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⚫général, ce n'est pas le langage qu'il faut tenir à ceux qui ont violé dans votre personne les lois les plus sacrées : pour obtenir d'eux quelque chose, il faut leur parler de pitié; c'est-à-dire qu'après vous avoir fait du mal, ils veulent encore avilir leur victime: Mirabeau ne parlait que de ses droits, et il restait prisonnier. Cependant, au sein de sa captivité, son génie savait donner un grand caractère à ses malheurs. Il semblait s'oublier lui-même pour ne voir dans sa détention que la violation des principes protecteurs de la société, qu'un nouvel outrage fait à la liberté civile, dont l'existence sera toujours la condition essentielle de la légitimité des pouvoirs. Son propre intérêt disparaissait devant des intérêts plus élevés, et il composa son Essai sur les Lettres de cachet. Dans cet éloquent écrit, après avoir dévoilé la tyrannie intérieure des maisons d'état, il combat le principe qui en est la source. En protestant contre les lettres de cachet, cette arme si terrible du despotisme ministériel, il démontre que c'est au mépris de toutes les lois, au moyen d'une usurpation coupable, que des ministres avaient cru pouvoir arbitrairement exiler, ou priver de leur liberté, des citoyens dont tout le crime était quelquefois de n'avoir pas voulu consentir à leur propre avilissement. Non-seulement il déclare ces ministres coupables envers la nation, dont ils violent les libertés, mais aussi envers le prince, dont ils ébranlent l'autorité en la montrant oppressive, tandis qu'elle ne devrait être que protectrice. » Les ministres, dit-il, en changeant » ou affaiblissant les lois d'un état leurs intérêts parpour > ticuliers, ruinent la puissance et mettent en danger la » personne de leur maître, dont l'autorité ne peut se sou>> tenir long-temps par la force. » Maxime qui sera vraie tant que des ministres prévaricateurs, ennemis des lois de l'état dont la garde leur est confiée, pourront éluder toute responsabilité.

Après avoir combattu les lettres de cachet par l'autorité

des lois positives, Mirabeau invoque des principes d'une autre nature en remontant à l'origine des lois et à leur véritable destination, il ne les trouve légitimes qu'autant qu'elles sont fondées sur la raison, et qu'elles assurent aux citoyens la jouissance des droits que la conscience révèle à l'humanité. Mirabeau a exprimé fortement ses pensées; il combat l'arbitraire sous toutes ses formes, avec cette puissance de dialectique qui ne l'abandonnait point au sein même de ces inspirations éloquentes qu'il trouvait dans son âme, et aussi dans ses malheurs : son ouvrage est un beau monument élevé à la liberté civile.

Mais si le citoyen doit être respecté dans sa personne, il doit l'être aussi dans ses pensées et surtout dans ses opinions religieuses. Quoique la plupart des ordonnances dont Louis XIV avait persécuté les protestans fussent tombées en désuétude, quelques-unes avaient résisté à tous les efforts de la raison et traversé le dix-huitième siècle ce n'était pas assez d'exclure les protestans de tous les emplois; on leur refusait encore un moyen légal d'assurer l'état civil de leurs enfans. Par une fiction que l'on considérait comme l'effet d'une habile politique, tandis qu'elle n'était qu'une odieuse conception de l'intolérance religieuse, on ne reconnaissait point de protestans aux yeux de la loi, et on imposait au mariage de ceux qui professaient la religion réformée les mêmes formalités qui donnaient l'existence à celui des catholiques. C'est ainsi que la loi plaçait des milliers de citoyens dans la cruelle nécessité ou de trahir leur conscience en rendant un hommage solennel à un culte étranger, ou de ne donner pour base au plus respectable de tous les nœuds que les affections passagères de ceux qui les avaient formés. Déjà, dans son Essai sur les Lettres de cachet, Mirabeau avait signalé avec indignation ces déplorables abus: il crut bientôt devoir les attaquer jusque dans le principe sur lequel ils re

posaient, et il écrivit un Essai sur l'Intolérance en matière de religion, ouvrage inconnu encore aujourd'hui, mais qui bientôt sans doute sortira de l'obscurité, car il est dans les mains d'un homme à qui la mémoire de Mirabeau est chère (*).

Après trois années d'une détention dont presque tous les instans furent consacrés à des études utiles à l'humanité, Mirabeau sortit de sa prison, son père ayant enfin cédé aux instances de sa famille qui depuis long-temps le sollicitait de mettre un terme à ses rigueurs. Le premier usage qu'il fit de sa liberté fut de se rendre à Pontarlier, et de demander à être jugé sur l'accusation de rapt portée contre lui par M. de Monnier. Il plaida lui-même sa cause avec un grand talent, et fut absous sans difficulté. De retour dans la Provence, il fut bien accueilli par sa famille, se réconcilia avec son père, mais il tenta inutile

(*) Ce fut pendant sa détention au donjon de Vincennes que furent écrites les lettres à madame de Monnier. Ces lettres, qu'on a publiées après la mort de l'auteur sous le nom de Lettres à Sophie, contiennent sans doute des détails dont la morale s'afflige : mais la publicité seule de ces détails fut un crime envers la société, et Mirabeau n'en est point coupable. J'ai sous les yeux une lettre du 10 décembre 1778, écrite de sa propre main, et dans laquelle je lis ces mots :» Je suis menacé de davantage encore: >> des monstres qui infestent le pavé de Paris, tandis que tant d'honnêtes » gens gémissent à Bicêtre et aux galères, se vantent hautement qu'ils font » imprimer ma correspondance et celle de la malheureuse victime de mon » amour ce coup est affreux, et si j'y survivais, ce serait pour la venger, dussé-je y périr. » La justification de Mirabeau n'est-elle pas tout entière dans ces mots? Si la morale publique a été outragée, qui faut-il en accuser? Est-ce le malheureux privé depuis long-temps de sa liberté, aigri par une injuste oppression, qui pour se soustraire quelques instans à ses malheurs, s'abandonne à toute son imagination dans des lettres qui ne devaient être connues que de l'objet d'un amour violent? N'est-ce pas plutôt cette inquisition odieuse exercée par la police, qui s'efforçait de violer jusqu'au secret de la pensée des prisonniers, déjà victimes de l'arbitraire? N'est-ce pas plutôt ces spéculateurs avides qui ont attendu la mort d'un homme de génie, pour faire entrer dans leurs infâmes calculs la publication d'une correspondance sur laquelle personne n'avait des droits, et qu'on aurait dû enfermer dans la tombe avec son auteur?

ment de ramener à lui son épouse: il en fut séparé à jamais par un arrêt fondé sur la publicité donnée par lui, dans un de ses Mémoires, à une lettre qui semblait établir l'infidélité de madame Mirabeau (*).

Ici Mirabeau commence une nouvelle carrière. Une expérience acquise par de longs malheurs avait mûri sa raison et calmé la violence de ses passions. Ses égaremens avaient expiré avec sa jeunesse et avec les causes d'irritation qu'il trouvait dans la rigueur de son père, On peut dire que jusqu'alors ses affections avaient été déplacées désormais son âme ne devait plus connaître d'autre passion que le désir ardent de servir l'humanité. Mais, pour servir les hommes, il ne suffit pas de s'indigner contre les abus sous lesquels ils gémissent, et de sentir en soi ces nobles inspirations qui nous révèlent les lois de l'éternelle justice; il ne suffit pas même d'avoir du génie le génie qui ne s'appuie point sur l'expérience peut porter l'incendie au sein des nations qu'il doit éclairer, et les abstractions les plus sublimes peuvent devenir de sanglantes réalités. Mirabeau, nourri d'études spéculatives, convaincu de cette vérité, qu'il est des droits dont on ne saurait légitimement priver les hommes; mais sachant aussi que les formes du gouvernement protectrices de ces droits peuvent varier selon les circonstances particulières à chaque pays, se transporta au milieu d'une nation où la liberté civile était respectée, et où la liberté politique existait pour la protéger, afin d'observer dans son action sur un grand peuple une constitution qui compte les hommes pour quelque chose dans la formation des lois qu'ils doivent observer : il vit l'Angleterre, et s'y livra à des observations dont bientôt

(*) M. Portalis avait plaidé avec un grand talent, pour madame de Mirabeau, devant le parlement d'Aix.

MIRABEAU. TOME 1.

B

il enrichit sa patrie. Uni par l'amitié à quelques savans Anglais, il put étudier avec fruit les lois fondamentales sur lesquelles reposaient et l'autorité de leur gouvernement et les droits des citoyens; et tout en admirant ce qu'elles avaient d'utile, il sut en voir les défauts : il suivit ces lois dans leurs rapports immédiats avec la nation, et put se convaincre de l'influence qu'un gouvernement libre a toujours sur le bonheur des hommes. C'est ainsi que, prévoyant déjà pour la France la nécessité d'une régénération politique, Mirabeau appréciait les institutions d'après leurs résultats, et acquérait la connaissance des lois qu'il conviendrait d'élever un jour dans sa patrie, connaissance qui doit précéder toute destruction, et sans laquelle les peuples sont exposés à manquer la liberté au milieu des convulsions terribles et passagères qui peuvent bien détruire une vieille tyrannie, mais qui n'en préviennent pas toujours une nouvelle.

L'Amérique, libre au dehors, s'était donné une constitution dictée par le respect des droits de l'homme. Mirabeau étudie les institutions naissantes de ces peuples nouveaux, heureux de pouvoir porter dans leur sein une liberté à laquelle des nations vieillies ne sauraient arriver peut-être que par une longue préparation; il apprend que sous le nom d'Ordre de Cincinnatus, une distinction entre les citoyens venait d'être consacrée par une de leurs lois. Effrayé des dangers dont cette source d'inégalité pouvait menacer leur constitution, il écrit des considérations sur l'ordre nouvellement établi, et les Américains s'empressent de rejeter loin d'eux une institution étrangère, dont l'existence pouvait corrompre les mœurs républicaines (*).

Rendu à sa patrie, Mirabeau prouva, par ses écrits, que

(*) Quoiqu'il fût d'une famille très-ancienne dans les priviléges, Mirabeau se montra constamment l'ennemi de toute sorte d'inégalité : un homme de lettres voulait écrire l'histoire du patriciat. « Laissez-moi, lui

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