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qu'à neuf heures; ensuite je suis allé écouter un acte de Donna Caritea, opéra de Mercadante. J'ai passé ainsi une soirée sans parler à une femme et sans ennui. M. N... veut bien me prêter un Suétone qui ne sera pas pollué, comme le mien, ; par le plat français de M. de la Harpe. Je compte demain aller lire une vie ou deux dans le fauteuil de bois qu'un Anglais a fait placer tout au haut des ruines du Colysée. Je remarquais aujourd'hui ce passage dans Caligula, § 3 : « Germanicus oravit causas, etiam triumphalis. »

Même après avoir obtenu le triomphe, Germanicus allait plaider des causes devant les tribunaux. Quelle réunion de talents dans un jeune prince héritier de l'empire! Quelle large porte ouverte à l'expression de l'opinion publique et à son influence sur lui!

23 juin. - A Rome, il faut, quand on le peut, vivre trois jours dans le monde sans cesse environné de gais compagnons, et trois jours dans une solitude complète. Les gens qui ont de l'âme deviendraient fous s'ils étaient toujours seuls. — Extrême impolitesse des savants Italiens dans les discussions qu'ils ont entre eux: ils s'appellent sot, infâme, et même botte (stivale). M. le chevalier d'Italinsky nous dit qu'avant la révolution les savants français avaient ce ton-là. Scène du petit abbé Dalin, qui monte sur la table de l'Académie des sciences et court jusqu'au bout pour aller donner un soufflet à M. de Réaumur. Une autre fois, trio de jurements de MM. de Bougainville, Sébastien Mercier et Ancillon.

24 juin 1828. Ce matin, je revoyais les fresques du Dominiquin à Saint-André della Valle; il est des jours où il me semble que la peinture ne peut aller plus loin. Quelle expression de timidité tendre et vraiment chrétienne dans ces belles

têtes! Quels yeux! Plongé dans une admiration profonde, et parlant peu et à voix basse, j'admirais ces fresques avec l'ai→ mable 0. (jacobin qui a cinquante mille francs de renté): un prêtre est venu tout à coup nous faire une réprimande sévère sur ce que nous parlions haut dans l'église. Rien de plus faux. Il n'y avait personne dans cette grande église, qui d'ailleurs sert de passage; et, si la diplomatie eût été indépendante du parti prêtre, nous eussions dit son fait à ce cuistre très-insolent; il a fallu filer doux. Le gouvernement de Rome serait ravi de traiter un étranger comme on traite à Paris M. Magallon, et les diplomates riraient de bien bon cœur de voir vexer des hommes sans croix ni titres, et qui ne font pas profession d'une excessive admiration pour ces avantages sociaux.

Du temps du cardinal Consalvi, nous ne serions sortis de Saint-André della Valle que pour aller chez le portier du cardinal écrire un récit fidèle de l'incartade du prestolet. Mais, sous ce grand ministre, il n'y avait ni pendaisons de carbonari ni insolences.

Cette scène, qui est tombée sur nous au moment où nos âmes étaient attendries par le sentiment profond des chefsd'œuvre des arts, nous a fait une impression extrêmement désagréable. Nous n'avons point caché notre petite aventure. Voici les sentiments que nous avons trouvés chez nos amis. Il faudra démonétiser tous ces petits tyrans quand les dix mille Français paraîtront sur le mont Cénis. Le malheur égare les esprits de ces pauvres Romains jusqu'au point de leur faire regarder comme possible, ou même probable, cette apparition de dix mille Français qui apporteraient à la malheureuse Italie une copie modifiée de la Charte de Louis XVIII. M. l'abbé D*** nous disait ce soir qu'en 1821 le gouvernement français entama une négociation avec les carbonari de Naples. Si ces messieurs eussent voulu faire quelques modifications à leur

>constitution, on les aurait soutenus. Le fait est-il vrai? le ministère français était-il de bonne foi? Dans tous les cas, les Napolitains furent bien fous de ne pas modifier. Qu'importe la lettre d'une charte? C'est la manière de la mettre en pratique qui fait tout.

Nous avons continué ainsi jusqu'à deux heures du matin à faire les jacobins en prenant du punch excellent chez un grand seigneur. Il y a cinquante ans, nous eussions parlé peinture et musique; et vous demandez pourquoi les arts tombent! Ils tombent même ici. Rome a cet avantage immense d'avoir du loisir ou d'être trop petite ville pour que le charlatanisme y soit possible; mais même ici va mancando l'anima, comme disait Monti; la passion s'éteint tous les jours. On ne pense qu'à la politique. L'insolence qui nous est tombée dessus nous a donné de l'humeur pour deux jours; nous avons porté ce soir un sentiment hostile dans la société, et nous nous sommes donné le plaisir de tourner en ridicule deux ou trois prêtres puissants. Ils sont sortis furieux; nous feront-ils chasser?

25 juin 1828. Ce matin, près de Saint-Jean-de-Latran, nous avons vu la Porta Maggiore, bâtie par l'empereur Claude et située en un lieu élevé; elle est pourtant enterrée jusqu'aux corniches, qu'on peut toucher de la main. Cette masse épaisse de douze ou quatorze pieds, qui est tombée sur presque tous les monuments de Rome, est de la terre et non pas des débris de briques ou de mortier. Souvent ce fait a été expliqué avec emphase; mais la moindre logique ne laisse pas vestige de ces belles explications. Une autre faiblesse des savants, c'est de vouloir retrouver dans la même place les ruines de tous les monuments qui l'ont successivement occupée.

Supposez que, dans mille ans, Paris soit en ruines, et voyez

s'avancer un petit savant intrigant : il prétend savoir cinq ou six langues, chose que je ne peux pas vérifier; mais, de plus, il veut retrouver à la fois les ruines du couvent des Capucines, et celles de la caserne des pompiers et des autres bâtiments de la rue de la Paix qui ont remplacé le couvent des Capucines. Ces bâtiments, qui n'ont existé que l'un après l'autre, il les place hardiment l'un à côté de l'autre dans la carte qu'il fait du Paris antique.

M. Nibby, l'un des antiquaires les plus raisonnables de Rome, et qui est jeune encore, a déjà donné quatre noms différents, dans ses itinéraires et autres livres, aux trois colonnes du temple de Jupiter Stator que l'on voit au Forum. Aujourd'hui, en 1828, il appelle ce monument une Græcostasis. Il y voit un édifice élevé dès le temps du roi Pyrrhus pour la réception des ambassadeurs étrangers. A chaque nouveau nom, ce savant n'a pas manqué de déclarer qu'il fallait être fou ou imbécile pour ne pas reconnaître à la première vue dans ces colonnes la justesse de la dénomination nouvelle. Si l'on montre le moindre doute ici sur l'explication qui dans le moment est à la mode, la colère se peint sur toutes les figures. J'ai reconnu le sentiment qui, dans les pays du Midi, allume les bûchers de l'inquisition.

Il faut regarder les mots par lesquels on désigne les monuments anciens comme des noms propres qui ne prouvent rien. Un sot bègue ne peut-il pas s'appeler Chrysostome?

Dès le temps de Tibère, Rome était comme ces endroits à la mode de l'ancien parc du père la Chaise, où la vanité du dixneuvième siècle entasse des tombeaux. Toutes les belles places du mont Capitolin, du Forum, etc., étaient occupées, et la plupart consacrées par des temples. Un empereur, ou un riche citoyen, parvenait-il à acheter un petit coin de terrain vacant dans une rue à la mode, il en profitait bien vite pour élever

un monument par lequel il prétendait s'illustrer. Formés par les idées d'une république qui avait honoré par des monuments Horatius Coclès et tant de héros, les citoyens riches du siècle d'Auguste avaient horreur de l'oubli profond où ils allaient tomber dès le lendemain de leur mort. De là la pyramide de Cestius, qui n'était qu'un financier; le tombeau de Cecilia Metella, femme du riche Crassus, etc., etc. Ces gens-là ont réussi, puisque moi, Allobroge, venu du fond du Nord, j'écris leurs noms, et que vous les lisez tant de siècles après eux. Un sentiment analogue a paru chez les papes qui avaient le cœur un peu au-dessus du vulgaire. Les arts sont perdus à Rome, parce que dorénavant ce qui occupera les hommes de ce caractère, ce sera le moyen de retarder le triomphe de Voltaire et des deux Chambres. Que ce pays existe avec ou sans les Chambres, tout annonce la chute des arts pendant le dix-neuvième siècle. Mais, au moyen d'une application ingénieuse de la machine à vapeur, tel Américain pourra nous livrer, pour six louis, une copie fort agréable d'un tableau de Raphaël.

Un pape fait placer ses armes sur le plus petit mur qu'il relève et jusque sur les bancs de bois peint dont il garnit les antichambres du Vatican ou du Quirinal. Cette vanité, bien pardonnable, maintient le culte des beaux-arts. C'est ainsi qu'au Jardin du Roi on inscrit le nom de l'amateur qui envoie un

ours.

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26 juin 1828. Au milieu d'une discussion vive et passionnée, comme on en a dans ce pays-ci, un jeune artiste m'a dit fièrement : « Savez-vous bien, monsieur, que depuis l'âge de douze ans j'étudie Raphaël? » J'ai pensé à part moi : Rien de plus vrai. Chaque semaine, pendant quatre heures, il a copié quelques figures de Raphaël; cela fait deux cent huit heures

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