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lorsqu'il avait subi ces altérations que le contact des cultes étrangers rendait inévitables. C'est donc là qu'il faudrait chercher les premiers éléments de cette étude. Mais la religion alexandrine nous intéresse surtout par le rôle qu'elle a joué, à une heure décisive, dans la capitale du monde. On nous pardonnera donc de ne pas nous attarder autour de son berceau, et de laisser à de plus compétents le soin de rechercher ce qu'elle fut à sa naissance.

Le chemin qu'elle parcourt au troisième siècle est immense. Elle se propage d'abord vers l'intérieur de l'Egypte, en même temps que la domination des Lagides. Memphis avait toujours conservé, aux yeux des indigènes, son prestige d'ancienne capitale et de ville sainte. C'était dans son temple que l'on était venu prendre Osor-Api pour l'installer au milieu des conquérants. Ceux-ci, craignant sans doute que les Egyptiens ne vinssent pas assez souvent prier le dieu ainsi grécisé, le leur portèrent à Memphis et établirent auprès de l'antique sanctuaire le culte mixte qu'ils avaient imaginé. Dès lors deux temples s'élevèrent face à face, l'un égyptien et datant de l'époque des Pharaons, l'autre de fondation alexandrine. M. Mariette (1) a découvert le premier et fixé l'emplacement du second. Parmi les papyrus que l'on a tirés des ruines du Sérapéum grec, les plus anciens paraissent être du règne de Philométor (2). Mais, à coup sûr, le monument a été construit bien plus tôt, et c'est dans le courant du troisième siècle qu'il s'est agrandi et peuplé (3). Ce qui se passa à Memphis sous les premiers Ptolémées (4) peut donner une idée de ce qu'ils tentèrent dans les autres villes de l'Egypte; les temples des dieux nationaux furent protégés, embellis et enrichis; seulement ils virent des autels s'élever à leurs portes pour le culte que la faveur royale et l'engouement du vainqueur avaient sanctionné.

L'esprit grec ne fut pas sans être modifié par ce voisinage. En voyant la ferveur que les Grecs témoignent en Egypte pour leur nouveau culte, on s'explique déjà la fortune que leurs frères d'outre-mer lui réservent. Ptolémée, fils de Glaucias, s'enferme dans le Sérapéum de Memphis et n'en sort point pendant quinze ans; il s'astreint à toutes les pratiques de la dévotion la plus étroite et ne communique avec le dehors que par une lucarne. Les Egyp

(1) Mariette, Le Sérapéum de Memphis.

(2) Devéria, Manuscr. ég. du Louvre, p. 241.

(3) Mariette, ouvr. cité, p. 7.

(4) V. la description du Sérapéum grec de Memphis dans notre chapitre sur Les temples.

tiens ne lui épargnent aucun tracas; ils le volent, le bâtonnent, lui lancent des pierres; les marchands du temple même le molestent. Le pauvre homme n'a d'espérance que dans le roi; il lui adresse requêtes sur requêtes pour le mettre au courant de ses tribulations. En attendant que la réponse arrive, il lutte avec tous ceux qui l'entourent, tantôt avec le boulanger, tantôt avec le marchand d'habits. Cependant Ptolémée ne cherche pas à sortir de sa cellule; il éprouve pour son temple cette affection qui attache étroitement le moine à son couvent (1). Où sommes-nous, dans quel pays et dans quel siècle? Celui qui accepte cette vie est-il bien. le petit-fils de ces Macédoniens, amoureux de combats, race de montagnards et de guerriers, qui sont descendus avec Philippe du haut de leurs sauvages citadelles? Ou n'est-ce pas plutôt quelque religieux du moyen âge byzantin consacré corps et âme aux incffables jouissances de la contemplation? Nous sommes en Egypte et le second siècle avant Jésus-Christ vient à peine de s'ouvrir. Ainsi, avant de suivre Isis et Sérapis du côté d'Athènes, gardons-nous de croire que ces divinités tristes, qui ne parlent que de mort et de vie future, qui imposent à l'homme des sacrifices et des privations, seront accueillies froidement par la société grecque. On a dit et répété que le fond du caractère des Grecs était la mobilité. Rien mieux que cette histoire ne prouve combien il faut apporter de corrections à ce jugement, à moins que l'on ne dise que chez eux la mobilité allait jusqu'à s'accommoder, au besoin, de l'inaction même.

D'ailleurs c'était un mouvement parti des écoles grecques, qui avait rapproché les systèmes religieux des deux pays. Le culte qui naquit du mélange trouva, en pénétrant en Grèce, un terrain tout préparé. Athènes, malgré ses malheurs, n'était pas déchue de sa suprématie morale. Ses maîtres lui-même mettaient un certain point d'honneur à la lui conserver. Les Lagides eurent pour elle autant d'égards que les autres successeurs d'Alexandre; ils s'en montrèrent plus prodigues encore lorsque l'intérêt politique les poussa. En 270 (2), à la suite d'une invasion gauloise, Athènes put espérer un instant qu'au milieu du désarroi général elle se soustrairait à la domination de la Macédoine, dont le sceptre tremblait aux mains d'Antigone Gonatas, fils de Démétrios Poliorcète. Ptolémée Philadelphe envoya, pour l'aider à reconquérir son indépendance, une flotte auxiliaire sous le commandement de

(1) Devéria, ouvr. cité, Papyrus grecs, passim. (2) Champollion-Figeac, Annales des Lagides,

II.

p. 26.

Patroclos (1). Peut-être cette intervention n'était-elle qu'un premier effort pour rattacher la Grèce aux Etats des Lagides; peutêtre auraient-ils fini par saisir leur proie, si Rome ne s'était bientôt dressée au milieu des compétiteurs. En ce cas l'influence d'Alexandrie se serait exercée dans le monde hellénique plus directement encore qu'elle ne le fit par la suite. Le secours envoyé par Ptolémée ne fut pas d'une grande efficacité. Quelques années plus tard, Athènes retomba aux mains du Macédonien. Mais il y avait eu entre le prince et ses protégés un échange de bons procédés, dont le souvenir survécut au naufrage de leurs espérances communes. L'alliance qui prévalut pendant cette courte période laissa dans Athènes une trace durable. Le peuple appela Ptolémaïs une des tribus de l'Attique et donna à un dème de cette tribu le nom de Bérénice, pour faire honneur à la femme (2), à la bru (3) ou à la mère (4) du roi. Ptolémée, en sa qualité d'éponyme, eut une statue dans le Tholos (5). A son tour il fit élever, près de l'Agora, un gymnase qni prit son nom (6). Enfin on reçut dans les murs de la ville le culte des dieux alexandrins (7).

Si l'on étudie la philosophie de ce temps, il semble que jamais l'esprit humain ne fut aussi embarrassé pour asseoir ses croyances. En 270, Epicure finit sa carrière. Zénon et Arcésilas sont encore vivants; le pyrrhonisme est dans tout son éclat. Epicure enseigne que le monde reste étranger et indifférent aux dieux, et que la mort est pour l'homme le terme suprême, au delà duquel il n'y a plus rien. Zénon nic que Dieu ait une personnalité distincte de la nature; la Providence, telle qu'il l'imagine, n'a point d'existence propre et déterminée : c'est un germe, une semence qui se développe conjointement avec l'univers, un principe insaisissable, dont l'esprit le plus habitué aux subtilités de l'abstraction a peine à concevoir l'idée; l'âme humaine, dégagée de ses liens terrestres, ne conserve pas son individualité : elle fait retour au grand Tout, s'y mêle et s'y perd. A qui, d'Epicure ou de Zénon, la raison va-t-elle s'en remettre pour résoudre les deux problèmes qui lui causont le plus de trouble et d'inquiétude? S'inclinera-t-elle devant le Dieu égoïste et impassible de

(1) Pausan, Attica, 1, 7 et 8.

(2) Steph. Byz., Bepevixida. Pollux, Lex., VIII, 110.

(3) Champoll.-Figeac, l. c.

(4) Bockh, ad. C. I. G., 120.

(5) Pausan., l. c., 5.

(6) Id., 17.

(7) Id., 18.

l'un, ou devant le Dieu impersonnel de l'autre? Croira-t-elle que l'âme est anéantie par la mort ou qu'elle s'évanouit et se fond au milieu des éléments de l'univers? Ou bien enfin, ne pouvant sortir d'embarras, se jettera-t-elle dans le pyrrhonisme et doutera-t-elle de la vérité de toute religion en doutant de sa propre puissance? Arcésilas s'offre encore, qui lui propose un scepticisme mitigé, une certitude provisoire, et l'engage à admettre des vraisemblances dans les questions qui la tourmentent. En résumé, si diverses que soient les routes par lesquelles les philosophes prétendent conduire l'homme au bonheur, à l'inaltérable sérénité de l'âme, à l'ataraxie tant souhaitée, il n'y a qu'un point sur lequel ils paraissent s'entendre: c'est que Dieu est inaccessible à l'homme et qu'on ne saurait compter sur une seconde existence.

On pourrait penser que la société élevée au bruit des discussions de ces grandes écoles prit aisément son parti de leurs conclusions décourageantes. C'est un des lieux communs de l'histoire que de flétrir l'insouciance des Grecs de ce temps; on s'imagine volontiers que, se voyant éloignés de la vie publique, ils employèrent à raffiner leurs plaisirs la fécondité d'imagination qu'ils avaient reçue de la nature. On se représente Athènes surtout comme un petit royaume d'Epicure; on cherche à reconnaître, dans la génération que peint Ménandre, les traces de l'influence pernicieuse de la secte. Si la Grèce d'alors était tout entière dans ses philosophes, il serait logique de conclure, d'après le même principe, que le sentiment religieux était en pleine décadence.

Mais laissons là les écoles, et allons écouter ce qui se dit au théâtre. Voici les maximes que Ménandre mêle à ses comédies : « Il y a quelqu'un qui est partout et qui voit tout c'est Dieu (1).

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<< Ne crois pas, quand tu te parjures, échapper à son regard (2).

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« Sans Dieu, il n'est point de bonheur pour l'homme (3).

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« Si ton action est juste, aie bon espoir, et dis-toi bien que Dieu aide le courage qu'inspire une bonne cause (4).

(1) Menandri Ivμaι povóoτixo:. Ed. Duebner, coll. Didot, Supplementum ex Aldo, 61.

(2) Id., Γνῶμ. μον., 253.

(3) Ibid., 250.

(4) Ibid., Incertarum fabularum fragm., XLVII.

« Le plus beau sacrifice à Dieu, c'est la piété (1). »

Ce Dieu dont parle Ménandre n'est pas, comme on voit, celui des philosophes c'est celui d'un sage, qui descend en droite ligne de Socrate, mais qui s'est éloigné des écoles lorsque sa raison et ses sentiments se sont révoltés contre leurs systèmes. Ces vers ne sont que des bribes échappées à la ruine de l'œuvre du poète; ils suffisent cependant pour donner une idée de ce que pouvait être, en dehors des sectes, la religion d'un homme qui s'adressait, non à un petit nombre d'auditeurs, mais à la foule. Ménandre est devenu, aux yeux des générations postérieures, un maître de morale, dont l'Eglise invoquait volontiers le témoignage; on a mis sous son nom des sentences apocryphes; on a été jusqu'à donner, comme venant de lui, des vers calqués sur un passage d'Isaïe (2). N'est-ce pas là la meilleure preuve qu'on avait reconnu dans ses ouvrages cette conception haute et pure de la divinité que le christianisme se plaisait à saluer chez les grands écrivains du paganisme? Au reste, on retrouve les mêmes idées dans un autre poète de la comédie nouvelle, dans Philémon :

<< Crois en Dieu,» dit-il quelque part, « et adore-le, au lieu de chercher à le connaître; car à cette recherche tu ne gagneras rien qu'incertitude. Ne t'inquiète pas de savoir si Dieu existe ou non; dis-toi qu'il existe, qu'il est partout présent et adore-le (3). » Il semble que l'on entend quelque vieillard d'Athènes, parent du Chrémès de l'Héautontimoroumenos, un de ces hommes sages et doux, dont les jeunes gens exploitent quelquefois la bonté, mais dont le langage grave exprime, à l'occasion, les opinions mêmes du poète et de la multitude qui l'écoute. Sans doute, ce personnage, qui jadis a vu passer Platon sous les ombrages de l'Académie, gourmande d'un ton paternel un fils trop épris des doctrines du jour. Il ne lui parle pas des dieux; car, lui aussi, il a philosophé quelque peu, et il comprend que le polythéisme vulgaire a fait son temps; mais il lui prêche un Dieu unique et partout présent, dont il est impie de vouloir pénétrer la nature alors qu'il nous la cache (4). » Il estime que ce qu'il sait de la divinité est nécessaire à son bonheur; mais il croirait le détruire en cherchant à en savoir davantage.

Il y a donc dans le peuple d'Athènes une classe éclairée qui ne

(1) Menandri Γνῶμ. μον., 216.

(2) Ch. Benoît, Essai sur la comédie de Ménandre. Paris, 1854, p. 160, note. (3) Philémon, Incert. fabul. fragm., Didot, XXVI.

(4) Ib. ibid., Didot, LXXXVI.

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