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CHAPITRE VI.

LE CULTE.

:

Les rites propres au culte alexandrin sont décrits dans Apulée avec tant de soin, qu'on n'aurait, pour en donner une idée exacte, qu'à reproduire ses témoignages sans y rien changer. Le tableau qu'il trace dans le onzième livre frappe tout d'abord par une séduisante apparence d'originalité; la première impression qu'il produit est saisissante il semble qu'on assiste à une révélation. Aucun autre écrivain ne nous fait pénétrer aussi avant dans ces fameux mystères, où nous espérons toujours trouver le dernier mot des religions païennes. Mais on songe bientôt que si ce passage d'Apulée (1) a tant de prix pour nous, c'est surtout parce que les ouvrages qui traitaient de la même matière sont aujourd'hui perdus; pour peu que l'on compare les renseignements qu'il nous livre tout d'une haleine à ceux qui sont épars dans les auteurs anciens (2), on arrive aisément à déterminer en quoi le culte mystérieux des divinités d'Alexandrie se distinguait de celui des divinités helléniques.

§ 1.

En rendant à Lucius la forme humaine, Isis a voulu donner aux hommes une marque éclatante de sa puissance; elle l'a choisi entre tous; elle l'a véritablement touché de sa grâce pour le faire servir à ses desseins. Naissance, mérite, instruction, rien n'avait mis son protégé à l'abri des coups du sort. Mais il était vertueux : elle l'a sauvé. Cette faveur insigne impose à Lucius un devoir : celui de consacrer désormais sa vie à sa bienfaitrice. Isis lui en

(1) V. J.-J. Jægle, De L. Apuleio Egyptiorum mysteriis ter initiato, Argentorati, 1786, in-4°.

(2) Cléanthe, Icésius, Démétrius de Scepsis, Sotadès d'Athènes, etc. V. Maury, Relig. de la Gr., t. II, p. 338.

a donné l'ordre. Quand le grand prêtre a tiré la leçon d'un si grand exemple, en s'écriant : « Que les impies voient, qu'ils voient et qu'ils reconnaissent leur erreur!» il rappelle au jeune homme qu'il a maintenant une dette à payer, et qu'il doit s'engager pour toujours dans « la sainte milice.» Lucius obéit; il loue une chambre dans l'enceinte du temple et se prépare aux cérémonies de l'initiation par une longue retraite, vivant dans la société des prêtres et dans l'exercice assidu de toutes les pratiques de la religion. Cependant il éprouve encore des scrupules, car il est homme d'honneur; et, comme il connaît la gravité des engagements qu'on exige de lui, il se demande avec inquiétude s'il aura assez de force d'âme pour les bien remplir. Puis, avec le temps, la ferveur de sa piété l'emporte; c'est lui à son tour qui supplie qu'on l'instruise et qu'on le marque du caractère sacré des élus. Le grand prêtre calme ses désirs immodérés : « Il faut que la déesse elle-même fixe la date de la cérémonie et désigne celui de ses ministres qui doit la célébrer; ce serait s'exposer aux plus grands dangers que de pécher par excès de zèle et de devancer les ordres divins (1). »

Ce tableau d'une vocation, cette analyse si fine des sentiments d'un néophyte, nous montrent le paganisme sous des couleurs toutes nouvelles. Et cependant, dès le temps de Pindare et de Sophocle, les jeunes Athéniens auxquels on présentait l'initiation comme l'unique moyen de conquérir los vérités éternelles (2), ne pouvaient penser autrement que Lucius : « Les initiés, suivant Sophocle, sont qualifiés de trois fois heureux, alors qu'ils pénètrent dans l'Hadès; à eux seuls est donnée la vie éternelle; quant aux autres, il n'y a pour eux que des souffrances (3). « La foule s'écrie, sur le passage du héros d'Apulée : « Mortel fortuné, mor. tel trois fois heureux, qui, par l'innocence et la pureté de sa vie présente, a mérité du ciel un patronage aussi éclatant (4)!

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Lorsque Lucius, par l'abstinence de certains mets (5), par une fréquentation continue des cérémonies sacrées, est parvenu à un état de pureté parfaite, Isis lui donne, pendant son sommeil, les instructions nécessaires, et il voit luire enfin le jour tant attendu.

(1) P. 782-785, 766, 792-801.

(2) V. les textes de Pindare et de Sophocle, cités par Maury, t. II, 343.

p. 342

(3) Soph., Fragm., 750, ap. Plutarch., De aud. poet., 84, p. 81, éd. Wittenbach. (4) P. 784.

(5) P. 799, cf. Maury, l. c., p. 357.

Il assiste au sacrifice du matin. Puis le grand prêtre, consultant les hiéroglyphes des saintes écritures (1), lui indique quels sont les frais qu'il doit faire pour les apprêts de l'initiation (2). Depuis de longues années, les choses ne se passaient pas autrement à Eleusis.

De toutes les épreuves expiatoires qui doivent délivrer l'âme de ses péchés, la première est la purification par l'eau (3). Lucius, suivi d'un cortège de fidèles, est conduit par le grand prêtre à des bains qui se trouvent dans le voisinage du temple, et là il se plonge dans un bassin affecté spécialement à cet usage (4). Son guide, après avoir adressé une prière aux dieux, répand de l'eau sur tout son corps (5). Ensuite on le ramène au temple, où il se prosterne devant l'image d'Isis. On lui communique les mots ineffables (6), et il reçoit l'ordre de s'interdire pendant dix jours toute recherche dans sa nourriture, de ne rien manger qui ait eu vie, et de ne pas boire de vin. A l'expiration du délai fixé, vers la fin du dixième jour, les fidèles sont introduits en foule dans le temple, et chacun, suivant la coutume (7), offre des présents au néophyte. Quand tous les profanes se sont retirés commence ponr lui la partie principale de l'initiation, la plus terrible et la plus solennelle : la grande veillée (8). On sait en quoi elle consistait. Le myste assistait, dans la partie la plus retirée du sanctuaire, à une sorte de drame qui faisait passer sous ses yeux toute l'histoire légendaire de la divinité à laquelle il se consacrait; puis il était soumis lui-même, au milieu des ténèbres, à une série d'épreuves redoutables, jusqu'à ce qu'on l'amenât dans un lieu de délices tout resplendissant de lumière, où des apparitions soudaines, où d'harmonieux accords venaient frapper es sens par un contraste imprévu (9). Lucius a été témoin de scènes. semblables dans le temple d'Isis; mais il ne peut en révéler le moindre détail sans sacrilège. Aussi se contente-t-il de dire à

(1) P. 801, cf. Maury, l. c., p. 337, note 6, et p. 338, no 9.

(2) Cf. Sainte-Croix, t. I, p. 278, notes 2 et 3.

(3) « Kálapoic. » Maury, l. c., p. 336. C'est ce que M. Maury (p. 142 et 351), compare au baptême.

(4) « Aoutpov. » (Platon). Maury, l. c., p. 142.

(5) « Περίῤῥανσις. » Id., ibid.

(6) « Múnois. » Maury, l. c., p. 336.

(7) Térence, Phorm., v. 13-15, cité par Maury, p. 352, note 6.

(8) « Havvuyíc. » Maury, p. 330. C'est ce qu'Apulée appelle noctis sacratæ arcana, p. 797.

(9) Maury, p. 333.

mots couverts : « J'approchai des limites du trépas; je foulai du pied le seuil de Proserpine, et j'en revins en passant par tous les éléments; au milieu de la nuit je vis le soleil briller de son éblouissant éclat; je m'approchai des dieux de l'enfer, des dieux. du ciel; je les contemplai face à face; je les adorai de près. » En un mot, Lucius a vu (1).

Dès que le jour paraît, la cérémonie redevient publique. La foule envahit le temple. Un rideau placé au devant du sanctuaire s'écarte, et sur une estrade on aperçoit Lucius portant sur la tête une couronne de palmier et dans la main droite une torche enflammée (2). Il est vêtu de douze robes sacrées que recouvrent un vêtement enrichi de fleurs peintes et une chlamyde, sur laquelle sont brodées des figures d'animaux fantastiques; les prêtres donnaient à ce costume le nom d'Olympiaque (3). Après avoir assouvi les regards des fidèles, Lucius célèbre sa réception par un banquet religieux et par des fêtes qui durent trois jours. Enfin il se décide à quitter ce temple de Kenchrées, où il a reçu un caractère ineffaçable; mais ce n'est pas sans témoigner sa reconnaissance à la déesse par des prières émues, et à ses prêtres par une bonne offrande en espèces sonnantes (4).

Certes, voilà plus d'épreuves que les sociétés secrètes n'en ont jamais inventé. Cependant, arrivé à Rome, Lucius reçoit de la déesse, pendant son sommeil, un nouvel avertissement. Il apprend à sa grande surprise, qu'il n'est pas complètement instruit des mystères de sa religion; il faut qu'il se fasse admettre au nombre des adorateurs d'Osiris; « car, malgré les liens étroits, l'unité même des deux divinités et des deux cultes, il y a une différence essentielle entre chacune de ces initiations (5). » Lucius fait d'abord la sourde oreille, car ses ressources sont épuisées, et il prévoit qu'il va lui en coûter gros. Mais la divinité insiste; elle le gourmande de telle façon qu'il se décide à vendre ses hardes, et grâce à l'argent qu'il en retire il obtient d'être initié, non seulement aux mystères d'Osiris, mais encore aux orgies nocturnes de Sérapis, qui n'est, comme on sait, qu'une seconde forme du même dieu.

Ce n'est pas encore tout. A quelque temps de là, nouvelle vi

(1) Il est énótη. Maury, p. 332.

(2) Cf. Maury, p. 313 et 336-337.

(3) V. comment Sainte-Croix l'explique, t. I, p. 163-164.

(4) « Licet non plene..., » etc. p. 806.

(5) P. 811.

sion, nouvelles instances. Cette fois, Lucius s'inquiète. Il a peur que les prêtres n'aient oublié, en le consacrant, quelque formalité indispensable. Mais Osiris le rassure, l'exhorte à ne rien négliger pour son salut et à subir une troisième initiation, qui doit être la dernière. Il obéit, et désormais il est en mesure de prendre place dans l'assemblée des fidèles, où il ne tarde pas à être porté aux plus grands honneurs.

Ce récit, outre qu'il est d'une rare précision dans le détail, a de plus l'avantage d'avoir été écrit par un homme plein de respect pour son sujet, de telle sorte qu'il nous permet de juger, non seulement de toutes les péripéties d'une initiation, mais encore des sentiments qu'elle éveillait dans l'âme du néophyte. On est bien un peu tenté de sourire des appels fréquents que les prêtres adressent à la bourse de Lucius, et des hésitations qu'il éprouve chaque fois qu'il lui faut en délier les cordons; mais le ton de l'écrivain est si grave, si convaincu, que l'on ferme volontiers les yeux sur la crédulité de son héros et sur la cupidité de ceux qui l'exploitent. Il y a même quelque chose de touchant dans la manière dont Lucius entend ses devoirs envers la déesse qui l'a sauvé et envers les prêtres qui assurent son bonheur éternel. Isis a pour les malheureux l'affection d'une mère; elle ne cesse pas un instant de leur tendre une main secourable. Se faire initier à ses mystères, c'est donc se placer à tout jamais sous sa protection; c'est se vouer tout entier à son service. Ce que Lucius ressent pour sa bienfaitrice, ce n'est pas seulement de la reconnaissance; il y a dans son âme un sentiment beaucoup plus complexe, plus artificiel, si l'on peut ainsi parler, et qu'Apulée peint à merveille. Ces abstinences, jointes à l'état de contemplation dans lequel le néophyte a vécu au fond du temple, privé du commerce des hommes et confiné en quelque sorte dans le domaine des choses saintes, l'ont amené à une certaine exaltation douce, qui change en amour le respect que lui inspirait la divinité; Isis est pour lui une compagne dont la vue suffit pour le ravir en extase. Même après avoir subi l'initiation, il reste plusieurs jours dans le temple, « tout entier au plaisir ineffable de contempler son image. Quand il la quitte, c'est avec un déchirement de cœur (1). Ses larmes coulent en abondance, et la dernière prière qu'il lui adresse est entrecoupée par les sanglots.

L'initiation établit aussi un lien étroit entre le néophyte et le

(1) P. 806, « Abruptis ardentissimi desiderii retinaculis. »

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