Sayfadaki görseller
PDF
ePub

ordres privilégiés, ajoute-t-il, si c'est là plutôt être l'homme du peuple que celui des nobles! car les priviléges finiront, mais le peuple est éternel,

Mirabeau fut exclu de l'assemblée des possédans-fiefs: on a dit qu'il s'était jeté dans la cause du peuple, parce qu'il avait été rejeté par la noblesse; ce n'est point là connaître le caractère de celui qui, à la cour de Berlin, parla des droits des nations au successeur du grand Frédéric le jour de son avénement au trône. Mirabeau ne se montra pas l'homme du peuple parce qu'il avait été rejeté par la noblesse; mais il ne fut rejeté par la noblesse que parce qu'il s'était montré l'homme du peuple, et qu'on ne pouvait espérer de faire fléchir ses opinions.

Exclu de l'assemblée des possédans-fiefs, il devint l'idole du tiers-état; on l'aimait déjà pour ses principes populaires; on l'aima davantage depuis l'injuste exclusion dont on avait voulu le flétrir. Sa présence excitait des transports dans un pays où un soleil plus ardent semble ajouter à la violence des passions. A Aix, la jeunesse lui offrit une garde d'honneur ; à Marseille, le peuple traîna lui-même sa voiture, et se livra aux démonstrations de la joie la plus vive : on lui assigna au spectacle une place particulière, et, pendant une représentation à laquelle il assistait, une couronne fut placée sur sa tête : ils devaient être bien odieux à cette population passionnée, ces priviléges dont Mirabeau avait prédit la ruine! Après avoir été l'idole de ses concitoyens, il eut bientôt l'occasion de s'en montrer l'arbitre : au moment où une effervescence générale régnait dans toute la Provence, le peuple de Marseille se plaignait du prix excessif du pain : cette ville paraissait menacée des plus grands désordres : Mirabeau s'adresse aux Marseillais par un écrit où la raison est mise à la portée de tous les esprits; et, ce que n'avait pu la puissance du gouverneur de la province, son intervention suffit pour l'opérer : le calme se rétablit dans Marseille.

Cependant l'illégalité des états de la province avait été reconnue par le gouvernement, qui autorisa le tiersétat à s'assembler par sénéchaussées, afin de nommer des députés aux états-généraux. Aix et Marseille élurent Mirabeau, qui, publiquement, avait abjuré sa qualité de noble en faisant inscrire sur un magasin ces mots : Mirabeau, marchand de draps. Il opta en faveur de la ville d'Aix; et ce fut en qualité de député du tiers-état de cette ville qu'il se présenta aux états-généraux, devenus bientôt assemblée nationale. Là, son éloquence se développa dans tout son éclat; et ses travaux, qui furent immenses, y attestèrent à la fois et l'étendue de ses connaissances dans la science politique, et la profondeur de ses vues, et la fermeté de ses principes. Son nom se trouve attaché honorablement à tous les actes de cette assemblée. Dans les premiers temps, lorsque les esprits restaient encore incertains en présence de ces formes que la raison avait bien ruinées, mais qui étonnaient encore par l'influence des habitudes, nul ne montra, selon les circonstances, plus d'intrépidité et de grandeur d'âme ; et dans tous les temps, à toutes les époques, alors que tant d'attaques diverses menaçaient la liberté naissante, nul ne se montra plus zélé défenseur des droits du peuple, plus ennemi de ces désordres contre lesquels la liberté devait nécessairement échouer.

Si j'avais à peindre la révolution comme il me semble qu'elle devait se montrer, je tracerais l'image d'un génie qui d'une main renverse les institutions vicieuses que l'opinion publique repoussait avec trop de force pour qu'il fût possible de se servir de ménagement à leur égard, et de l'autre écrit des lois énergiques destinées à maintenir l'ordre au sein même de la destruction, et à préparer dans l'avenir la ruine insensible des abus que l'humanité et peut-être aussi la sagesse ne permettaient pas d'arracher avec violence. Bien des hommes, à la fin du dernier

siècle, avaient appris à connaître, pour les détruire, les institutions qui avaient pendant long-temps opprimé la nation; et l'on peut dire que la première partie de la révolution devait s'opérer par la seule force des choses. Le mouvement communiqué aux esprits devait emporter nécessairement et les priviléges et tout ce que l'opinion publique désignait comme oppressif; mais pour faire sortir des ruines de l'ancien ordre social la paix avec la liberté, il fallait des lois que quelques hommes profondément versés dans la connaissance des choses humaines pouvaient seuls fonder: Mirabeau me paraît être du petit nombre de ceux qui comprirent bien la question tout entière, et qui avaient assez d'étendue d'esprit pour la résoudre.

Je n'essaierai point de le suivre pas à pas dans sa carrière politique. Il me faudrait pour cela présenter le tableau de tous les travaux de l'assemblée nationale, ce qui ne conviendrait ni à mes forces, ni à la nature de cet écrit ; je retracerai seulement quelques-uns des faits essentiels qui peuvent servir à caractériser Mirabeau comme citoyen, et quelques-uns des principes qui le caractérisent comme législateur.

L'ordonnance du roi qui accordait au tiers-état une représentation égale (*) à celle des deux autres ordres réunis, était décisive pour la révolution, si les communes pouvaient obtenir la délibération par tête dans une assemblée générale des députés des trois ordres; mais l'aristo

(*) On sait que Louis XVI avait convoqué les notables pour les consulter sur le mode d'organisation des états-généraux. Il n'y eut qu'un bureau (le sixième, présidé par Monsieur, aujourd'hui Louis XVIII) qui fut d'avis d'accorder au tiers-état un nombre de députés égal à celui des deux autres réunis. L'opinion de ce bureau, soutenue par M. Necker, fut adoptée par le roi le 27 décembre 1788.

cratie, qui avait protesté avec force contre cette ordonnance, redoubla d'efforts pour s'opposer à toute délibération par tête dans une assemblée commune; elle prévoyait déjà la ruine des priviléges, et elle s'agitait comme si la patrie était sur le point d'expirer. Les communes, après avoir montré cette modération que leur recommandait un des députés dont elles avaient le plus à s'honorer (*), crurent enfin avoir besoin d'une mesure énergique pour faire rentrer les privilégiés dans la nation; elles se constituèrent sous le nom d'ASSEMBLÉE NATIONALE. Mirabeau leur avait proposé de se constituer sous la qualification de REPRÉSENTANS DU PEUPLE. Le second discours qu'il prononça en faveur de cette qualification est remarquable par les traits de la plus belle éloquence, et surtout par les vérités courageuses que recèlent les inspirations sublimes de l'orateur. La vieillesse des abus ne saurait les rendre sacrés aux peuples, et une oppression qui s'est soutenue pendant des siècles n'est point légitimée par cela seul qu'elle a pesé sur un plus grand nombre de générations. C'est en vain qu'afin de pouvoir refuser à la nation la jouissance des droits dont elle avait été trop long-temps privée, les ordres privilégiés s'efforçaient de diviniser leurs priviléges et d'étouffer la raison sous le poids d'une autorité sainte : la raison s'indignait contre ces coupables efforts. C'est elle qui disait aux représentans des communes, que puisque l'homme trouve au fond de son âme, gravé en traits de feu, l'amour de la liberté, c'est la liberté seule, et non l'oppression, qui doit être placée sous une protection sublime; c'est elle qui leur disait qu'au sortir d'un état de choses où les priviléges seuls avaient des codes, le peuple français avait enfin des droits à exercer, et un grand exemple

[ocr errors]

(*) M. Boissy-d'Anglas. «Vous avez pour vous la force et la raison, » il vous faut encore la modération. » (Séance du 12 mai 1789.)

à donner aux nations dont une constitution ne garantissait pas les droits. Mirabeau, le premier dans l'assemblée des députés des communes, révéla au peuple français son existence morale, trop long-temps méconnue, en proclamant ses droits et sa puissance. Il parle de ce peuple qui existe, de ce peuple qui est tout; dans ces paroles se trouve tout entier le principe de la souveraineté du peuple, qui couvrit de sa protection le pouvoir qu'exercèrent les élus de la nation, et leurs efforts pour donner une constitution à la France: principe qu'il ne faut pas entendre dans ce sens, qu'une majorité quelconque peut opprimer à son tour ceux dont elle fut opprimée longtemps; car la justice, qui doit régler toute puissance humaine, condamne le despotisme exercé par un grand nombre, tout aussi-bien que le despotisme d'un seul : il signifie seulement que le bien-être des nations est le but de toute autorité, comme c'est dans leur volonté que toute autorité prend sa source, il consacre aussi le droit des peuples à se donner les lois dont ils ont besoin, et qu'une fausse politique leur refuserait; et à défendre les institutions qu'ils chérissent, lorsque les usurpations du pouvoir s'efforcent de les anéantir. Mirabeau osa quelquefois sanctionner ces vérités par une résistance courageuse aux ordres de l'autorité. On se rappelle la séance royale du 23 juin 1789, et les paroles qu'il adressa à M. de Brezé, qui était venu notifier à l'assemblée l'ordre de se séparer : » Allez » dire à votre maître, s'écria-t-il, que nous sommes ici par la puissance du peuple, et qu'on ne nous en arrachera que » par la force, des baïonnettes. Ces paroles retentirent dans le cœur des députés des communes; elles y portèrent le sentiment de leurs droits et de leurs devoirs.

Au même instant il proposa de décréter l'inviolabilité des membres de l'assemblée nationale, et de déclarer coupables du crime de lèse-nation ceux qui oseraient porter atteinte à cette inviolabilité. La résistance de l'assemblée

MIRABEAU. TOME 1.

C

« ÖncekiDevam »