine mouraient pour leur ami, mais cette amitié admettait-elle la mélancolie tendre? Virgile n'a-t-il pas prêté sa propre sensibilité à la peinture des tourments d'Alexis? L'amour, dans l'antiquité, a produit bien des actions héroïques, mais, ce me semble, peu de suicides par mélancolie. L'homme disposé à tuer son ennemi ne se tue pas, ce serait se rendre inférieur. Oubliez le Voyage d'Anacharsis, l'un des ridicules de notre littérature; lisez l'Histoire des premiers temps de la Grèce, par M. Clavier. Voilà une excellente base pour des idées justes. C'est dans les romans de Cooper que vous trouverez les habitudes sociales des Grecs des temps héroïques. (Voyez l'Arrivée d'Hercule chez Admète.) Si l'amour d'Héloïse pour Abailard a créé des sentiments plus délicats que tout ce que l'antiquité nous présente, la peinture, telle que l'ont faite Raphaël et le Dominiquin, doit surpasser les tableaux si vantés des Apelles et des Zeuxis.

Les madones de Raphaël et du Corrége attachent profondément, par des nuances de passions assez modérées et souvent mélancoliques. Les choses charmantes découvertes à Pompeï ne sont au contraire que de cette peinture toute de vo

lupté qui convient à un climat brûlant comme un sonnet de Baffo; il n'y a rien pour l'âme aimante. Cela est l'opposé d'une civilisation où l'on s'imagine plaire à Dieu en se causant de la douleur (principe ascétique de Bentham). Lisez l'admirable Théodorie des sacrifices, par M. de Maistre, et passez de là aus tombeau napolitain qui présente le sacrifice à Priape. En 1829 nous ne croyons pas à M. de Maistre, et le tombeau napolitain nous choque. Que sommes-nous? Où allons-nous? - Qui le sait? Dans le doute, il n'y a de réel que le plaisir tendre et sublime que donnent la musique de Mozart et les tableaux du Corrége.

20 juin. Le bon ton moderne, disais-je un jour à Canova, qui ne me comprenait guère, défend les gestes. Un juge prononce à M. de Lav*** son arrêt de mort. M. de Lay*** est un homme comme il faut, précisément parce que son voisin, s'il est complétement sourd, ne peut pas s'apercevoir en le regardant s'il vient d'être acquitté ou condamné à mort. Cette absence de gestes à laquelle toutes les nations arriveront tôt ou tard ne doit-elle pas anéantir la sculpture? L'Angleterre et l'Allemagne ne nous sont peut-être un peu supérieures en sculpture que parce qu'elles sont moins civilisées que nous1, Dans les arts auxquels il faut des gestes, les artistes français en sont réduits à imiter des gestes connus et admirés de tout Paris, les gestes du grand acteur Talma Ce qu'on peut dire de mieux de leurs personnages, c'est qu'ils jouent la comédie

1 Voyez, dans les Mémoires de la margrave de Bareuth, la façon de vivre des gens riches en Prusse vers 1740. Paris avait alors une société qui lisait les Hasards du coin du feu, de Crébillon fils, et la Marianne, de Marivaux. Kant et ses successeurs égarent l'Allemagne, la Bible et le méthodisme égarent l'Angleterre. Il faudra plus d'un siècle à ces gens-là pour être aussi civilisés que nous.

avec talent, mais rarement ont-ils l'air de sentir pour leur propre compte. Voyez, au musée du Louvre, Atala portée au tombeau, de feu Girodet; le visage de Chactas nous apprend-il quelque chose de nouveau sur la douleur d'un amant qui ensevelit le corps de sa maîtresse? Non; il est seulement bien conforme à ce que nous savons déjà. Ce tableau est-il à la hauteur de ce que la peinture avait inventé avant M. Girodet? Souvenez-vous de la tête d'Agar regardant avec un reste d'espoir Abraham qui la chasse (dans l'Agar du Guerchin, musée de Brera, à Milan).

Le tableau de M. Girodet est-il à la hauteur des idées que fait naître en nous l'abbé Prévost, à la fin de l'Histoire de Manon Lescaut et du chevalier des Grieux?

Non; les personnages du grand peintre moderne sont des acteurs qui jouent bien, et voilà tout.

On ferait une petite montagne des articles de journal écrits pour prôner ce tableau. L'auteur disparaît; le zèle des journaux disparaît avec lui, et son ouvrage ne trouve plus que de rares admirateurs parmi la génération qui arrive à la vie. En général, on adore pour toujours l'opéra ou le tableau qui étaient à la mode à l'époque où l'on a eu le bonheur d'aimer avec passion. Mais ce tableau agit comme signe, et non point par son propre mérite. Cela est encore plus vrai pour la musique qu'on a entendue avec l'être qu'on aimait.

Chez M. Tambroni, nous parlions quelquefois, devant Canova, de la nécessité pour les sculpteurs des nations civilisées d'imiter les gestes des acteurs célèbres, d'imiter une imitation. Nous avions beau chercher à être piquants, Canova ne nous écoutait guère; il faisait peu de cas des discussions philosophiques sur les arts; il aimait mieux sans doute jouir des images charmantes que son imagination lui présentait. Fils d'un simple ouvrier, l'heureuse ignorance de sa jeunesse l'a

vait garanti de la contagion de toutes les poétiques, depuis Lessing et Winkelman, faisant de l'emphase sur l'Apollon, jusqu'à M. Shlegel, qui lui eût appris que la tragédie antique n'est autre chose que de la sculpture. Si ces théories sur les arts faisaient le charme des conversations de MM. degli Antonj, Melchior Gioja, della Bianca, B. et M., que chaque soir je rencontrais dans la maison Tambroni, c'est que nous n'étions pas de grands artistes; pour entrevoir des images agréables, nous avions besoin de parler.

Des théories discutées en si bonne compagnie excitaient nos imaginations à nous représenter vivement les divins ouvrages de sculpture ou de musique dont nous discutions le mérite. Voilà, ce me semble, le mécanisme par l'effet duquel les théories sont si agréables aux dilettanti et si importunes aux artistes. En France le philosophe raisonneur leur est de plus un objet d'épouvante; car il peut faire des articles dans ces journaux abhorrés, et pourtant sans cesse présents à la pensée, qui disposent de leur sort. Un article de Geoffroy rendit Talma fou: ce grand comédien alla égratigner le vieillard dans sa loge. «Que reste-t-il à un acteur, si ses contemporains sont injustes envers lui? » nous disait Talma encore tout bouillant de colère. Cette scène ridicule est à mes yeux une des plus grandes preuves du génie de Talma. Le public demande au grand acteur dont d'ici à dix ans il fera la réputation, des gestes un peu plus simples que ceux de Talma. J'en avertis les artistes qui l'imitent toujours.

Canova était trop bon et trop heureux pour nous haïr; je pense seulement que souvent il ne nous écoutait pas. Je me souviens qu'un soir, pour exciter son attention, Melchior Gioja lui dit : « Dans les arts qui s'éloignent des mathématiques, le commencement de toute philosophie, c'est le petit dialogue que voici : Il y avait une fois une taupe et un ros

[ocr errors]

"

signol; la taupe s'avança au bord de son trou; et, avisant le rossignol qui chantait, perché sur un acacia en fleur: « Il faut « que vous soyez bien fou, lui dit-elle, pour passer votre vie << dans une position aussi désagréable, posé sur une branche « qu'agite le vent, et les yeux éblouis par cette effroyable « lumière qui me fait mal à la tête. » L'oiseau interrompit son chant. Il eut bien de la peine à se figurer le degré d'absurdité de la taupe; ensuite il rit de bon cœur, et fit à sa noire amie quelque réponse impertinente. Lequel avait tort? Tous les deux.

« Que de fois n'ai-je pas entendu le dialogue d'un vieux procureur ou banquier enrichi, et d'un jeune poëte qui écrit pour le bonheur d'écrire et sans songer à l'argent, dont à la vérité il manque souvent!

« Un homme préfère le Déluge de Girodet au Saint Jérôme du Corrége. Si cet homme répète une leçon qu'il vient d'apprendre dans quelque poétique, il faut lui sourire agréablement et penser à autre chose. Mais s'il est aimable et nous presse de bonne foi de lui donner une réponse, continuait Melchior Gioja, je lui dirai : « Monsieur, vous êtes le rossignol et << moi la taupe; je ne saurais vous comprendre. Je ne puis dis« courir sur les arts qu'avec des êtres qui sentent à peu près << comme moi. Mais si vous voulez parler du carré de l'hypo« thenuse, je suis votre homme, et d'ici à un quart d'heure « vous penserez comme moi; si vous voulez parler des avan<< tages de l'esprit d'association ou du jury, et que vous ne << soyez ni prêtre ni privilégié, d'ici à six mois vous penserez << comme moi; que, si vous avez inventé pour votre usage une << science de la logique, et qu'ensuite vous vous soyez accou<< tumé à la mettre en pratique, au lieu de six mois il ne nous « faudra que six jours pour arriver à un credo commun. >>

Canova se fit répéter trois fois la fable de la Taupe et du

« ÖncekiDevam »