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simples et faibles (1) ». Ainsi Plutarque ne se dissimule pas le vice et les dangers de cette religion. Elle renferme, comme toutes les autres, une part de superstition. Loin de passer sous silence les reproches qu'il lui adresse ailleurs, il les réitère et les développe. Mais il y a un moyen de la tirer du rang des superstitions vulgaires. Et c'est pour cela que Plutarque écrit; c'est là le but et la justification du Traité. Le remède, grâce auquel une mauvaise religion doit devenir bonne, c'est, comme on le devine, la philosophie. Cette idée n'était pas nouvelle; c'était la philosophie qui avait présidé à la fusion des mystères grecs et égyptiens; dès le jour où les Ptolémées, et avec eux une légion d'écrivains, s'étaient appliqués à l'étude des traditions sacrées de la race vaincue, ils avaient tâché d'en saisir le fil et l'esprit; de nombreux systèmes avaient été proposés. Plutarque les passe en revue et les résume; mais il voudrait aussi arriver à une synthèse, dire le dernier mot. De toutes les explications que l'on a données, c'est toujours à « la plus philosophique » qu'il s'arrête (2); mais celle-là même est quelquefois fausse. Il trouve surtout que ses prédécesseurs se sont enfermés dans une opinion étroite, et que chacun d'eux, tout en ayant raison de son côté, a eu tort de ne pas étendre sa vue plus loin (3). Il se propose à la fois de redresser et de coordonner leurs témoignages. La théorie à laquelle il croit pouvoir tout ramener, c'est celle du dualisme. Il y a dans la nature et dans le monde moral deux principes ennemis : le Bien et le Mal, Dieu et le Démon (4). La théologie des Egyptiens repose tout entière sur ce fondement, comme aussi celle des Perses et celle des Chaldéens. Enfin, et c'est là le noeud du Traité, il y a une conformité parfaite entre leur système et celui de Platon (5). Le mythe osirien représente d'une façon symbolique la lutte incessante des deux principes. Si on l'interprète ainsi, les fables les plus sottes en apparence prennent un sens profond. Il n'y a pas jusqu'au culte des animaux qui ne s'explique. Car, si on voit, avec l'école de Pythagore, une manifestation de la divinité dans les propriétés des nombres et des figures géométriques, c'est-à-dire dans de pures abstractions, à plus forte raison doit-on adorer Dieu dans celles de ses œuvres qu'il a animées de son souffle.

(1) Is. et Os., ch. LXXI, p. 379 D.

(2) Ch. XXXII, XXXIII, XLIV. (3) Ch. XLV.

(4) Ch. XLV, XLVI.

(5) Ch. XLVIII, XLIX.

Ce que l'on adore dans les animaux, c'est la vie, attribut divin, qui se trouve répartie à des degrés divers dans la création, et qui existe en Dieu au suprême degré, ou plutôt qui est Dieu luimême, comme la mort est le Mal, le Démon.

Telle est la portée philosophique des mystères égyptiens. C'est à la condition de les bien comprendre, qu'on évitera de tomber dans la superstition, « qui n'est pas un moindre mal que l'athéisme (1). » En d'autres termes, dans la pensée de Plutarque, c'est le dogme hautement entendu qui fait passer sur les apparentes bizarreries du culte. Des pratiques qu'on serait tenté de trouver ridicules deviennent augustes et respectables si on sait voir ce qu'elles cachent. L'indulgence de Plutarque va fort loin; il approuve les ministres d'Isis de se raser entièrement tout le corps, de porter des vêtements de lin et de s'interdire certains aliments (2). Il loue même les particuliers qui s'exercent assidûment dans les temples à ces abstinences rigoureuses, dont la fin est la connaissance de l'Etre souverain (3). » La mortification de la chair n'est qu'un moyen d'arriver plus sûrement à la sanctification de l'esprit.

En même temps qu'il échappe au reproche de superstition, Plutarque déroute ceux qui pourraient l'accuser d'aller chercher ses dieux à l'étranger. Suivant lui, Isis et Osiris sont « des divinités communes à tous les hommes... Les attribuer en propre à l'Egypte... c'est priver de leur protection le reste du genre humain, qui n'a ni le Nil, ni Butis, ni Memphis, et qui cependant connaît Isis et les autres divinités qui l'accompagnent. Il est même des peuples qui en ont appris depuis peu les noms égyptiens; mais ils savaient, depuis leur origine, quelle était l'influence de chacun de ces dieux, et ils leur rendaient un hommage public (4). » D'après cette curieuse théorie, Isis et Osiris. auraient été de tout temps connus et adorés dans le monde entier; nulle part ils ne sont étrangers; leurs noms seuls sont nouveaux dans certains pays. Et encore ces noms mêmes ont une origine grecque; Plutarque, avec une entière confiance, cherche dans sa langue l'étymologie des mots Isis (5), Osiris (6),

(1) Ch. XI et LXVIII. Ces derniers mots résument toute la théorie bien connue du traité Sur la superstition. Cf. Is. et Os., ch. XX.

(2) Ch. III à VI.

(3) Ch. II.

(4) Ch. LXVI.

(5) Ch. II, LX.

(6) Ch. LXI.

Copto (1)... Il va jusqu'à admettre qu'il y a des noms mythologiques qui ont été transportés anciennement de Grèce en Egypte (2). » D'ailleurs, la Grèce à son tour a beaucoup emprunté à l'Egypte, et la facilité avec laquelle ses enfants les plus illustres ont de tout temps pris leur bien sur les bords du Nil, lorsqu'ils l'y ont trouvé, autorise leurs descendants à mettre de côté tout scrupule exagéré. Plutarque rapporte sans fausse honte une tradition qui ferait d'Homère et de Thalès les premiers disciples des Egyptiens (3). Il rappelle volontiers ce que Solon, Platon, Eudoxe, Pythagore doivent aux prêtres de Saïs, de Memphis et d'Héliopolis; il cite avec honneur les noms des maîtres à côté de ceux de leurs glorieux élèves (4). Ce mutuel échange de science montre que l'origine des relations des deux pays se perd dans la nuit des temps. Ce n'est pas un caprice de la génération présente qui a rapproché leurs traditions sacrées (5). On trouve des traces du dualisme égyptien dans les fables des Grecs et chez leurs philosophes, chez Héraclite, chez Empédocle, chez les Pythagoriciens (6). En un mot, les ressemblances que l'on remarque entre les deux religions ont toujours existé; on ne saurait dire qu'elles sont étrangères l'une à l'autre.

Ces théories portent bien l'empreinte du siècle et de l'école qui les ont produites. Le Traité, malgré les restrictions de l'auteur, est une apologie, et se rattache au grand mouvement d'idées dont Alexandrie a été le point de départ. Si Plutarque n'a pas été initié aux mystères grecs d'Isis et d'Osiris, il savait certainement ce qu'on y enseignait; la discrétion avec laquelle il fait le silence là-dessus suffirait à le prouver: il lui arrive plusieurs fois de s'arrêter court devant des révélations qui lui paraissent impies; il se contente alors de faire une allusion vague « aux secrets des mystères et des initiations, qu'on dérobe avec soin aux regards et à la connaissance de la multitude (7). » « Laissons à part, dit-il, les preuves qu'il n'est pas permis de divulguer (8). » Et ailleurs : « Cette explication renferme des secrets

(1) Ch. XIV, v. Parthey, ad h. l.

(2) Ch. XXIX.

(3) Ch. XXXIV.

(4) Ch. X.

(5) Ch. XXXV.

(6) Ch. XLVIII.

(7) Ch. XXV.
(8) Ch. XXXV.

réservés pour les adorateurs d'Anubis (1). » La personne à laquelle le Traité est adressé est elle-même une isiaque; c'est une dame grecque du nom de Cléa, dont Plutarque appréciait beaucoup le savoir; il lui a dédié un autre de ses ouvrages (2). C'était une de ces femmes distinguées, comme la Grèce en comptait beaucoup, même depuis qu'elle avait été réduite au rang de province. Cléa cultivait la philosophie (3), et Plutarque semble avoir rempli auprès d'elle, comme auprès de bien d'antres, l'office d'un directeur de conscience (1). Elle exerçait comme lui de hautes fonctions dans le sanctuaire de Delphes; elle y présidait les thyades de Dionysos, et ne s'était pas crue obligée pour cela de renoncer aux mystères alexandrins, auxquels ses parents l'avaient initiée dès son enfance (5). Plutarque, bien loin d'en être choqué, veut lui donner son avis sur ce qu'il regarde comme du devoir d'un véritable isiaque (6). » Il va puiser pour elle de nouveaux détails dans la théologie égyptienne. C'est pour elle qu'il consulte les écrits des philosophes et des mythographes. Il n'a pas la prétention de l'éclairer sur ce qui s'enseigne dans les mystères; car elle en est aussi bien instruite que lui (7). Ce qu'il lui expose, c'est ce que l'on trouve dans les livres, plutôt que ce qui se transmet par la tradition orale. Il est certain qu'abstraction faite des étymologies fausses, des comparaisons. forcées, et en général des erreurs que l'on peut imputer aux exigences de son système, il s'est livré à un travail approfondi et en somme utile et fructueux. Les égyptologues attachent un grand prix à son témoignage, et la découverte des documents originaux n'a fait que confirmer l'autorité de certains de ses récits (8). Le Traité est donc une œuvre de science, sortie de la plume d'un philosophe et destinée à une femme élevée au milieu des discussions théologiques. Ce serait s'abuser que d'y chercher le résumé fidèle des croyances répandues dans la foule par les mystères.

Mais la lecture en est instructive. On y voit pleinement le désarroi dans lequel le paganisme est tombé. Plutarque, prêtre

(1) Ch. XLIV.

(2) Sur les actions courageuses des femmes.

(3) Ibid.

(4) Gréard, p. 79 et suiv.

(5) Is. et Os., ch. XXXV. V. un exemple analogue, Orelli, 2361.

(6) Ch. III : « Ἰσιακός ἐστιν ὡς ἀληθῶς ὁ... etc. »

(7) Ch. XXXV.

(8) V. Pierret, Le papyrus de Neb-Qed, p. vi.

d'Apollon, en est réduit, non seulement à accepter un culte taxé de superstition étrangère, mais encore à chercher des raisons pour se convaincre lui-même que ce n'est ni une superstition ni une importation étrangère. Voyant qu'on ne peut résister à l'entraînement populaire, il se demande comment on pourrait le dir riger, et il trouve que la religion des Alexandrins, qui répond bien aux aspirations de toutes les classes, même à celle des gens éclairés, ne peut être arrêtée sur la pente de la superstition que par la philosophie. Mais là est le point faible du système. Comment fera-t-on entendre à la foule la voix de la raison? Qui se charge de l'instruire? Quels sont les moyens pratiques d'empêcher qu'elle s'écarte du droit chemin, et de l'y ramener lorsqu'elle en sera sortie? Qui décidera dans quelle mesure le bon sens doit régler les élans du cœur et de l'imagination? Où est enfin l'autorité qui doit prendre possession des âmes et les mener toujours tout droit, entre les deux précipices de l'athéisme et de la superstition? Autant de problèmes que Plutarque ne se pose même pas. Il voit avec une admirable pénétration les besoins et les dangers de l'heure présente; mais il propose un remède qui n'est bon tout au plus que pour une élite. Il ne songe pas que ceux qui, grâce à leur éducation, pourraient se l'appliquer, sont précisément ceux à qui il est le moins nécessaire. Les humbles, les petits, les faibles d'esprit, le gros de l'armée de la superstition, ne comptent pas pour lui; et ce sont cependant ceux-là qu'il faudrait soigner. Plutarque est encore trop païen pour le comprendre. Il n'écrit que pour l'aristocratie de l'intelligence. Directeur zélé de la conscience de ses amis, il n'imagine pas que l'on puisse songer à établir une autorité suprême qui rende à tous le service qu'il rend à quelques-uns, un pouvoir spirituel chargé de fixer ce que la multitude doit croire. Il se fait une trop haute idée de l'humanité.

$3.

On connaît le sujet du onzième livre des Métamorphoses d'Apulée (1). Lucius, le héros du roman, changé en âne dans la ville. d'Hypate par les sortilèges d'une magicienne (2), arrive, après mille aventures extraordinaires, à Corinthe, où il est conduit sur

(1) L. Apuleii Opera omnia... recensuit Hildebrand. Lipsia, 1842, pagination d'Oudendorp.

(2) I, p. 66.

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