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QUELQUES IDÉES SUR LA GUERRE

Je crois bien que l'éloge de la paix a été fait plus souvent que celui de la guerre, et, après maints philosophes, des économistes et des sociologues se sont essayés à tracer le tableau d'une humanité pacifique. Hier, M. Eugène D'Eichthal (1) le tentait encore en s'efforçant de « rester sur le terrain positif de la réalité, jetant les yeux du présent tangible vers l'avenir probable, évitant toute sentimentalité personnelle, l'entraînement de généreuses passions et le danger des sophismes >>.

La pacification universelle serait due, non pas exclusivement aux facteurs qui ont établi la paix à l'intérieur des Etats en cristallisant les nations autour d'éléments centraux prépondérants, mais aussi au développement de sentiments qui existent déjà, et qui devraient sculement, pour lutter contre les influences belliqueuses, prendre un nouveau caractère d'intensité et de généralité. En d'autres termes, M. D'Eichthal croit à la toute puissance future d'un tribunal international supérieur, et, pour préparer l'établissement de ce tribunal et assurer l'exécution de ses décisions souveraines, il compte sur la puissance de l'opinion publique «reine et maîtresse du monde ». En attendant, il admet la continuation d'un état de préparation à la guerre « bien lourd à la fois pour les cours et les bourses et gros d'embarras et de périls ».

Je crains bien, pour ma part, que l'on ne donne trop d'importance à certaines apparences, que l'on ne

(1) Guerre et paix internationales, par EUGÈNE D'EICHTHAL, membre de l'Institut. Encyclopédie scientifique publiée sous la direction du docteur Toulouse. Bibliothèque d'Économie politique. 1 vol. in-12, XIV, 338-x11 pages. Paris, Octave Doin, 1909.

néglige quelques raisons profondes de la nécessité des armées et des vertus militaires, et, aussi que, en parlant de la puissance de l'opinion publique, l'on ne fasse une confusion de cause à effet.

Il est assez commun d'affirmer qu'une armée est nécessaire à tout peuple qui ne veut pas mourir, en déplorant en même temps, par humanitarisme, de ne point apercevoir les signes certains d'une paix indéfinie. Il est banal, depuis qu'une terminologic simplifiée de la science actuarielle est entrée dans le langage courant, d'assimiler les dépenses militaires à une prime d'assurance contre l'invasion et les maux de la guerre. Il est moins ordinaire, mais cependant conforme à la tendance de plus en plus générale de ne voir dans la société qu'une organisation matérielle et scientifique, de considérer l'armée comme une sorte d'administration civile de la défense nationale et de ne pas faire, au point de vue professionnel, de différence marquée entre l'officier et une foule de citoyens. C'est ainsi que, sans le vouloir, on amoindrit la valeur de l'armée, on lui enlève sa foi en elle-même, on méconnaît tout ce que la nation lui doit, ou peut lui devoir encore de qualités de dévoùment, d'abnégation, de discipline, de désintéressement et de virilité. Il faut croire à sa mission et la mettre à l'abri des influences qui l'obscurcissent en la dénaturant. Sur le champ de bataille, pour se donner du cœur, le stimulant ne sera pas de regretter l'imperfection d'un état social qui arme encore les hommes les uns contre les autres.

Il existe, à cet égard, toute une littérature débilitante - et je ne m'occupe pas ici de certaine prose qui par son cynisme et sa grossièreté révolte les honnêtes gens (1). Récemment M. François de Nion, rendant

(1) Rengagez-vous dans un régiment de la frontière de l'Est, vous aurez vingt-cinq centimes de plus, et l'honneur d'être du premier convoi pour l'abattoir. » LA VOIX DU PEUPLE, organe officiel de la Confédération générale du Travail.

compte dans l'ÉCHO DE PARIS (1) de l'adaptation française de la pièce allemande Guerre de M. Robert Reinert, représentée au Théâtre Antoine, remarquait que les adaptateurs n'y avaient cru voir que le tableau effrayant et tragique d'un coin de bataille, alors que M. Reinert s'était fait le Dante de la « Venette ». Et M. de Nion répudiait cette conception de ne mettre en relief que les côtés atroces de la guerre en détournant les yeux de ce qu'elle offre d'héroïsme et de patriotisme. Je ne suis pas de ceux qui exaltent la guerre. Au point de vue humanitaire, pour employer ce vocable dans son expression altruiste, la guerre sera toujours la furieuse et impitoyable Bellone. On ne fait pas l'éloge des maux dont souffre l'humanité, malgré qu'ils puissent engendrer quelque bien. Si les lendemains des conflits internationaux sont parfois merveilleux pour le commerce et l'industrie, la guerre endette les peuples, et qu'ils soient vainqueurs ou vaincus, leur bilan économique porte longtemps la charge des dépenses que, directement ou indirectement, elle a occasionnées.

Après l'avoir emporté sur la Chine, le Japon a vu sa dette s'augmenter des trois quarts; la Russie vaincue, cette dette a quadruplé et actuellement les dépenses militaires y entrent environ pour six dizièmes (2).

(1) ÉCHO DE PARIS, 20 février 1909.

(2) Tableau succinct des dettes nationales japonaises au 31 mars 1908. Origine des Dettes

1. Réorganisation des institutions publiques

2. Entreprises économiques Chemins de fer

Montant émis
Yen*

226 196 500

258 965 787

212 527 898

[blocks in formation]

Montant non remb.
Yen*

3 334 913 187-585-566

151 043 259 36 542 307 694 397 305

33 641 535 1 357 397 033

84 210 706 1 273 186 324 2 276 346 452

Osons dire cependant que la paix absolue n'est pas un suprême bienfait. L'éventualité de certains périls, l'effort accompli pour s'y soustraire ou les surmonter sont des facteurs essentiels de l'énergie nationale, de puissants éléments de grandeur et de prospérité. C'est en s'attaquant courageusement aux difficultés de l'heure présente, en ne se dissimulant pas la pleine mesure des dangers du futur que le talent et le génie se révèlent et que de fortes choses s'accomplissent. Il ne faut pas trop s'abandonner à la douceur de vivre, ne voyant dans la Patrie qu'une mère souriante et nourricière, car elle a deux figures, celle aussi d'une déesse armée de pied en cape et qu'on ne peut impunément frapper.

Quand on constate avec satisfaction l'adoucissement des mœurs guerrières et le progrès du droit des gens, on ne manque pas de marquer les étapes nombreuses accomplies dans le champ des ententes internationales (1). Les manifestations de l'esprit pacifique conduisent à une appréciation inexacte des circonstances contemporaines sur lesquelles on se base pour esquisser la Société future et il semble que l'on prête à cet esprit une influence qui le dépasse ; le nombre et la fréquence des congrès, des accords, des conventions, des arrangements, des unions font dans une certaine mesure illusion et incitent à une comparaison incomplète avec la situation du passé, et vraiment trop à l'avantage de notre époque.

(1) Liste des principales unions internationales et des principaux bureaux internationaux représentants des Unions universelles :

Bureau

Administration télégraphique Union postale universelle international des poids et mesures Union pour la protection de la propriété industrielle Union pour la protection des œuvres littéraires et artistiques · Bureau central de l'Association géodésique internationale - Bureau pour la répression de la traite des esclaves africains - Bureau pour la publication des tarifs douaniers - Office central des transports internationaux des marchandises par chemin de fer — Office international du travail pour la protection des travailleurs - Institut permanent d'agriculture à Rome - Unions monétaires — Convention de Genève, dite de la Croix Rouge — Unions concernant la navigation maritime et fluviale.

La vapeur a raccourci les distances et multiplié les contacts, et la science, même dans des domaines où jadis elle ne pénétrait pas, a fourni de nouveaux objets aux rapports entre les hommes. Ce n'est pas le lieu de décrire la course accomplie au XIXe siècle par le progrès scientifique et qu'il continue de poursuivre; toutefois en songeant aux transformations du monde contemporain, je m'arrête un instant au développement inouï des voies de communication et des moyens de transport. M. Georges Blondel en parlait au mois de novembre dernier en quelques traits saisissants (1). Sur mer la révolution a été peut-être plus extraordinaire que sur terre. Jamais l'art de la navigation ne s'est tant perfectionné que de nos jours; depuis cinquante ans les moyens de communication que la mer offre aux peuples civilisés pour leurs relations réciproques ont au moins quintuplé; franchir l'Atlantique s'effectue sans plus de peine aujourd'hui que de passer la Manche il y a soixante ans.

L'homme se déplace sur la planète beaucoup plus vite, beaucoup plus souvent qu'autrefois et avec lui circulent plus nombreux et avec plus d'intensité les produits de son travail. Dans ces conditions nouvelles il n'est pas défendu de voir des adjuvants de l'esprit pacifique, mais, par ailleurs, il convient d'admettre que cet esprit n'a pas seul multiplié ces assises internationales dont on se plaît à grossir l'importance au point de vue du règne définitif de la paix universelle.

Laissons l'esprit pacifique. Aussi bien, plusieurs, pensent qu'il est d'autres causes de la cessation des guerres l'enrichissement du monde dû au libreéchange et aux productions merveilleuses de la science, et encore le caractère de plus en plus effroyable que

(1) La Vie maritime contemporaine et les perspectives d'avenir de la France. Extrait du BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ INDUSTRIELLE DE ROUEN, année 1908.

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