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un homme tout-puissant; voilà l'avantage de l'absence des décorations. On ne voyait donc que des habits noirs.

Il y avait à Rome autant de cours que de cardinaux. Si un cardinal devient pape, son médecin est médecin du pape; son neveu est prince. Ce billet gagné à la loterie fait la fortune de tout le monde dans la maison, grands et petits. On se répétait sans cesse, en 1778, que le patron était comme un homme qui, une fois tous les huit ans, met la main au chapeau pour tirer un billet noir mêlé avec trente-neuf billets blancs, et ce billet noir donne un trône. (Je traduis la phrase romaine. Ici le peuple s'occupe sans cesse de la loterie, des chances des jeux de hasard, et un pape ne vit guère que sept à huit ans). On parle tous les jours à Rome des maladies du pape régnant. Cette conversation est cruelle, triste, et m'ennuie; on descend à des détails de chirurgien. Tout le monde répète le proverbe : « Non videbis annos Petri; » ce qui veut dire : « Vous ne régnerez point vingt-cinq ans. » Lorsqu'en 1823 Pie VII approchait des années de saint Pierre, le peuple croyait que si le pape faisait mentir le proverbe Rome serait détruite par un tremblement de terre. Pie VI et Pie VII, en régnant l'un vingt-quatre ans et l'autre vingt-trois, ont fait mourir de chagrin bien des cardinaux.

L'immoralité profonde qui régnait dans le sacré collége en 1800 a disparu peu à peu, et l'esprit avec elle. A Rome comme ailleurs, les plus sots gouvernent, ou font peur à qui gouverne. Voilà l'esprit des restaurations.

Songez à la prudence qui devait s'établir dans un pays où une cour la plus despotique, mais la plus prudente et la moins violente du monde, était flanquée de trente cours aussi prudentes pour le moins. Figurez-vous la conduite d'un courtisan du cardinal Mattei, par exemple, qui n'avait que six courtisans quelle assiduité! Plus le cardinal avait d'esprit, moins il restait de liberté au courtisan. Le seul dédommagement de

ce malheureux était d'être environné du respect et des complaisances de sa famille pendant le peu d'heures qu'il pouvait passer chez lui. De là, la politesse et la prudence romaines; de là, la vraie politique. « Questa gente è l'unica al mondo per il maneggio dell' uomo, » dit M. le cardinal Spina.

Jamais une imagination française ne se figurera les prévenances inouïes dont un prêtre puissant est l'objet dans sa famille. Parmi nous il est des services que l'amitié la plus dévouée laisse au valet de chambre.

A Rome, comme il n'y a point de carrière ouverte pour les jeunes gens, quatre ou cinq années de chagrins, d'inquiétudes et de malheur, attendent la jeunesse bourgeoise vers l'âge de dix-huit ans, quand il s'agit de prendre un état. Un fratone (un moine puissant et intrigant) peut d'un mot tirer un jeune homme de cet enfer en lui faisant obtenir quelque petite place de six écus par mois (trente-deux francs). De ce moment l'imagination du jeune Romain est calmée : il se voit riche dans l'avenir pourvu qu'il soit prudent, et ne songe plus qu'à l'amour. Remarquez que Rome est plus petite ville que Dijon ou Amiens; tout ne s'y dit pas, mais tout s'y sait.

On parle encore à Rome du cardinal de Bernis; ce souvenir est l'un des plus imposants qu'aient conservés les vieillards de ce pays. C'est que ce cardinal était magnifique et poli; c'est ici tout ce que l'homme privé, s'il est prudent, voit du grand seigneur. Les Mémoires de Marmontel et de Duclos vous diront ce qu'était au fond le cardinal de Bernis, et les Mémoires de Casanova ce qui l'occupait en Italie. Le cardinal de Bernis soupe avec Casanova à Venise et lui enlève sa maîtresse; le comment est curieux.

A Rome, le cardinal de Bernis est une figure héroïque; il donnait un dîner magnifique tous les jours et recevait une fois la semaine. M. de Bayanne, auditeur de Rote (juge au tribu

nal de la Rota pour la France), avait la conversazione la plus agréable de Rome, table de bocetti dans une salle, dans une autre les meilleurs castrats, les premières chanteuses et un bon orchestre; dans une troisième, bavardage littéraire et philosophique, c'est-à-dire discussion sur les vases étrusques, sur les peintures d'Herculanum, etc.; partout profusion de glaces et de laquais lestes et respectueux. Figurez-vous toute cette magnificence commode dirigée par le maître de la maison, homme d'esprit dont c'est la passion.

La révolution a changé tout cela. M. d'Izoard, cardinal et archevêque, était auditeur de Rote de mon temps; il ne recevait jamais, et on le dénonçait à l'ambassadeur de France, M. de Blacas, s'il allait faire sa prière dans une église voisine de la maison du cardinal Fesch. C'est par des traits de cet esprit-là que la grande figure del re di Francia a disparu de l'imagination des Romains, mais le respect pour le successeur de Louis XIV est inné. Que ne ferait pas en Italie un ambassadeur homme d'esprit, avec cinquante mille francs de pensions distribuées au mérite, et deux croix tous les ans ! En cas de guerre, ces cinquante mille francs épargneraient des millions à la maison de Bourbon; mais il faudrait envoyer en ce pays des gens d'esprit, et on les craint.

On ne peut avoir de crédit à Rome qu'en établissant une subvention comme celle du Théâtre-Français; c'est-à-dire, dix pensions de douze mille francs, et trente de six mille francs. On avancerait, au choix du ministre des affaires étrangères, dirigé par l'ambassadeur; on suivrait, en général, l'ancienneté; il y aurait une pension de quarante mille francs.

En 1778, continue notre abbé, les cardinaux et princes romains ne revenaient pas d'étonnement que deux hommes sensés, après avoir tiré un bon lot à la loterie de la fortune, MM. de Bernis et de Bayanne, se donnassent tant de peine pour

faire dîner et digérer le public. Le prince Antonio Borghèse, un peu jaloux, disait : « Ces gens-là ont été tirés d'un grenier par la fortune; la magnificence est une nouveauté dont ils ne peuvent se rassasier. >>

Un prince ou un cardinal dînait seul, allait ensuite voir sa maîtresse, et dépensait des sommes énormes à bâtir un palais ou à restaurer l'église qui lui donnait son titre. (Voir les Mémoires de Casanova, mais l'édition en langue française imprimée en Allemagne, 1827.)

Les cardinaux d'aujourd'hui ne bâtissent pas, parce qu'ils sont pauvres; trois ou quatre peut-être ont des maîtresses, femmes respectables et d'un certain âge; douze ou quinze recouvrent d'une prudence parfaite des goûts passagers. Histoire des trois dots obtenues cette année par la belle Cechina, notre voisine.

Voyez-vous dans la rue s'avancer, au petit trot de deux haridelles, un carrosse dont le train est peint en rouge? Deux pauvres laquais recouverts d'une sale livree vert-pomme sont montés derrière, l'un d'eux porte un sac rouge. Si tout cela vient à passer près d'un corps de garde, la sentinelle jette un grand cri, les soldats assis devant la porte se lèvent lentement pour aller chercher leurs fusils; quand ils sont en rang, les baridelles ont transporté le vieux carrosse à vingt pas plus loin et les soldats se rasseoient. Si vos regards pénètrent dans ce carrosse, vous apercevez un curé de campagne qui a l'air malade. Dix ou douze cardinaux seulement ont la mine emphatique d'un gros préfet grossier qui se promène dans sa ville après avoir dîné.

L'ignorance de ces messieurs en tout ce qui touche à l'administration est la même qu'en 1778, c'est-à-dire superlative. Mais elle est plus frappante, parce que le monde a fait un pas. Mon voisin, un jeune avocat de Rome, lit la Logique de M. de

Tracy, traduite en italien. La jeunesse des cardinaux d'aujourd'hui, comprimée par Napoléon, n'a pas été employée à intriguer chez la princesse Santa-Croce ou chez madame Braschi. On ne peut donc espérer de rencontrer à la cour de Rome ni la finesse, ni le savoir-vivre qui brillaient chez les collègues du cardinal de Bernis. Deux ou trois peut-être ont de l'esprit, ce qui les embarrasse fort.

Les cardinaux de 1829 connaissent l'homme par les ouvrages des saints Pères et les légendes du moyen âge; le nom de monsu de Voltaire les fait pâlir. Ils croient que le mot économie politique est un nom nouveau donné à quelque exécrable hérésie française. A leurs yeux, il n'y a pas loin de Bossuet à Voltaire, et ils haïssent davantage Bossuet, qui pour eux est un renégat. Mais je me tais; il est difficile de parler du temps présent à une société un peu collet monté et qui a besoin de mépriser ceux qui lui font des contes.

Voulez-vous savoir ce que c'était qu'un cardinal en 1745? Duclos vous le dira, Duclos, Breton qui disait de Voltaire et de d'Alembert << Ils en feront tant, qu'ils finiront par me faire aller à la messe. » Aussi fut-il ennobli et réunit-il pour vingt mille francs de places.

En 1745, l'empereur François 1er venait d'être élu à Francfort, malgré les efforts de la France et de l'Espagne; le parti autrichien à Rome imagina une espèce de triomphe. On prit un enfant de douze à treize ans, fils d'un peintre nommé Léandro, et d'une jolie figure; on l'habilla d'oripeaux; un fachino le portait debout sur les épaules; on le promena dans Rome, suivi d'une foule de canaille qui criait : « Vive l'empereur! » Cette mascarade passa d'abord devant le palais du cardinal de la Rochefoucauld, chargé des affaires de France, s'arrêta sous les fenêtres et redoubla de cris de joie. Le cardinal sentit bien que ce n'était pas pour lui faire honneur; mais,

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