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tunait ses collègues et portait ombrage à M. de Maurepas. Bien que la reine le protégeât, Necker tremblait devant le premier ministre, maître exclusif de la confiance du roi. « Je me rappelle encore, écrit-il après sa retraite, ce long « et obscur escalier de M. de Maurepas que je montais avec << crainte et mélancolie, incertain du succès, auprès de lui, « d'une idée nouvelle que j'avais à lui soumettre. Je me « représente encore ce cabinet en entre-sol placé sous les a toits de Versailles, au-dessus de l'appartement du roi, et

qui, par sa petitesse et sa situation, semblait véritable<<ment un abrégé de toutes les vanités, de toutes les somp« tuosités et de toutes les ambitions. C'est là qu'il fallait << entretenir de réformes et d'économies un ministre vieilli « dans le faste et dans les usages de la cour. Je me souviens « encore de l'espèce de pudeur dont j'étais embarrassé « lorsque je mêlais à mes discours quelques-unes des << grandes idées morales dont mon cœur était animé. »

α

XXXV

Des ressentiments et des rivalités éclatèrent. Necker, pour se rendre plus cher au pays, plus inviolable à la disgrâce, publia pour la première fois un compte rendu à l'opinion de l'administration et de l'état des finances.

C'était reconnaître un autre maître et un autre juge que le roi et les parlements; c'était déchirer le voile du conseil des ministres, et appeler les regards de la multitude sur les mystères du trésor et du gouvernement. C'était en même temps promulguer avant l'heure en son seul nom le pro

gramme administratif et sentimental de tous les vœux du bien public.

Cette adulation habile à l'opinion, quoique entremêlée des hommages inconvenants que le ministre se rendait partout à lui-même, et qu'il étendait même aux vertus de sa femme, fut accueillie en France et en Europe avec le fanatisme qui excuse tout, et avec l'enivrement qui déifie tout. Necker devint l'idole de l'espérance publique. Son compte rendu, masquant la dette arriérée de l'État, portait à dix millions la supériorité des revenus sur les dépenses, même en temps de guerre. Un tel résultat glorifiait l'administration du ministre et fit affluer deux cents millions d'emprunt nouveau dans le trésor.

XXXVI

M. de Maurepas, justement inquiet d'une publicité qui transportait à l'opinion le contrôle de la royauté, et personnellement offensé de ce que M. Necker, sans daigner le nommer, rapportait toute la gloire de la situation à luimême, railla le charlatanisme de ce rapport. Le roi conçut des inquiétudes. M. de Vergennes, homme de secret et de hiérarchie dans le gouvernement, démontra au prince le danger de livrer la France à la merci d'un étranger et la couronne à un républicain; les financiers et les publicistes des partis hostiles ou indépendants du ministre des finances contestèrent, démentirent, bafouèrent l'œuvre et l'homme. La liberté de la presse naquit de fait de cette téméraire publicité.

Necker supporta mal la discussion qu'il avait provoquée. Il fit saisir et poursuivre les écrits de ses adversaires. Il somma impérieusement M. de Maurepas de le couvrir d'une faveur éclatante et exceptionnelle du roi, en l'introduisant au conseil et en lui attribuant la supériorité sur les ministres de la guerre et de la marine. Déconcerté dans ses exigences par M. de Maurepas, M. Necker donna au roi sa démission; il se retira, dans sa popularité et dans son opulence, au château de Saint-Ouen, à la porte de Paris. Sa maison devint le sanctuaire d'une idolâtrie de son génie et le foyer de l'opposition contre la cour. De là ses écrits, multipliés avec les circonstances, semèrent les murmures et la colère dans l'esprit de la multitude contre les privi« légiés de la société. « Presque toutes les institutions « civiles,» dit-il, « ont été faites pour les propriétaires. On « est effrayé en ouvrant le code des lois de n'y découvrir « partout que cette vérité. On dirait qu'un petit nombre. « d'hommes, après s'être partagé la terre, ont fait des lois « de garantie contre la multitude, comme ils auraient con«struit des abris dans les bois pour se défendre des bêtes « sauvages!... Que nous importent vos lois de propriété? « nous ne possédons rien! Vos lois de justice? nous n'avons « rien à défendre! Vos lois de liberté ? si nous ne travail<«<lons pas, demain nous mourrons!... » Le ministre devenait tribun pour remonter au pouvoir sur les bras du peuple.

XXXVII

On s'inquiétait à la cour de l'impossibilité de remplacer un ministre si cher au peuple.

« L'homme impossible à remplacer est encore à naître, » répondit M. de Maurepas à ceux qui lui parlaient de la difficulté de succéder à M. Necker. Il fit nommer à sa place un parlementaire, M. Joly de Fleury, flattant ainsi les corps qu'il avait offensés sous M. Turgot et bravés sous M. Necker.

La guerre d'Amérique occupait les esprits. M. de Maurepas mourut avant les agitations que sa légèreté avait préparées à son jeune maître. Louis XVI le pleura comme un père et le regretta comme une habitude. Ce ministre le soulageait de ses hésitations en prenant témérairement sur lui la responsabilité de sa politique. « Ah! » dit le roi le lendemain de sa mort, « je n'entendrai plus tous les matins « sur ma tête le bruit des pas de mon vieil ami! »

Le roi tenta d'imiter Louis XIV en dirigeant lui-même son conseil, et il éprouva une secrète joie de marcher sans tuteur.

M. de Vergennes méritait et obtint le principal ascendant dans son cabinet. Le ministre des finances, agréable au parlement, obtint à Paris l'enregistrement de trente millions de nouveaux impôts. Ceux de Franche-Comté et de Bretagne résistèrent. Des troupes furent nécessaires pour dompter l'esprit parlementaire qui insurgeait la population de Rennes.

D'Ormesson succéda à Fleury dans la direction des finances. Honnête et scrupuleux, mais incapable, son impéritie laissa après sept mois les emprunts accrus de 340 millions et le trésor public entièrement vide.

Il fallait un prodige pour prévenir la banqueroute imminente de l'État. Tous les aventuriers s'offrirent. La duchesse de Polignac, amie de prédilection de la reine, fit choisir Calonne, intendant de Lille. Calonne n'avait rien à risquer, ni en considération ni en crédit; il avait la confiance de la

« provinces sont étrangères les unes aux autres, où des barrières multipliées dans l'intérieur séparent et divi«sent les sujets d'un même souverain, où les classes les

plus riches sont les moins contribuables, où les plus << pauvres supportent tout le poids, où les priviléges rom« pent tout équilibre, est un royaume qu'il est impossible << de bien gouverner... On ne peut établir solidement les « finances qu'en réformant la constitution! Il faut repren«dre en sous-œuvre l'édifice entier pour en prévenir la « ruine!... Sire, le succès élèvera votre nom au-dessus des « plus grands noms de cette monarchie, dont vous méri« terez ainsi d'être appelé le législateur. »>

Calonne, après ce préambule révolutionnaire, remaniait dans ses plans toutes les institutions, et réformait, dans l'intérêt du roi, provinces, clergé, noblesse, parlement. Il montrait dans ses vues le génie précurseur de la Révolution; il refaisait contre les priviléges ce que Richelieu avait conçu contre la féodalité. Le signal du remaniement du royaume partait du conseil du roi.

XXXIX

Enfin Calonne avoua au roi le déficit immensément accru qu'il lui cachait avec tant d'art et tant de prodigalité depuis son entrée au ministère, et il ne lui montra pour combler cet abime que les vices, les abus, les usages, les immunités d'impôt, les droits des provinces, les priviléges des corps, les inégalités des classes, à jeter courageusement dans le gouffre.

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