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<< faire ma société habituelle.... » Sottises, dis-je à l'homme en place, auxquelles vous ne deviez que du mépris.

Mais voici bien autre chose. Ce sont des catholiques zélés qui remarquent, avec humeur, que l'évêque constitutionnel avait aussi fait une visite générale. D'où ils concluaient que j'aurais dû m'en abstenir, dans la crainte de ressembler en quelque chose à ce faux pasteur. Comme si un évêque intrus ne pouvait pas faire une bonne action, ou qu'il ne fût plus permis, plus louable, de la répéter après lui! Comme si l'hypocrisie du vice n'était pas un hommage à la vertu! Comme si, enfin, les enfants du siècle, qui en ont la prudence, ne mettent pas au grand jour la valeur d'une action, quand ils la font pour surprendre l'estime publique! Il faut convenir qu'à Séez, du moins, le zèle et la sagesse ne vont pas toujours de compagnie. Nous verrons bientôt s'accumuler les preuves de cette triste vérité.

J'allai à Rouen pour y terminer mes affaires et prendre congé de mes amis. De retour à Séez, vers la fête de l'Assomption, je m'établis à l'évêché : durant mon premier séjour, M. Le Clerc, doyen et vicaire général, m'avait donné l'hospitalité. Le chapitre parut me revoir avec la même joie et me témoigner les mêmes égards qu'auparavant. Je lui offris pour l'église un beau calice qu'il voulut bien accepter, et, peu de jours après, il consigna dans ses registres un acte de remerciement que je ne lui demandais pas. Ce fut dans cette assemblée qu'il réitéra la concession de mes pouvoirs et leur donna toute l'étendue dont ils étaient susceptibles. De ce moment s'établirent, entre MM. les chanoines et moi, les rapports de société qu'il me paraissait naturel que nous entretinssions ensemble.

1. Lefessier, évêque intrus de l'Orne.

Trois fois la semaine, MM. les vicaires généraux me faisaient l'honneur de dîner avec moi, le semainier, tous les jours de fête. Cela était, pour ainsi dire, de règle. Il y avait des repas de corps, d'usage, et de fréquentes invitations particulières, surtout lorsque j'avais des étrangers. Si les apparences n'étaient pas trompeuses, la frugalité de ces agapes, que partageaient les ecclésiastiques du diocèse qui me venaient voir, n'empêchait point qu'on n'y trouvât quelque plaisir. Une liberté décente y assaisonnait le nécessaire. Ainsi, à mon début, tout allait bien avec le clergé, auquel je vouais intérieurement tous les sentiments et tous les actes de fraternité compatibles avec le rang que je devais occuper. Des personnes qui connaissaient mieux que moi le terrain ont prétendu que j'en avais trop fait. Et je sens que si j'étais à recommencer, je commettrais de nouveau la même faute. Elle est si belle!

Étant à Rouen, je faisais souvent des conférences dans l'église cathédrale, en ma qualité de théologal de Son Éminence. Un auditoire indulgent m'avait accoutumé à croire qu'elles n'étaient pas sans utilité pour l'instruction des fidèles. A Séez, ne pouvant encore, de toutes les fonctions épiscopales, exercer que le ministère de la parole de Dieu, je fis annoncer que tous les dimanches, à l'issue de vêpres, je ferais une instruction sur un point de dogme ou de morale: ce que j'exécutai. Soit qu'on se jugeât plus savant que dans la grande ville que j'avais quittée; soit qu'on eût le goût plus difficile; soit enfin que les bruits, dont je parlerai bientôt, se répandissent déjà parmi le peuple et écartassent par devoir des gens qui, sans cela, m'eussent volontiers écouté, ou que toutes ces causes concourussent ensemble, je ne remarquai pas cet empressement de m'entendre que j'avais vu ailleurs, et

que je comptais, je l'avoue sincèrement, voir se renouveler à Séez, pour peu qu'on y eût le sentiment de ses besoins. Dans les commencements, on me reprocha trop d'élévation, et, tout en m'efforçant de me corriger de ce défaut qui n'est que relatif, je ne tardai pas à être convaincu que j'aurais été au niveau de mes auditeurs, ou que mes auditeurs eussent été au mien, s'ils eussent su ce qu'ils devaient savoir, mes entretiens ne renfermant que des vérités très élémentaires. Quelques sujets que je traitai fort intelligiblement indisposèrent plusieurs sortes de personnes, quoiqu'on pût et dût les regarder comme extrêmement utiles. Par exemple, je développai les principes sur la conscience, mot qui, à Séez, s'entend de toutes les bouches, et dont la vraie signification y est peu connue. Je dis qu'il y avait des consciences fausses, et qu'il fallait les redresser; des consciences ignorantes, et qu'il fallait les éclairer; je dis qu'on péchait souvent en suivant sa conscience, quoiqu'on dût toujours la suivre. Cette vérité capitale, que j'expliquai et prouvai très clairement, n'en offensa pas moins des gens qui déjà semaient le trouble, la discorde, se raidissaient contre l'autorité légitime, et croyaient de bonne foi satisfaire à tout, en prononçant gravement, et à la manière des oracles: ma conscience me l'ordonne, ou : ma conscience me le défend. Il leur était pénible d'entendre que cette conscience pouvait être ignorante ou fausse, et que peut-être ils péchaient en la suivant.

Un autre dimanche, je parlai sur la vraie dévotion. Après lui avoir payé de mon mieux le tribut de louanges que tout chrétien lui doit, parce qu'étant utile à tout, elle est évidemment, et par cela seul, de la plus haute utilité, j'en exposai la nature, les caractères, les devoirs. Or, nombre de personnes qui, sur le témoignage de la couleur et de la

forme de leur habit, sur celui de leur zèle souvent inconsidéré, de leurs longues prières vocales, du choix qu'elles savaient faire des bonnes messes et des prêtres de la main desquels il convenait de recevoir la sainte communion, se jugeaient éminemment dévotes, ne se reconnurent point dans mes tableaux; elles ne reconnurent ni leur genre ni ses pratiques, et tirèrent cette conséquence: que je n'étais rien moins que connaisseur en dévotion, celle que je prêchais ne pouvant pas être bonne, puisqu'elle ne ressemblait pas à la leur. L'amour-propre est un pauvre raisonneur, et ces braves gens se trompaient; mais leur conscience et leur dévotion se coalisaient pour m'attaquer dans les ténèbres, en attendant qu'ils pussent, sans danger, se montrer à découvert. On généralisa mes torts en fait d'instruction : « Je prêchais trop souvent pour un évêque; un «< curé n'en aurait pas fait davantage, et ne faut-il pas que <«< chacun reste dans son état? » C'est à moi-même que ce propos fut tenu.

Mais ce n'est rien, ou peu de chose en comparaison de ce qu'on va lire. Une succursale de Séez, toute composée de pauvres, n'avait point de curé, depuis environ un an. Personne n'en voulait, parce que, disaient les méchants, elle présentait beaucoup plus de labeur que de profit. En conséquence, point de messe, même le jour du Seigneur, point d'instruction pour les fidèles, point de catéchisme pour les enfants. Un curé voisin baptisait les nouveau-nés, bénissait les mariages, administrait les malades et enterrait les morts. Cette malheureuse paroisse n'avait point d'autres secours. On comptait pourtant parmi ces chanoines, qu'on verra bientôt si actifs pour me nuire, plusieurs prêtres qui, l'office de l'église étant fini, auraient pu, chaque semaine, consacrer au service de cette succursale délaissée quelques heures de leurs longs loisirs. Je

pensai que je pouvais faire ce qu'ils ne faisaient point et que, si ce n'était pas un devoir de ma place, c'était une œuvre qui y convenait à merveille. J'engageai le secrétaire de l'évêché, jeune prêtre, pour qui ce travail devait être agréable, à chanter la messe et les vêpres dans la pauvre église et à y faire le catéchisme tous les dimanches; et moi j'y allais deux fois la semaine, pour y faire les mêmes instructions et disposer à la première communion soixante à quatre-vingts enfants des deux sexes, qui tous passaient quatorze ans. Leurs familles me bénirent.

Les régisseurs d'une manufacture très considérable, où une grande partie de cette précieuse jeunesse était employée, accordèrent d'eux-mêmes, et sans diminuer le salaire journalier, le temps de mon catéchisme, pour favoriser l'instruction de leurs ouvriers.... Qui le croirait? Des gens comme il faut, des ecclésiastiques noblement oisifs, me blâmèrent! Je ne savais pas tenir mon rang, je l'avilissais! Mes prédécesseurs d'avant la Révolution n'avaient jamais rien fait de semblable 1! On me dépêcha la supérieure des Dames bleues, et elle me remontra, avec tous les ménagements imaginables, que cette petite mission ne convenait point à un évêque. Bon, envoyer son secrétaire; mais y aller soi-même! Demander soi-même, au milieu d'une troupe d'enfants mal vêtus, sans éducation, combien il y a de Dieux, c'est véritablement com

1. Mes censeurs auraient voulu que je me modelasse en tout sur des évêques dont quelques-uns eurent de grandes richesses. Le pouvais-je ? Le devais-je? Un jeune desservant disait à qui voulait l'entendre, qu'il ne respecterait mon autorité que quand je lui ferais rouler carrosse. Un jour un chanoine honoraire, ancien curé, me surprit tirant moi-même la sonnette d'une maison où j'allais rendre visite. Il m'aborde respectueusement, et me représente qu'on en jasera, que mes prédecesseurs laissaient faire cela à leurs domestiques. Je le remerciai, et ne me convertis pas. Il a puni mon endurcissement en prenant parti contre moi. Au demeurant, c'est un bon homme. Note de M. Baston.

MÉMOIRES DE L'ABBÉ BASTON.

T. III.

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