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et cependant il obtenait contre son épouse et ses enfans soixante-sept lettres de cachet. Cet homme, dont les principes contrastaient si singulièrement avec les actions, précipita, par trop de sévérité, son fils, jeune homme ardent, né avec des passions brûlantes, et qui s'indignait contre l'oppression, dans des désordres vers lesquels il était d'ailleurs naturellement porté par la fougue de son tempérament. Car on peut dire avec vérité que les faits les plus graves qu'on a reprochés à la jeunesse du comte de Mirabeau furent le résultat des circonstances, qu'il ne dépendit pas de lui d'écarter, et que la rigueur de son père avait fait naître. Mais ce qui appartenait essentiellement à cet homme célèbre, si cruellement calomnié, c'est son amour constant pour l'humanité, c'est sa haine pour toute sorte d'adulation et de tyrannie: encore peut-être l'énergie de ces sentimens généreux était-elle due en partie à la violence des procédés dont il fut si long-temps la victime.

L'éducation du jeune comte de Mirabeau avait été confiée à un homme d'esprit, qui cultiva avec soin ses premières années. Dès son enfance, on put découvrir en lui le germe de ces passions violentes qui agitèrent sa vie tout entière, et de ce talent extraordinaire qui s'est développé avec tant d'éclat. Quelques faits particuliers sembleraient indiquer qu'au lieu de s'enorgueillir des heureuses dispositions de son fils, le marquis de Mirabeau, jaloux de la supériorité qu'il croyait avoir sur son siècle, aurait vu avec peine croître à ses côtés un talent qui alarmait sa vanité, et se préparer dans l'avenir une réputation qui pouvait éclipser la sienne. Il essaya néanmoins de donner à son fils quelque goût pour ses théories sur l'économie politique. Il dut sans doute être aigri par le dédain que montra dans tous les temps, pour ces théories, cet esprit indépendant qui ne devait suivre que ses propres lois.

Mirabeau fut destiné par son père à la profession des armes, et lui-même il tourna d'abord ses vues de ce côté.

Quoique son esprit, avide de toutes sortes de connaissances, se fût appliqué à tous les genres, cinq années de sa vie furent consacrées aux études militaires. » Je puis » montrer, écrivait-il du donjon de Vincennes, des extraits » de trois cents auteurs militaires, et des mémoires de moi » sur toutes les parties du métier, depuis les plus grands objets de la guerre jusqu'au détail de l'artillerie, du gé»> nie, des vivres même. »

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Il était âgé de dix-sept ans lorsqu'il sortit de l'ÉcoleMilitaire; il fut fait officier, et jeté dans le monde sans guide, sans expérience, livré à ses passions. Quelques dettes, une intrigue d'amour qui fit craindre à son père une union mal assortie, furent les premières causes des persécutions dont il ne cessa depuis d'être l'objet. Une lettre de cachet fut obtenue contre lui, et il fut enfermé dans le fort de l'île de Ré. Il était alors dans l'âge où l'on sent vivement tout le prix de la liberté, et, plus qu'aucun autre, il était jaloux de la sienne. L'acte qui l'en privait révolta son âme ; et ses sentimens, irrités par la captivité, s'exhalèrent dans son Essai sur le Despotisme, ouvrage qui révélait déjà un grand talent, mais où l'on trouve de l'érudition sans ordre, et peut-être aussi sans goût. Au reste, dans un âge plus avancé, il l'a jugé lui-même avec beaucoup de sévérité, en disant qu'il se repentait d'avoir mutilé un si beau sujet.

Ce fut pendant cette détention que M. le marquis de Mirabeau conçut le projet d'envoyer son fils aux colonies hollandaises. C'est ainsi qu'il voulait punir quelques imprudences, et que celui qui affichait la philosophie dans ses écrits croyait nécessaire d'épargner à sa famille ce qu'il appelait la honte d'un mariage mal assorti. Il fallut les instances les plus vives pour lui faire abandonner ce projet, dont l'exécution d'ailleurs l'aurait peut-être perdu dans l'opinion au moment où sa conduite envers son épouse commençait à être connue dans le public.

Mirabeau sortit du fort de l'île de Ré, et partit au même instant pour la Corse, comme volontaire dans une guerre que nos soldats allaient porter chez un peuple généreux qui défendait son indépendance. Plus tard, Mirabeau s'efforcera de réparer la participation qu'il prit alors à cette guerre injuste, en appelant sur les Corses les bienfaits de la liberté.

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Son temps ne fut pas tout consacré aux exercices militaires pendant son séjour dans la Corse; il fit sur cette ile un travail immense, qui, livré à son père afin qu'il en facilitât la publication, a entièrement disparu depuis. La bonne conduite de Mirabeau, sa bravoure, son application, le firent distinguer honorablement par les officiers généraux qui purent le connaître, et il obtint de l'avancement; mais il fut arrêté dans sa carrière par le refus que fit son père de lui acheter une compagnie de dragons. C'est à ce sujet qu'un de ses amis lui écrivait ces mots : >>> La nature vous avait fait pour être un héros, un aven» turier conquérant; on vous a mis des entraves: eh bien, >> vous serez un paisible philosophe, et vos veilles seront plus utiles à l'humanité que n'eussent été vos exploits. Ces entraves ne furent pas le seul motif qui éloigna Mirabeau de l'état militaire; cet état ne convenait plus à ses idées. Et comment celui qui ne reconnut jamais de supérieur que la raison, et dont l'éloquence devait proclamer avec tant de force les droits des nations, aurait-il pu consentir à passer sa vie tout entière dans une profession qui ne reconnaissait d'autre loi que l'obéissance passive, et qui l'exposait à devenir un instrument d'oppression pour les peuples? Mirabeau quitta le service, rentra dans le sein de sa famille, et se réconcilia avec son père. Pour mieux s'attirer sa bienveillance, il consentit, pendant son séjour au château de Mirabeau, à faire à son tour des expériences d'économie rurale; c'est au moyen de ces expériences que M. le marquis de Mirabeau, tout entier à ses

théories, était parvenu à détériorer ses propriétés et à déranger sa fortune.

A cette époque, Mirabeau apprit qu'on annonçait son mariage avec mademoiselle Émilie de Covet, fille unique du marquis de Marignane, et qui devait être un jour une des plus riches héritières d'Aix. Il ne l'avait jamais vue; mais sa famille lui ayant témoigné le désir de voir se réaliser ce qui n'était d'abord qu'un bruit dénué de tout fondement, il se mit sur les rangs comme prétendant sa main, et après sept mois d'assiduités parvint à écarter ses rivaux, à surmonter toutes les difficultés, et à conclure un mariage sur lequel il n'avait pas trop compté lui-même. Pendant les premiers temps de cette union, Mirabeau se livra à des dépenses considérables, et cependant les dettes qui l'avaient fait conduire au fort de l'île de Ré existaient encore, son père n'ayant pas voulu les payer. Il fallut en contracter de nouvelles, qui, de jour en jour, devenaient plus onéreuses par les grosses usures qu'on exigeait de lui. Le désordre de ses affaires allait croissant; il ne pouvait néanmoins se déterminer à faire connaître sa situation à son père, assez riche pour pouvoir le tirer d'embarras, mais dont il redoutait l'excessive rigueur, lorsqu'il devint père à son tour. Des sentimens nouveaux pour son âme firent naître en lui des idées d'ordre qui lui avaient été inconnues jusqu'alors, et le courage dont il avait besoin pour dévoiler à son père le véritable état de sa fortune : il résolut de braver l'orage plutôt que de le laisser grossir sur sa tête par sa faiblesse ; il déclara à son père qu'il devait près de cent mille francs. M. le marquis de Mirabeau répondit à son fils en le faisant exiler d'abord dans le château de Mirabeau, et ensuite à Manosque. Peu satisfait de ces premières rigueurs, il intenta contre lui un procès en interdiction devant le châtelet de Paris. Mirabeau fut interrogé sur l'état de sa fortune, sur les motifs de ses dépenses; il lui fallut répondre catégoriquement, et subir

mille formalités humiliantes qui devaient blesser son caractère. On trouva ses réponses folles, et son interdiction fut prononcée par le châtelet de Paris. Exilé, interdit, privé de son fils, éloigné de son épouse dont il croyait avoir à se plaindre, Mirabeau trouvait une consolation dans l'étude, lorsqu'une affaire malheureuse, qui aurait dû lui concilier la bienveillance de son père, le précipita dans un abîme de malheurs, et exerça sur toute sa vie une funeste influence. Il était à Grasse, petite ville à peu de distance du lieu de son exil. Madame de Cabris, sa sœur, y fut insultée par un gentilhomme du pays, M. de Villeneuve Moans. Le frère veut venger sa sœur outragée; il provoque en duel M. de Villeneuve. Celui-ci se refuse à toute réparation. Mirabeau, indigné de cette nouvelle lâcheté, s'emporte contre lui jusqu'à des voies de fait. Le gentilhomme veut se venger à son tour; mais il confie aux tribunaux le soin de sa vengeance, et obtient contre Mirabeau un décret de prise de corps. Au lieu de venir au secours de son fils, à qui on ne pouvait reprocher que d'avoir trop vivement senti l'outrage fait à une sœur qu'il aimait, M. le marquis de Mirabeau obtint contre lui une nouvelle lettre de cachet. Mirabeau eut à peine le temps de serrer dans ses bras son enfant, qu'il laissait mourant et qu'il ne devait plus revoir; il fut arrêté et conduit au château d'If, situé sur un rocher au milieu de la mer, et à de distance de Marseille. Il avait alors vingt-six ans, peu et il semblait que sa jeunesse devait se passer au milieu des persécutions de tout genre qui s'accumulaient sur sa tête. Les rigueurs de sa détention furent adoucies par l'humanité du commandant, homme estimable qui traitait ses prisonniers comme un excellent père, et qui s'intéressa vivement à son sort. Il écrivit lui-même au marquis de Mirabeau pour le solliciter de rendre la liberté à son fils qui se consumait dans la captivité. Pressé par ces sollicitations, ce père trop sévère se détermina à adoucir la

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