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EUVRES DE STENDHA

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par an, et, pour douze années, car mon homme a vingt-quatre ans, deux mille quatre cent quatre-vingt-seize heures. Mais, en quittant sa palette, le Français du dix-neuvième siècle songe à courir à la soirée d'un chef de division, afin d'obtenir la commission de peindre un grand tableau de Saint Antoine. Il est ensuite triste ou gai, parce qu'il a obtenu ce tableau que le gouvernement lui payera douze mille francs.

S'il est assez riche pour se moquer du commis et de saint Antoine, notre artiste sera triste ou gai, parce qu'il a été brillant ou éclipsé par quelque homme plus aimable à la dernière soirée de madame D***. Mais jamais l'expression d'une tête de Raphaël ne le consolera d'une peine de sentiment, et nos usages ne lui laissent pas le loisir d'être triste, autrement que par envie, amour-propre blessé ou fatigue sociale.

Je parierais que, cent fois dans sa vie, Prud'hon a été ridicule dans un salon, mais notre artiste n'a rien de commun avec ce peintre, qui sera grand dans cent ans

Si un Français brave les usages vaniteux des salons, sa vanité s'occupe à chaque moment du jour de l'honneur qu'il a de les braver. Le ridicule, mais naturel et non affecté, sera désormais la premiere indication d'un homme de génie dans les beaux-arts; mais il faut s'arrêter. Tout artiste qui affecte de bien mettre sa cravate ou de la mal mettre trouverait ces phrases méchantes. Notre siècle est si ennuyé, que je désire passionnément me tromper dans ma prophétie sur la chute des beaux-arts. Si un nouveau Canova se présente, je serai bien surpris, mais je jouirai de ses ouvrages. Quoi de plus déshonoré, en 1805, que le roman historique tel que madame de Genlis venait de nous le montrer dans le Siége de la Rochelle? Sir Walter Scott a paru, et le monde a trouvé un nouveau plaisir que les critiques croyaient impossible.

Quant aux artistes qui veulent des titres, de l'argent, des

croix, des costumes, il n'y a qu'un mot à leur dire : « Faitesvous raffineurs de sucre ou fabricants de faïence, vous serez plus tôt millionnaires et députés. »

Voici un sonnet que Paul vante beaucoup, et que plusieurs de nos compagnes de voyage regardent comme un chefvre d'énergie à la Michel-Ange. C'est une boutade du sombre Alfieri, qui prétend décrire Rome moderne.

Vuota, insalubre region che stato

Ti vai nomando, aridi campi incolti,
Squallidi, oppressi, estenuati volti
Di Popol rio, codardo e insanguinato;
Prepotente e non libero senato

Di vili astuti in lucid' ostro avvolti;
Ricchi Patrizi, e più che ricchi, stolti;
Prence, cui fa sciocchezza altrui beato;
Città, non cittadini; augusti Tempj,
Religion non già; leggi che ingiuste
Ogni lustro cangiar vede, ma in peggio:
Chiavi, che compre un di, schiudeano agli empj
Del ciel le porte, or per età vetuste :

Oh! sei tu Roma, o d'ogni vizio il seggio?

Ici comme partout il faut acheter au prix de quelques moments d'ennui l'honneur de parler aux hommes qui ont le pouvoir. La diplomatie française oubliant de protéger les hommes qu'on suppose avoir été attachés à la cour de Napoléon, je sacrifie dix heures par mois à écouter attentivement de vieux prêtres puissants. Qui eroirait qu'il y a aujourd'hui à Rome des gens qui attachent beaucoup d'importance à l'histoire de la papesse Jeanne 1? Un personnage fort considérable

1 Cette femme fut pape et régna de 853, à 855 il y a près de mille ans. La plupart de ceux qui ont parlé de la papesse Jeanne avaient in→ térêt à mentir. On la connaît en Italie parce qu'elle est une figure du jeu de Tarocco.

et qui prétend au chapeau m'a attaqué ce soir sur Voltaire, qui, selon lui, se serait permis beaucoup d'impiétés à l'occasion de la papesse Jeanne. Il me semble que Voltaire n'en dit pas un mot. Pour n'être pas infidèle à ma robe (le pire des défauts aux yeux d'un Italien), j'ai soutenu l'existence de la papesse en me servant tant bien que mal des raisons que mon adversaire me faisait connaître.

Plusieurs auteurs contemporains racontent qu'après Léon IV en 853, un femme, Allemande de nation, occupa la chaire d saint Pierre, et eut pour successeur Benoît III.

J'ai dit qu'il ne fallait pas demander à l'histoire un genre d certitude qu'elle ne peut offrir. L'existence de Tombouctou par exemple, est plus probable que celle de l'empereur Vespasien. J'aimerais mieux croire à la réalité des ruines les plus singulières que quelques voyageurs nous racontent avoir vues, au milieu de l'Arabie, qu'à l'existence du roi Pharamond ou du roi Romulus. Ce ne serait pas bien raisonner contre l'existence de la papesse Jeanne que de dire que la chose est peu probable. Les exploits de la pucelle d'Orléans choquent bien autrement toutes les règles du sens commun, et cependant nous en avons mille preuves.

L'existence de la papesse Jeanne est prouvée par un extrait des chroniques de l'ancien monastère de Cantorbéry (fondé par le célèbre Augustin, qui avait été envoyé en Angleterre par Grégoire le Grand). Immédiatement après l'an 853, dans le catalogue des évêques de Rome, la chronique (que je n'ai pas vue) porte ces mots :

« Hic obiit Leo quartus, cujus tamen anni usque ad Benedictum tertium computantur, eo quod mulier in papam promota fuit. »

Et après l'an 855:

« Johannes. Iste non computatur, quia femina fuit. « Benedictus tertius, » etc.

que le

рои

Ce monastère de Cantorbéry avait des relations fréquentes et intimes avec Rome; il est d'ailleurs suffisamment prouvé que les lignes que je viens de transcrire furent portées sur le registre dans le temps même qui est marqué par les dates. Les écrivains ecclésiastiques qui attendent leur avancement de la cour de Rome croient encore utile d'établir voir de remettre nos péchés, dont le pape jouit, lui a été transmis de pape en pape, par les successeurs de saint Pierre, qui lui-même le tenait de Jésus-Christ. Comme il est essentiel, je ne sais pourquoi, que le pape soit un homme, si de l'an 853 à l'an 855, une femme à occupé le trône pontifical, la transmission du pouvoir de remettre les péchés a été interrompue.

Soixante auteurs au moins, grecs, latins, ét même saints, racontent l'histoire de la papesse Jeanne. Le fameux Étienne Pasquier dit que l'immense majorité de ces auteurs n'avait aucun mauvais vouloir contre le saint-siége. L'intérêt de leur religion, celui de leur avancement et la crainte même de quelque châtiment voulaient qu'ils tinssent cachée cette étrange aventure. Pendant le neuvième et le dixième siècle, les factions déchiraient Rome et le désordre était à son comble. Mais les papes n'étaient guère plus méchants que les princes leurs contemporains. Agapet II fut élu pape avant l'âge de dix-huit ans (946), Benoît IX monta sur le trône à dix ans, et Jean XII à dix-sept. Le cardinal Baronius lui-même, l'écrivain officiel de la cour de Rome, en convient. Y a-t-il beaucoup de différence entre la figure d'un jeune homme de dix-huit ans et celle de certaines femmes d'un caractère décidé et hardi, tel qu'il faut l'avoir pour aspirer à la papauté? De nos jours, malgré l'intimité que nécessite la vie militaire, plusieurs fem

mes déguisées en soldats n'ont-elles pas mérité la croix de la Légion d'honneur, et cela du temps de Napoléon?

Je vois que cet appel aux faits embarrasse fort mon antagoniste, qui tirait ses principales raisons de l'improbabilité, car les textes historiques sont terribles.

Marianus Scott, moine écossais, mort en 1086, raconte l'histoire de la papesse. Bellarmin, écrivain papiste, dit de lui: Diligenter scripsit.

Anastase, dit le Bibliothécaire, abbé romain, homme docte et de grand mérite, contemporain de la papesse, raconte son histoire. Il est vrai que, dans beaucoup de manuscrits d'Anastase, cette page scandaleuse a été omise par les moines qui copiaient. Mais on a prouvé mille fois que leur usage était de supprimer tout ce qu'ils estimaient contraire aux intérêts de Rome.

Le Sueur, dans son Histoire ecclésiastique, et Colomesius, dans ses Mélanges historiques, citent un Anastase de la bibliothèque du roi de France qui contient toute l'histoire de la papesse Jeanne. Il existait deux Anastases semblables à Augsbourg et à Milan. Saumaise et Freher les avaient vus.

Anastase était suffisamment informé, il habitait Rome, il parlait en témoin oculaire. Il a écrit la vie des papes jusqu'à Nicolas I, qui vint après Benoît III.

Martin Polonus, archevêque de Cosenza, et pénitencier d'Innocent IV, a écrit l'histoire de la papesse Jeanne.

Cette femme singulière est appelée tantôt Anglicus, tantôt Moguntinus. Rool winck, l'auteur du Fasciculus temporum, dit: « Joannes Anglicus cognomine, sed natione Moguntinus. » Mé– zeray, dans la Vie de Charles le Chauve, dit que l'existence de la papesse Jeanne a été reçue pour une vérité constante cinq cents ans durant.

Le lecteur voit bien, par la tournure sérieuse des pages

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