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PROMENADES

DANS ROME

ROME, 7 juin 1828.-Ce soir, après une représentation d'Elisa et Caudio, qui nous avait fait un plaisir infini, car Tamburini chantait et nos âmes étaient disposées à la candeur et à la tendresse, la jeune marchesina Mathilde Dembos*** a été d'une éloquence admirable; elle a parlé du dévouement sincère, plein d'alacrité, sans ostentation, mais sans bornes, que certaines âmes ont pour leur Dieu ou pour leur amant. C'est ce que j'ai entendu, dans ce voyage-ei, de plus voisin du beau parfait. Nous sommes sortis de chez elle, comme enivrés par notre enthousiasme subit pour une simplicité réelle et complète.

L'homme le plus naïf d'entre nous, me disait l'aimable Della Bianca, ne passe-t-il pas une partie de son temps à songer à l'effet qu'il produit sur les autres? L'être qui brave le public est peut-être celui qui s'en occupe le plus. L'homme qui a de la candeur emploie tout ce temps à songer à sa passion ou à son art. Peut-on s'étonner de la supériorité des artistes naïfs

et de bonne foi? Mais les articles de journaux leur manqueront dans les pays libres, et les croix sous le gouvernement monarchique. Donc, pour être supérieur désormais, il faudra naître très-riche et très-noble, on se trouvera ains au-dessus de toutes les petites tentations.-Oui, mais en qualité de privilégié, on passera son temps à avoir peur du peuple. - Croyez-vous que sans véritable grandeur dans l'âme on puisse exceller dans les arts au dix-neuvième siecle? On peut avoir beaucoup de talent avec une âme faible. Voyez Racine, qui veut être courtisan et meurt de chagrin pour avoir nommé Scarron en présence de son successeur Louis XIV. 11 ne faut pas voir l'homme meilleur qu'il n'est. Je suis persuadé que plus d'un artiste honnête homme est troublé et découragé par les succès des artistes intrigants. Donc, pour exceller désormais, il faudra naître riche et noble, voilà ce que les lettres et les arts auront gagné à la protection des gouvernants. Un cordonnier, dans certains pays, est plus heureux qu'un peintre; protégé par la vulgarité de son métier, s'il excelle, il est sûr de faire fortune. Un mauvais cordonnier qui chausse le ministre n'est pas prôné à l'envi par tout le charlatanisme payé par le pouvoir : et qui pourrait résister à cet immense levier? Le public qui n'a qu'une certaine somme à dépenser en tableaux achète chez le peintre prôné, et néglige Prud'hon.

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Monseigneur Colonna m'a demandé de lire avec lui l'Histoire de la Révolution de M. Thiers. Je lui explique les parties de cet ouvrage peu intelligibles pour un étranger. Il est frappé des figures colossales de ces hommes qui, en 1793, empêchèrent les soldats autrichiens d'arriver à Paris. Il ne veut pas croire qu'en 1800 nous fussions dégoûtés de la liberté.

9 juin 1828.

Qu'attendre d'un peuple énergique et souve

rainement passionné, se méfiant profondément du sort et des hommes, et par conséquent point léger dans ses goûts? Notez que, depuis cinq cents ans, ce peuple est régi par un gouvernement dont le caractère personnel de Grégoire VII, d'Alexandre VI ou de Jules II, peut donner une idée; et ce gouvernement lui présente, s'il n'obéit pas, la potence dans le monde, et l'enfer dans l'autre.

Le despotisme papal, exercé par des gens passionnés, comme le reste du peuple, ne vit que de caprices; par conséquent, dix fois par an, le moindre cordonnier, comme le prince romain le plus riche, se trouve dans un cas imprévu, et obligé d'inventer et de vouloir. C'est justement ce qui pouvait manquer à des hommes nés avec d'aussi grandes qualités pour être, comme individus, à la tête de leur espèce.

Si vous avez voyagé, suivez de bonne foi les suppositions que voici prenez au hasard cent Français bien vêtus passant sur le pont Royal, cent Anglais passant sur le pont de Londres, cent Romains passant dans le Corso; choisissez dans chacune de ces troupes les cinq hommes les plus remarquables par le courage et l'esprit. Cherchez à avoir des souvenirs exacts; je prétends que les cinq Romains l'emporteront sur les Français et les Anglais; et cela, soit que vous les placiez dans une île déserte, comme Robinson Crusoé, ou à la cour du roi Louis XIV, chargés de suivre une intrigue, ou au milieu d'une chambre des communes orageuse. Le Français, mais celui de 1780, et non pas le triste raisonneur de 1829, l'emportera dans un salon où passer agréablement la soirée est la première affaire.

L'Anglais que ma supposition arrête sur le pont de Londres sera beaucoup plus raisonnable et beaucoup mieux vêtu que le Romain; il aura des habitudes profondément sociales. Le jury et l'esprit d'association, la machine à vapeur, les dangers

de la navigation, les ressources dans le péril, lui seront choses familières; mais, comme homme, il sera fort inférieur au Romain. C'est précisément parce qu'il est mené par un gouvernement à peu près juste (à l'omnipotence près de l'aristocratie), que l'Anglais n'est pas obligé, dix fois par mois, de se décider dans de petits cas hasardeux qui peuvent fort bien par la suite le mener à sa ruine, ou même en prison et à la mort.

Le Français aura de la bonté et une bravoure brillante; rien ne le rendra triste, rien ne l'abattra; il ira au bout du monde et en reviendra, comme Figaro, faisant la barbe à tout le monde. Peut-être il vous amusera par le brillant et l'imprévu de son esprit (je parle toujours du Français de 1780); mais, comme homme, c'est un être moins énergique, moins remarquable, plus vite lassé par les obstacles que le Romain. Amusé toute la journée par quelque chose, le Français ne jouira pas du bonheur avec la même énergie que le Romain, qui, le soir, arrive chez sa maîtresse avec une âme vierge d'émotions; donc il ne fera pas de si grands sacrifices pour l'obtenir. Que si vous dirigez autrement votre choix, et que, dans ces troupes de cent hommes appartenant aux trois peuples, vous choisissiez les plus dépourvus d'éducation et de culture, la supériorité de la race romaine sera plus frappante encore. C'est que l'éducation, loin de rien faire pour le Romain, agit en sens inverse; c'est que le gouvernement et la civilisation agissent contre la vertu et le travail, et lui enseignent sans le vouloir le crime et la fraude. Par exemple, le gouvernement traite avec des assassins: que peut-il faire de pis? Leur manquer de parole, et il n'y manque pas 1.

Les actions de peu d'importance qui remplissent la journée

1 Voir le Voyage d'un privilégié, le lord Craven, dans les environs de Naples, et Six mois dans les environs de Rome, de madame Graham.

d'un petit marchand, comme celui qui vient de me vendre le portrait de Béatrix Cenci, prennent, en moins de cinquante ans, la couleur du gouvernement, et se décident par des moyens analogues et d'après les mêmes habitudes morales que les actions importantes.

Si vous me répondez par de l'emphase et de la philosophie allemande, nous parlerons d'autre chose; mais, si vous m'estimez assez pour être de bonne foi, vous verrez par ces pourquoi, rapidement esquissés, comment il se fait que la plante homme est plus robuste et plus grande à Rome que partout ailleurs. Sous un bon gouvernement, elle ferait de plus grandes choses, mais aurait besoin, pour vivre, de moins d'énergie, et par conséquent serait moins belle. Je ne vous demande point de me croire sur parole; seulement, si jamais vous allez devers Rome, ouvrez les yeux et cachez ce livre. Ce qui suit est ennuyeux et s'adresse seulement aux esprits lents ou de mauvaise foi.

A Dieu ne plaise que je prétende que Pie VI ou Pie VII ont eu le caractère du père de César Borgia; mais ce sont les souverains énergiques et actifs qui laissent une empreinte profonde dans la mémoire des peuples, et non pas les hommes doux, tels que Ganganelli, Lambertini et les papes qui ont régné depuis cent ans. Par la moralité, ces papes sont peut-être supérieurs aux souverains qui, pendant le dix-huitième siècle, ont occupé les trônes de l'Europe. Mais la politique de la cour de Rome est constante envers ses sujets comme envers les rois, et il s'est fait d'étranges choses, même sous les meilleurs papes. Voyez ce que toléraient, en 1783, dans les couvents de Toscane, les évêques les plus vertueux 1. Le poison

1 Vie de Scipion Ricci, par M. de Potter. Biographie de tous les papes, publiée à Bruxelles en 1827. Vies de Paul Jove. Je publierai dans les

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