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naux. Elles glissaient dans les doigts, se coulaient dans les manches, disparaissaient dans les blouses. Les bambins s'en amusaient beaucoup. Moi, j'étais inquiet sur le sort de mes pauvrettes. Certains de mes jeunes chasseurs les saisissaient avec tant de fermeté qu'ils faisaient de leur flacon un caveau funéraire.

Malgré tout, la chasse terminée, après avoir rejeté les malmenées et les impotentes, je possédais environ deux cents reines intactes.

Mais dans quel logis les enfermer? Imaginez une sorte de baquet en plâtre ayant la forme d'un petit in-octavo de trois cents pages. Je l'avais coulé de façon qu'il présentât une cavité parfaitement lisse et plane profonde de 3 cm. Un verre de 13 x 18 la recouvrait. Ce verre-couvercle débordait dans tous les sens de deux mm. et était maintenu de trois côtés, dans un bourrelet de plâtre, formant cadre. Le verre avait ainsi une stabilité suffisante et, en le faisant glisser, on pouvait ouvrir le nid en cas de nécessité.

Dans la partie rectangulaire, non recouverte par le verre, j'avais creusé une petite cavité ellipsoidale qui, remplie quotidiennement d'eau, assurait au nid par infiltration, grâce à la porosité du plâtre, le degré normal d'humidité.

C'est dans ce nid, rempli au préalable à mi-hauteur de terre jaune, que je parquai mes captives. Apeurées, elles grouillaient les unes sur les autres, entassées dans un coin, comme, sur un navire en partance, les émigrants polonais.

Le lendemain on s'était séparé. Quelques reines, faisant bande à part, s'étaient terrées, isolées dans un angle. Une trentaine occupaient l'angle opposé et avaient un peu remué le sol. Le gros de la troupe était resté près de la sortie, répandu tout le long du bord du nid. Les unes sur les autres, les vives reines « fourmillaient », se disputaient, tàchaient de se glisser entre les corps de leurs compagnes et de fuir la lumière.

Au milieu du nid, sur le dos, les trois paires de pattes raidies, avaient été rassemblés les cadavres.

Le 13 juillet, après avoir préparé deux autres nids en plâtre, propres et moites, remplis à demi de sable blanc, j'y introduisis mes prisonnières, en respectant les groupes qu'elles avaient formés elles-mêmes.

J'avais ainsi sept groupes, dont cinq, composés de celles qui étaient trop fières pour se soumettre à l'esclavage, se fondirent peu à peu. Deux mois plus tard, le 16 septembre, il me restait encore dans ces groupes cinquante-quatre fourmis. Mais beaucoup d'entre elles, ayant assisté, stupéfiées, à ces grandes hécatombes, découragées, abattues, sans espoir comme sans mouvement, s'abandonnèrent à la mort implacable et fatale. Chaque matin, on enterrait quelques cadavres, on se serrait, on se sentait mourir.

Cependant deux groupes avaient pris une toute autre tournure. Ils étaient logés dans un nid en plâtre profond de 4 mm seulement, ce qui permettait d'observer de très près les habitants et leur rendait impossible la confection d'une galerie souterraine où ils auraient pu se dissimuler. Ce nid mesurait 13 cm sur 20. En lui résidait l'espérance. Il renfermait un groupe de six fourmis et un groupe de trois. Pour éviter toute confusion dans l'exposé, il sera dorénavant exclusivement question du groupe de six.

Les vaillantes reines avaient décidé qu'il fallait vivre. Sitôt dans leur nouveau nid, les voici à l'œuvre; se coulant le corps dans le sable, pesant de tout leur poids, elles oscillaient de leur corselet ovalaire et de leurs pattes, comme un navire par mer calme. Le sable mis en mouvement s'effaçait; une cupule se formait; on touchait le plâtre du fond. Puis ces reines se firent ouvrières : malaxant quelques grains entre les mandibules, elles se mirent à construire posément et petit à petit, un léger remblai en faucille, semi

circulaire, bien régulier, bien adhérent au verre. Sur la crête courait un chemin de ronde de 2 mm. César l'eût pris pour un agger mignon, construit par ses troupes à Aduaticum, et les néolithiques pour un de leurs remparts en miniature. Mais tandis que les Romains, au dire du philologue Zilinski, se sustentaient au moyen du bon froment des Gaules et que nos préancêtres, à en juger par les hameçons en silex trouvés par milliers autour des étangs de la Campine, faisaient de plantureux repas au poisson, nos fourmis, elles, se passaient de toute réfection. Elles n'avaient pas mangé, ne mangeaient pas et même s'obstinèrent à refuser toute nourriture. Elles s'enterraient là, vivantes, dans une chambrette de 15 cm2, entre un plancher de plâtre bien balayé et un toit de verre froid.

A l'usure de la vie à entretenir, aux dépenses d'énergie-travail pour la laborieuse confection d'un gite bien clos et l'inhumation des morts, s'ajoutèrent bientôt les épuisantes pondaisons.

Depuis quelques jours les futures mères se tenaient bien coites. Un léger mouvement pendulaire des antennes était le seul indice d'une vie toute de joie intérieure elles sentaient en elles se nouer la vie et se gonfler l'oviducte.

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En dignes reines, elles observaient tout le protocole de leur toilette. De l'éperon pectiné attaché à l'extrẻmité inférieure du tibia, elles gardaient propre et fraîche leur petite bouche inutile; elles se passaient les antennes entre les mandibules avec solennité. Elles se soulevaient et, maladroites, la tête entre les pattes d'avant, l'abdomen recourbé, s'efforçaient d'atteindre, parvenaient à lubrifier l'orifice génital. Tout leur corps était lisse, teinté de moire glauque, couvert d'un léger duvet droit, court et miroitant. Leur corselet plus clair affinait leur taille toute menue. Elles sympathisaient entre elles, pressaient

IJI SÉRIE. T. XXVIII.

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leurs voisines de tout le poids de leur abdomen rebondi. Les reines seraient-elles sujettes à la jalousie ? J'aime à croire que d'autres sentiments plus relevés présidaient à ces petites querelles amicales, à ces tiraillements pleins de dignité. Elles marchaient vers l'amie, toutes mandibules ouvertes, et jouaient à se broyer lentement. Heureuses, et comme pour se communiquer leurs espérances, elles se caressaient de leurs belles antennes filiformes, coudées au delà du premier article prolongé, qui rappelle un fléau en miniature et caractérise la fourmi parmi tous les insectes. Elles ouvraient leurs antennes dans un geste gracieux, onduleux ; elles se titillaient ainsi finement du vertex à l'abdomen; et, comme le fléau bat le chaume et en chasse le grain, moisson en espérance, ainsi ce frôlement de l'antenne sur l'abdomen de la mère accélérait peut-être vers l'exode cette autre semence de vie, l'œuf, la colonie en espérance.

Un matin, le premier août 1917, parut le premier ceuf. Remonté quelque peu le long de l'abdomen, l'oeuf adhérait à l'inclinaison du dernier segment. Quel émoi dans une vie de reine-mère ! L'exemple fut salutaire. Voici, peu de jours après, dans les deux groupes, quelques oeufs agglomérés, blancs-jaunâtres. On se les passait de bouche en bouche pour les humecter.

L'on ne voit guère les reines descendre à des œuvres si serviles! C'était bien. Mais s'abaisseraient-elles, plus tard, jusqu'à prendre soin de la larve? Une reine myrmica rubra, prolétaire, n'aurait pas hésité. Elle n'a, celle-là, dans la vie normale de la fourmilière, aucun souci de garder la dignité de son rang. On la voit s'unissant aux ouvrières, nourrissant elle-même les larves, osant même sortir du nid et pourvoir à sa nourriture. J'en vis une, il y a quelques jours, sur un tamaris, léchant sans pudeur un tout petit parasite. Une Lasius flavus aurait eu un haut-le-coeur à ce

spectacle. Habituée à son escorte de suivantes et servie par tout son peuple, c'est une grande dame aux allures de matrone romaine. Que fera-t-elle ici, seule, sans le secours de servantes? Eh bien, elle est mère, mère avant tout. Sans hésiter, elle prendra sur elle les charges de la maternité.

L'œuf, par l'endosmose de la salive miellée, vint à éclore; il devint larve. La larve se dodelinait, la tête émergeant légèrement de son corps laiteux, d'un mouvement qui rappelle celui d'une bouée flottant sur une mer calme.

L'inépuisable mère ne la sevra point. Preste et alerte, la fauvette apporte à ses petits aux yeux clos, tendant leurs têtes chauves vers la becquée, une nourriture qu'elle cherche au dehors. La reine de fourmi, enclose vivante avec sa progéniture, dégorge dans le mamelon contractile de la larve avancé vers elle, ses propres réserves, un peu de sa propre vie. Si l'instinct maternel de la fourmi ne revêt pas la même poésie, ne provoque pas la même admiration que celui de la fauvette, il est plus mystérieux, plus obscur et plus profond. Il nous rend songeur, nous fait découvrir une nouvelle forme et une nouvelle merveille de cette maternité répandue par toute la nature, dont elle fait l'épanouissement le plus admirable.

Mais la larve a grandi; ses annelets se sont formés en bourrelets; on peut les compter aisément. Une légère flexion du corps, seul indice de la vie qui se métamorphose, se manifeste parfois. A ce point de croissance, la larve est devenue mate; les lactuosités se sont figées; les sinuosités aux contours fuyants se sont fondues. La larve est maintenant nymphe, imago. Dans l'intimité du léger cocon, berceau de soie jaunâtre, long de 1 mm, la jeune fourmi se forme.

Le 27 octobre, les trois premières naquirent; trébuchantes, on les eût dit déjà lasses des courses sans fin

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