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changé lui-même dans la solitude et dans les loisirs de sa retraite, il pensait que rien n'avait changé autour de lui. Il ignorait l'éclosion d'un nouvel esprit dans le siècle et la puissance de cette force nouvelle appelée l'opinion publique. Il était convaincu par les routines de sa jeunesse que la monarchie de Louis XIV, transmise tout entière avec le sang de ses descendants, était quelque chose de divin ou d'immuable comme une religion, que les mobiles mouvements de la pensée des sujets ne s'élèveraient jamais jusqu'aux fondements du trône absolu, et que tout le secret d'un premier ministre était de dédaigner ce vain tumulte d'idées nouvelles en satisfaisant à propos quelques intérêts ou quelques ambitions. L'homme de cour, après un certain temps, devient incapable de comprendre un peuple.

M. de Maurepas commença par populariser le prince par les libéralités qu'il lui conseilla. Le roi renonça, pour la reine et pour lui, aux subsides attribués par l'usage aux nouveaux règnes sous le nom de droit de joyeux avénement. Il annonça des réformes et des économies dans les dépenses ; il appela au ministère des hommes recommandables par l'austérité de leurs mœurs, et qu'on appelait le parti des honnêtes gens de la cour. Le comte du Muy reçut le ministère de la guerre; M. de Vergennes, diplomate studieux et versé dans la politique de l'Europe, les affaires étrangères; un jeune administrateur du Limousin, M. Turgot, fut élevé au ministère de la marine. C'était une caresse aux économistes, secte née à la fin du dernier règne dans les salons de la maîtresse du roi, madame de Pompadour, des méditations du docteur Quesnay. Les économistes étaient les philosophes pratiques de la finance; ils avaient fait de la richesse des États une science dont le premier élément était la liberté du commerce et des industries. Dédaigneux de la religion et de la liberté politique, la prospérité pu

blique était à leurs yeux le seul but des gouvernements. Enrichir le peuple, c'était, selon leur doctrine, autant que le moraliser. Ils étaient les matérialistes de la philosophie. Parmi leurs théories non encore expérimentées, les unes étaient vraies, les autres chimériques, mais toutes étaient neuves et prestigieuses, et l'attrait de la nouveauté et du mystère donnait un grand crédit à leur secte. Elle était le berceau d'une science qui a fait des progrès incessants depuis, mais qui n'est point encore achevée. M. Turgot associait en lui à sa foi dans cette science un mérite réel et des qualités éminentes.

XXVIII

Juste, modéré, impartial, ami du peuple et aimé de lui, méprisant les agitations stériles que la rivalité ambitieuse des parlements et de la couronne avait suscitées à la fin du dernier règne, plus partisan de l'autorité royale que de cette oligarchie multiple et factieuse qui empiétait à la fois sur le peuple et sur le roi, M. de Turgot n'avait pas craint de siéger dans le parlement réformé, que le courage du chancelier Maupeou avait substitué aux anciennes cours révoltées et vaincues. Il avait, comme intendant du Limousin, administré avec bonheur cette province, d'après les principes libéraux de sa secte. Ses doctrines sur la liberté du commerce des grains, appliquées avec mesure sur une petite province, avaient enrichi le peuple. Son nom, prononcé avec bénédiction par ses administrés, s'était répandu en France. Les philosophes rédacteurs de l'Ency

clopédie, code immense et confus de la raison moderne auquel il avait concouru, lui avaient fait une renommée de parti.

Le choix de Turgot était le programme d'une révolution dans l'administration du royaume. On le salua comme les peuples saluent les grandes espérances.

M. de Maurepas ne pouvait pas plus heureusement faire augurer le prélude d'un règne. L'abbé Terray, financier âpre et odieux, qui ne comptait la richesse de l'État que dans le trésor du fisc, et qui n'avait ni scrupule ni ménagement pour le remplir, conserva la direction dest finances.

Le chancelier Maupeou, homme de génie, révolutionnaire aussi hardi au profit de la couronne que le cardinal de Richelieu, avait triomphé, à force d'audace, des anciens parlements. Il était parvenu à créer une justice nouvelle qui affranchissait à la fois le roi et le peuple de l'insolence et de l'aristocratie parlementaires. M. de Maurepas le laissa à son poste. Si le vieux ministre avait soutenu M. de Maupeou contre les murmures de la faction des vieux parlements, le gouvernement ainsi composé avait, dans M. Turgot, dans M. de Vergennes, dans le chancelier Maupeou, assez de lumières et assez de caractère pour s'imposer avec succès à l'opinion et pour assurer la victoire de la monarchie contre les parlements. Mais le roi et la reine, par la sensibilité même de leur âme et par la candeur de leur jeunesse, avaient soif avant tout de l'applaudissement de leur peuple. Gouverner, pour eux, c'était plaire. A leur entrée solennelle dans leur capitale, la froideur et les murmures du peuple, excités par les parlementaires, leur firent craindre de s'être trompés dans le choix de leurs ministres. Ils s'informèrent avec anxiété des causes qui assombrissaient la physionomie de la multitude. On leur dit que

«

l'impopularité de l'abbé Terray et du chancelier Maupeou rejaillissait sur eux et leur aliénait les cœurs. M. de Maurepas n'hésita pas à sacrifier la couronne pour garder la faveur du roi. Il congédia l'abbé Terray et le chancelier. J'avais fait gagner un grand procès à la monarchie, dit << en remettant les sceaux le ministre libérateur de la « couronne. Le jeune roi veut reprendre le joug des parle«ments et remettre en question ce qui était décidé. Il <<< en est bien le maître. » Et M. de Maupeou partit pour l'exil.

XXIX

Cette double faiblesse fut le signal d'une double sédition de joie dans le peuple. Le contrôleur général des finances. échappa à peine par la fuite aux insultes de la populace. Les scribes et les clercs de l'ancien parlement soulevèrent la multitude autour du palais de justice, allumèrent des feux de joie, pendirent des mannequins revêtus des costumes des ministres congédiés, et ensanglantèrent leur triomphe par le meurtre de quelques officiers de police. Le règne s'ouvrait par des séditions triomphantes, triste rétribution des complaisances irréfléchies du pouvoir.

Un homme obscur, connu seulement pour sa résistance à la réforme du parlement sous le chancelier Maupeou, M. de Miroménil, fut nommé chancelier. Turgot passa de la marine au ministère des finances. Il présenta ses plans à Louis XVI, qui s'émut jusqu'aux larmes à la perspective de la félicité de ses sujets, et qui jura à son ministre de le soutenir avec constance dans ses réformes. Le système

représentatif et les assemblées provinciales de propriétaires pour consentir l'impôt, l'égalité des classes devant les contributions, la liberté de l'agriculture, du commerce, des professions, faisaient partie des plans de Turgot. Le roi ne s'alarmait d'aucune nouveauté ni d'aucun sacrifice de son pouvoir, pourvu qu'il y vit la félicité publique.

Bientôt sourd aux représentations de Turgot, de ses tantes, de son frère le comte de Provence, et altéré avant tout de nouvelles bénédictions, le roi manqua à ses promesses et rappela les anciens parlements. C'était placer entre les réformes projetées par Turgot et la couronne des tuteurs jaloux, dominateurs, qui contrôleraient et briseraient toutes ses volontés.

Le roi crut que l'accent des paroles compenserait la faiblesse de l'acte. Il reçut les parlementaires avec un visage sévère. Le roi mon aïeul, leur dit-il, a fait en vous exilant

ce que le maintien de son autorité et les besoins de la < justice dans le royaume exigeaient de lui. Je vous rappelle aujourd'hui à vos fonctions, que vous n'auriez ⚫ jamais dû quitter. Sentez le prix de mes bontés et ne les oubliez jamais.

Les parlementaires ne sentirent que leur triomphe et sa défaite. La seule œuvre royale de Louis XV était répudiée par son successeur. Louis XVI allait avoir à combattre à la fois une démocratie naissante et une aristocratie invétérée, liguées dans les vieux parlements contre lui. Les parlementaires ne tardèrent pas à violenter la main. qui les relevait. Leurs révoltes donnèrent constamment le texte, le signal et l'occasion aux séditions du peuple.

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