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les reçoit de lui et les distribue à tous les êtres (1). » Dans Apulée, Isis n'est pas seulement la Lune, la dispensatrice des fruits et des moissons (2), mais encore la Nature, mère des choses, maîtresse de tous les éléments (3). Les monuments représentent les dieux alexandrins avec des costumes et des attributs empruntés, pour la plupart, aux anciennes divinités qui régnaient sur le monde et qui en personnifiaient les forces. Leur culte ne repose donc point sur un autre principe que le paganisme primitif; il en respecte la tradition; seulement il diminue le nombre des êtres mystérieux qui présidaient à la vie de la nature, ou plutôt il les fait descendre au rang d'agents inférieurs placés sous la dépendance de deux ou trois personnes divines.

Ce naturalisme se réduit même jusqu'à devenir monothéiste. La croyance à un seul Dieu, qui, plus ou moins enveloppée, plus ou moins corrompue par les superstitions vulgaires, s'était perpétuée en Egypte, se propagea rapidement avec la religion. des Alexandrins, au souffle de la philosophie. Au commencement du deuxième siècle, l'empereur Hadrien écrivait au consul Servianus qu'à Alexandrie on ne reconnaissait qu'un seul Dieu, Sérapis, et que tous, païens, chrétiens et juifs s'accordaient pour lui rendre hommage (4). Ælius Aristide n'est pas moins affirmatif « Les habitants de la grande cité égyptienne, dit-il, proclament Serapis seul Zeus et n'invoquent que lui (5). » Les termes mêmes dont il se sert dans ce passage sont reproduits par un assez grand nombre d'inscriptions gravées sur des gemmes; c'est toujours la formule : « Sérapis seul est Zeus (6). » Ce dieu, que l'on compare ainsi à l'antique souverain de l'Olympe grec, lui est du reste bien supérieur; car le Zeus d'Homère a dû partager le monde avec Poseidon et Pluton. Sérapis est maître partout : l'air, la terre, la mer et les enfers lui appartiennent. Il est le coryphée de tous les êtres surnaturels qui peuplent l'univers. Il est le seul que tous les hommes adorent à l'égal de leurs divinités nationales; quelques-uns même lui rendent un culte exclusif de tout autre (7). Les dieux égyptiens qu'on lui associe, à Alexandrie même, n'usurpent point le rang qui lui est réservé;

(1) Ch. LXIV.

(2) P. 757-759.

(3) P. 761.

(4) Hist. Aug. Vopisc., Vita Suturn., 8.

(5):

« Ἕνα Σάραπιν ἀνακαλοῦσι Δία, » p. 53.

(6) : « Εἰς Ζεὺς Σέραπις. » V. notre Catalogue, nos 138, 139, 143, 213, 214. (7) Aristide, l. c.

ils restent dans la Triade à l'état de personnes secondaires, dont l'essence n'est pas distincte de celle de leur souverain (1). On connaît une gemme sur laquelle sont représentés Horos et Anubis; Sérapis ne figure pas auprès d'eux; mais la légende ordinaire « Sérapis seul est Zeus, » gravée autour du sujet, montre que les honneurs attribués aux deux autres personnes ne portent pas atteinte à la puissance de l'Etre unique (2).

Cependant il dut y avoir entre les théologiens, à cette époque de remaniements et de transformations profondes, des divergences d'opinions sur l'unité de Dieu et sur les rapports des trois personnes (3). C'est ainsi que la divinité femelle paraît avoir pris de bonne heure, dans certains systèmes, la place principale; chez Apulée, Sérapis, quoiqu'il soit question de lui incidemment (4), disparaît devant Isis. Non seulement celle-ci joue le premier rôle dans l'épisode, mais encore l'auteur lui donne toutes les attributions qui, suivant Aristide, reviennent à Sérapis : « Je suis, dit-elle, la Nature mère des choses, maîtresse de tous les éléments, origine et principe des siècles, divinité suprême (5), reine des Mânes, première entre les habitants du ciel, type uniforme des dieux et des déesses. C'est moi dont la volonté gouverne les voûtes lumineuses du ciel, les souffles salutaires de l'Océan, le silence lugubre des enfers. Puissance unique, je suis par l'univers entier adorée sous plusieurs formes, avec des cérémonies diverses, avec mille noms différents..... (6) » Un monument fameux, souvent cité, qui a été trouvé à Capoue, est dédié à la déesse Isis « qui, à elle seule, est tout (7). » Juvénal, se moquant des gens dont la piété est mesquine et mal entendue, remarque qu'Isis seule leur inspire quelque crainte, quoiqu'ils ne se fassent pas faute de braver sa colère à l'occasion. Elle est pour lui la divinité par excellence, celle en qui l'on croit lorsqu'on croit en Dieu (8).

(1) V. comment Apulée parle du culte d'Osiris dans ses rapports avec ceux d'Isis: « Connexa, immovero inunita ratio numinis religionisque » Metam., XI, p. 810-811.

(2) Montfaucon, Palæogr. gr., p. 178. Matter., Histoire du Gnosticisme, pl. III, n° 4.

(3) C'est ce qui explique comment Sainte-Croix refuse d'admettre qu'Apulée reconnaisse le principe de l'unité de Dieu. Mystères, t. II, p. 166.

(4) P. 772, 814, 816.

(5) « Summa numinum. »

(6) P. 761.

(7) C. 1. N., 3580, « una quæ es omnia. »

(8) XIII, 91 et suiv. « Hic putat esse deos... » etc.

Mais cette foi nouvelle devait forcément, dans une religion qui restait naturaliste, incliner vers le panthéisme : un seul Dieu, qui résume en lui toutes les forces de la Nature, ne se distingue pas du monde. Sur ce point, le langage de nos auteurs n'est pas très explicite; on dirait parfois qu'ils cherchent à échapper à cette conclusion. Tantôt Sérapis est le grand réceptacle commun, d'où tout sort et où tout rentre, où tout va se perdre et s'absorber après la mort (1); tantôt il est le créateur de l'univers, aux lois duquel il préside (2). Tantôt Isis est identifiée avec la Nature; tantôt elle en règle les mouvements (3). Les métaphores qui se pressent dans le style de cette époque ne permettent pas toujours de décider si l'écrivain attribue à la divinité une vie propre. Il est probable que cette conception, vague au début, devint plus précisc à mesure que l'on s'éloigna des traditions du paganisme. A l'origine, Sérapis n'est autre qu'Eros-Phanès, le dieu du panthéisme orphique, lequel embrassait dans son unité les diverses parties du monde comme les membres d'un même corps. On rapporte que Nicocréon, qui régnait en Chypre vers le temps d'Alexandre, avait demandé à Sérapis qui il était (sans doute lorsque Ptolémée organisa et répandit le culte de sa capitale naissante), et il avait obtenu cette réponse : « Je vais t'apprendre moi-même quel dieu je suis. Le monde céleste est ma tête; la mer, mon ventre; j'ai dans la terre mes pieds, dans l'air, mes oreilles, dans le soleil resplendissant, mes yeux (4). » De même encore, dans la théorie à laquelle Plutarque s'arrête, Isis et Osiris sont confondus avec la matière. Chez Aristide, la personnalité de Sérapis se dégage beaucoup plus nettement; il est présenté comme le maître et comme le roi de la création, qu'il gouverne suivant les vues de sa profonde sagesse (5). L'alexandrinisme a donc suivi, au commencement de notre ère, le mouvement général de la philosophie. Ce fut surtout lorsqu'on imagina Dieu comme une Providence, qu'il fallut bien lui reconnaître une existence à part; et c'est en effet ce point de vue qui domine chez Apulée et chez Aristide. Non seulement le Dieu des

(1) Aristide, p. 54: « πανταχῆ πάντας περιέχων. »

(2) Ibid., p. 51, 55 : « ἔργα Σαράπιδος. »

(3) Macrob. Saturn., I, 20, et peut-être Apulée, p. 761, mais ici Hildebrand lit, au lieu de rerum Natura parens, que donnent la plupart des éditeurs, naturæ, ce qui, d'ailleurs, est plus conforme à la théorie d'Apulée.

(4) Macrob., Saturn., I, 20, Cf. Mullach, Fragm. Philos. Græc., Coll. Didot, Orphica, I. v. 18, II, v. 30, VI, v. 11, 35 et suiv.

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Alexandrins règne sur le monde, mais encore il peut, si bon lui semble, en changer les lois. Lorsque Isis rend Lucius à sa forme première, elle accomplit un miracle qui doit témoigner à jamais de sa puissance devant les hommes, et son protégé ne croit pas pouvoir moins faire, pour reconnaître une pareille faveur, que de lui consacrer le reste de sa vie (1). Sérapis donne à des matelots de l'eau potable en pleine mer, il ressuscite les morts (2) : « Les livres sacrés, dit Aristide, sont pleins de récits de prodiges semblables; sur les places publiques, dans les ports et dans les villes, on ne s'entretient pas d'autre chose (3). » Sérapis rend la santé à des malades que les médecins désespéraient de sauver. Il délégue même ses pouvoirs surnaturels à quelques mortels privilégiés. Lorsque Vespasien guérit, devant le peuple d'Alexandrie, un aveugle et un paralytique, c'est le dieu qui lui communique tout à coup sa bienfaisante influence. Ce jour-là, l'empereur représente sur la terre le maître de l'univers.

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L'idée que l'on se fait des rapports de Dieu avec l'homme est nouvelle aussi et se ressent plus encore que tout le reste des progrès de la philosophie. Que l'on accorde la souveraineté à Sérapis ou à Isis, on ne se figure l'Etre Suprême que comme une Providence, dont la bonté infinie dirige les créatures. Si le héros d'Apulée voit enfin, après tant d'épreuves, « luire à ses yeux le jour du salut, » c'est à la providence d'Isis qu'il en est redevable (4). Comme le Sérapis d'Aristide, elle est partout présente et éternellement agissante (5). Aurait-on mille bouches, toutes les bouches de l'humanité, on ne pourrait célébrer dignement les bienfaits dont elle nous comble; car ils se succèdent jour et nuit sans interruption. On ne peut pas plus les compter qu'on ne peut mesurer la portion de l'éternité qui précède notre existence, ou celle qui doit la suivre. Vouloir les rappeler et en fixer le souvenir par la parole, c'est chercher à saisir le flot qui

(1) P. 781.

(2) Aristide, p. 55.

(3) Ibid.

(4) « Jam tibi providentia mea illucescit dies salutaris, » p. 764. V. encore p. 798-799, «< humani generis sospitatrix perpetua»... p. 806.

(5) Apul., p. 807 à 809, Aristide, p. 51, 52, 55: « τὴν παρὰ τούτου πρόνοιαν.

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s'enfuit (1). » La divinité est à la fois très bonne pour les hommes et très redoutable; mais cependant elle incline plutôt vers la miséricorde (2): grande et belle pensée, qui nous porte à mille lieues du paganisme! On se confie à la garde de Sérapis, en lui disant : « Protège-nous (3)! » Isis a pour les malheureux la douce affection d'une mère (4); elle personnifie dans un type idéal le sentiment le plus tendre et le plus fort qu'il nous soit donné de connaître. Les hommes sont désormais unis à Dieu par les liens d'une gratitude et d'une confiance sans limites.

Ils ont envers lui plus de devoirs qu'autrefois. Son intervention étant plus continue et plus sensible, on compte davantage avec lui dans la vie de chaque jour. La morale n'avait jamais été absente du paganisme. Mais au premier siècle elle fait avec la religion une alliance plus étroite. Le premier de nos devoirs. envers Dieu, c'est, suivant une admirable pensée de Plutarque, de chercher à le connaître; c'est par là que nous méritons de partager son bonheur : « Isis communique sa doctrine sacrée à ceux qui, par leur persévérance dans une vie sobre, tempérante, éloignée des plaisirs des sens, des voluptés et des passions, aspirent à la participation de la nature divine, qui s'exercent assidument dans les temples à ces pratiques sévères, à ces abstinences rigoureuses, dont la fin est la connaissance du premier et du souverain être, que l'esprit senl peut comprendre et que la déesse nous invite à chercher en elle-même comme dans le sanctuaire où il réside (5). » On ne sépare plus guère la vertu de l'ascétisme. En même temps, c'est la religion qui fixe les devoirs par lesquels les hommes sont liés les uns aux autres. Cette idée si nouvelle pour l'Occident, et surtout pour Rome, n'avait été nulle part plus répandue qu'en Egypte. Le besoin de corriger par la bienfaisance privée ce que les lois civiles ont de trop dur avait donné naissance dans ce pays, depuis de longs siècles, à des institutions charitables que les temples abritaient et sanctifiaient. Le collège de reclus et de recluses que renfermait le Sérapéum de Memphis vivait sans doute de legs et d'aumônes (6). La pitié

(1) Apul. p. 808, Arist. p. 55. Remarquez que le latin de l'un et le grec de l'autre semblent calqués sur un même texte.

(2) Arist. p. 54: « φιλανθρωπότατος καὶ φοβερώτατος αὐτὸς πρὸς δὲ τὸν ἔλεον μᾶλλον τέτραπται. »

(3) Φύλασσε, Catalogue, no 209, 210.

(4) « Dulcem matris affectionem miserorum casibus tribuis. » Apulée, p. 806. (5) De Is. et Os., ch, II.

(6) V. Renan; Les Apôtres, p. 79 et 325.

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