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un rapprochement plus complet. En ce cas, il faudrait admettre que les Grecs se sont laissés aller, sans y plus regarder, à la première impression que recurent leurs yeux. Mais ce serait se tromper; le symbolisme de la fable d'Io ne ressemble tant à celui de la fable d'Isis que parce qu'ils sont nés l'un et l'autre de deux mythes qui avaient entre eux plus d'un rapport. Il n'est pas bien sûr qu'Io, à Argos tout au moins, ne fût pas une de ces divinités locales, autour desquelles se concentra et se perpétua le culte des forces mystérieuses de la nature et dont les autels attiraient presque autant d'hommages que ceux des grands dieux de l'Olympe (1). Ainsi nous voyons se fondre, à une époque historique, les my. thes fondamentaux des deux religions grecque et égyptienne; c'est une fusion qui s'opère pour ainsi dire sous nos yeux. Elle commence à peine lorsque Hérodote visite l'Egypte, c'est-à-dire vers le milieu du cinquième siècle; nous avons saisi çà et là la preuve qu'alors ce travail n'était pas encore achevé. Mais il faut se garder de croire qu'il fût l'œuvre d'une imagination capricieuse accumulant, petit à petit, sans ordre ni suite, les inventions les plus hétérogènes. On s'est gravement trompé autrefois, en cherchant dans les mythes un système où tout devait s'enchaîner par les liens étroits de la logique. On est disposé aujourd'hui à tenir plus de compte de la fantaisie poétique, qui surtout chez les peuples de l'Orient ajoute chaque jour quelque chose aux croyances du monde. On a eu raison de changer ainsi de méthode; mais il ne faudrait pas verser dans un autre excès et s'imaginer que l'humanité s'est abandonnée tout entière aux rêves flottants des poètes. Si l'imagination populaire s'est donnée carrière dans les légendes qui retracent les aventures fabuleuses des dieux et des héros, on ne lui a pas permis de s'exercer sur les dogmes qui s'enseignaient dans les mystères. Jamais on n'a refusé d'ouvrir les portes du ciel aux êtres extraordinaires pour lesquels la multitude se passionne, ni de grossir leur légende ; mais il est resté bien entendu que les profanes n'avaient rien à ajouter ni à changer à la conception de la divinité, dont on n'achetait la connaissance qu'au prix de nombreuses épreuves. C'est donc par suite d'un dessein prémédité que la Triade grecque a été identifiée, au temps d'Hérodote, avec la Triade égyptienne. Une fusion qui suppose des études religieuses et des comparaisons savantes ne se fait pas au hasard et n'est pas de celles que peut accomplir lentement le

(1) Voir Lenormant et de Witte, Elite des monuments céramographiques, t. III, p. 238; Mariette, La mère d'Apis, 1856, in-4o, p. 19 et suiv.

grand nombre. C'est une œuvre qui a été préparée par le mouvement philosophique du sixième siècle et qui doit y être rattachée. Les événements politiques y ont sans doute contribué aussi pour une bonne part. Chacune des circonstances qui ont rapproché la Grèce de l'Egypte a noué d'autant l'une à l'autre les religions des deux pays. En 463, une flotte athénienne de deux cents navires remonta le Nil jusqu'à Memphis, pour soutenir contre les Perses le parti national insurgé. Ce fut pour Athènes la cause d'un désastre (1); mais sortie plus tard des guerres médiques avec honneur, elle reprit son prestige aux yeux des Grecs établis depuis longtemps déjà à Abydos et à Naucratis et l'hellénisme fit un pas de plus sur la terre des Pharaons.

Depuis l'an 450 jusqu'à la fondation d'Alexandrie, la légende reste stationnaire; mais les études religieuses se poursuivent activement. On attribue à Hellanikos de Lesbos, un des historiens du cinquième siècle, une description de l'Egypte (2); si cet ouvrage n'est pas d'Hellanikos, il paraît bien probable tout au moins qu'il ne lui est pas de beaucoup postérieur; les questions religieuses y ont leur place et y sont traitées, autant qu'on en peut juger par ce qui nous en reste, avec une certaine sobriété qui n'exclut pas le merveilleux, et qui rappelle assez la manière d'Hérodote. L'auteur avait voyagé en Egypte et interrogé les prêtres; il avait entendu parler d'Osiris et de Baba, une des formes de Set, l'esprit du mal, qu'il identifie avec Typhon. Mais, ce qui est bien significatif, c'est qu'il avait fait entrer dans son livre les doctrines de la théologie orphique (3); il prétendait que la vigne provenait de l'Egypte; on en a conclu, avec grande apparence de raison, qu'il avait cru retrouver sur les bords du Nil l'origine des mystères dionysiaques, dont il partageait les croyances (4). Ce témoignage, remontant à l'époque même où l'orphisme a été le plus en honneur, doit être souligné.

La chute de la domination perse en Egypte et l'avènement d'une dynastie nationale (404), qui ne pouvait vivre que grâce à l'appui des Grecs (5), leur facilita encore davantage l'accès des temples. La philosophie du siècle de Périclès n'a pas manqué

(1) Maspéro, Histoire ancienne des peuples de l'Orient, p. 556-557.

(2) Alyvntianá. V. Historic. græc. fragm., éd. Didot, t. I, p. XXIII et suiv., et p. 66, fragm. 154 en particulier.

(3) Ibid., fragm. 155.

(4) Girard, p. 236.

(5) Maspéro, p. 563.

d'aller s'y instruire; Platon, qui est resté si Grec, se souvient cependant maintes fois de ce qu'il avait appris dans ses voyages; il connaît Isis; il a entendu chanter ses louanges et s'est renseigné sur la liturgie sacrée (1). Autour du maître, on ne s'intéresse pas moins à la religion égyptienne; un de ses disciples, Héraclide de Pont, dans son ouvrage Sur les oracles (2), cherche à identifier les dieux de l'un et de l'autre pays. Aristagoras de Milet rédige un recueil d'observations sur l'Egypte, le plus ancien que l'on connaisse après ceux d'Hérodote et d'Hellanikos (3). Eudoxe de Cnide, muni d'une lettre de recommandation d'Agésilas pour le roi Nakhtnebew, va passer seize mois en la compagnie des prêtres, se rasant la barbe et les cheveux, vivant de leur vie et étudiant leurs doctrines, et il écrit au retour un traité Sur les dieux, le monde et les phénomènes célestes (4). Si la perte de ces ouvrages ne cause pas de regrets aux égyptologues, elle est fâcheuse aux yeux de ceux qui étudient les phases successives de l'hellénisme, et qui s'efforcent de ne laisser échapper à leur examen aucune des influences qu'il a subies. Des écrits datant de la grande époque de la Grèce indépendante seraient fort utiles pour montrer ce que des écoles fameuses ont cru devoir prendre aux religions étrangères; on pourrait, sur ce point, comparer leurs opinions à celles qu'a répandues longtemps après le néo-platonisme. Les descriptions rédigées quatre cents ans avant JésusChrist ont été lues, commentées et discutées par les philosophes du second siècle de notre ère; Plutarque, dans son traité d'Isis et d'Osiris, cite Hellanikos (5), Héraclide de Pont (6), Aristagoras de Milet (7). Pourquoi le système religieux de l'Egypte n'a-t-il pas fait fortune de leur temps? Ils en connaissaient certainement le principe; les identifications de dieux qu'Hérodote a recueillies ne laissent aucun doute à cet égard. Pour nous, nous pensons que cette influence a été considérable, mais qu'elle s'est exercée secrètement. Il était impossible que la croyance au monothéisme et à l'immortalité de l'âme, qui se cachait au fond de la théologie égyptienne, ne séduisît pas en Grèce tous les esprits

(1) Lois, II, p. 657.

(2) Hepi xenoτnpíwv. Historic. græc. fragm., éd. Didot, t. II,

notes.

p. 197 et

(3) Hist. græc. fragm., éd. Didot, t. II, p. 98 et 99, fragm. 7. Alyumtianá. (4) Diog. Laert., III, 86-91; Fabric., Bibl. græc., t. IV, p. 12 (éd. nov. 1795), (5) Ch. XXXIV, p. 364 D.

(6) Ch. XXVII, p. 361 F.

(7) Ch. V, p. 353 A.

distingués que lassait le fardeau à la fois pesant et vide du polythéisme. Platon se serait-il fait initier à la science des prêtres, si Solon et Pythagore n'en avaient vanté la profondeur; et Eudoxe eût-il suivi l'exemple de Platon, s'il n'avait eu la certitude d'y profiter? Le mouvement continu qui entraîne les plus grands hommes de la Grèce vers les temples de l'Egypte, dès le jour où elle ouvre ses portes, prouve clairement qu'ils y trouvaient quelque chose qui leur manquait dans leur patrie. Mais ce qu'ils rapportaient au retour passait dans le domaine de la philosophie, et n'entrait dans celui de la religion que lentement et sans bruit; ainsi se formait un esprit qui pénétrait les mystères, qui en modifiait les rites et les traditions et se communiquait peu à peu aux initiés. Au commencement du quatrième siècle, on ne connaît encore les dieux de l'Egypte que par ce qu'en rapportent les voyageurs; aucune légende ne s'est développée autour de leurs noms, la poésie ne les chante pas. La Grèce n'a d'hommages que pour ses dieux brillants et passionnés comme elle; elle réserve à .l'examen des graves problèmes qui troublent l'âme certaines heures et certains lieux où l'on fait trêve aux agitations de la vie publique et des affaires. Mais le jour est proche où les dieux de l'Egypte vont venir vers elle; Athènes sera leur première conquête.

Il ne subsiste plus guère de doutes sur les mesures que la loi athénienne appliquait aux cultes étrangers (1). Le principe, dans toute sa rigueur, était que quiconque introduisait dans la cité des divinités étrangères sans une autorisation préalable était passible de la peine capitale. Cet article n'était pas lettre morte. Du temps de Démosthène, une prêtresse, nommée Ninos, accusée de l'avoir enfreint, fut condamnée et exécutée; le grand orateur lui-même fit infliger le dernier châtiment à une autre femme, Théoris, sur laquelle pesait peut-être le même grief. Enfin Phryné, la célèbre courtisane, fut citée en justice sous l'inculpation « d'avoir introduit une divinité nouvelle, et réuni des thiases illégaux d'hommes et de femmes. » Si elle échappa à la sentence la plus sévère, elle ne le dut qu'à l'habileté de son avocat Hypéride. Ces exemples, après tout, sont rares. La loi était une arme terrible; mais on ne songeait à en frapper que ceux qui étaient signalés à l'attention des juges par quelque ennemi personnel. Combien de femmes

(1) Voir, pour tout ce qui suit, Maury, Religions de la Grèce antique, t. III, p. 71, note 2, et surtout Foucart, Associations religieuses chez les Grecs, p. 127 et suiv.

dans Athènes devaient être aussi coupables que les infortunées que l'on traîna devant les tribunaux ! Il était facile, en effet, de tourner les prescriptions du code. Les étrangers qui, pour les besoins de leur commerce, avaient des comptoirs sur le sol athénien, pouvaient toujours demander au Conseil et au Peuple la permission d'élever un temple à leurs divinités nationales sur un terrain acheté de leurs deniers. Leur requête était discutée ensuite dans les deux assemblées. Il semble qu'au quatrième siècle l'autorisation préalable n'était accordée qu'avec une certaine mesure. En 333, l'orateur Lycurgue, après un vote favorable du Conseil, propose au Peuple de permettre que des marchands de Citium élèvent au Pirée un temple d'Aphrodite (1). Le peuple y consent; dans le texte du décret rendu à cette occasion, on rappelle que les Egyptiens ont obtenu de même le droit de fonder au Pirée un sanctuaire d'Isis (2). C'est donc que l'orateur a eu besoin, pour emporter les suffrages, d'invoquer un précédent, et ce précédent est de fraîche date, il est peu commun, il est peut-être unique ; et, qui plus est, le peuple a voulu qu'il fût mentionné dans la rédaction, comme pour justifier une faveur exceptionnelle. On dirait que la proposition n'a pas été adoptée sans une certaine répugnance. Si l'on se place au point de vue du parti qui tenait aux vieilles mœurs et à la religion des ancêtres, ce sentiment ne se comprend que trop. Permettre à des étrangers venus de Citium ou du Delta, d'installer leurs dieux dans l'Attique, c'était porter un coup fatal aux cultes nationaux. Tous ceux qu'avaient effrayés les procès de Ninos et de Théoris se montrèrent plus circonspects en public. Mais pouvait-on leur interdire l'accès des temples établis au Pirée, et la fréquentation des prêtres cypriotes ou égyptiens? Et lorsqu'ils se laissaient persuader de faire, auprès de leur foyer domestique, une place aux dieux nouveaux, pouvait-on les en empêcher? En ce cas, où commençait l'illégalité et où finissait-elle ? Platon (3) déplore cet entraînement; il voudrait que l'Etat y opposât une barrière; mais les mesures préventives qu'il recommande pour sa cité idéale étaient inapplicables dans la cité réelle. La fin du quatrième siècle marque la première période de l'invasion. Un petit groupe d'étrangers est établi aux portes de la ville, sur un terrain dont l'Etat leur reconnaît la possession;

(1) Inscription dans Foucart, l. c., C. I. Att., II, 168.

(2) Voir une inscription du Laurium, en l'honneur d'Horos, qui est peutêtre de la même époque. Rheinisches Museum, 1869, p. 476.

(3) Lois, X, 910.

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