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des idées. Malgré cette imitation avérée, il serait impossible de citer une cobla de Bertran Carbonel ou de Guiraut del Olivier que Barberino se soit borné à traduire servilement dans une go'bola. C'est de la même façon, sans doute, qu'il a utilisé les œuvres perdues de Raimon d'Anjou, de Hugolin de Forcalquier et de Blanchemain. Cette originalité dans l'imitation est rare au moyen âge elle fait grand honneur à Barberino, en qui il ne faut pas voir un vulgaire compilateur, mais un écrivain et un penseur.

J'ai eu occasion de citer plusieurs fois, dans l'étude qui précède, une œuvre provençale considérable, dont le titre a une certaine analogie avec les Documenti d'Amore de Barberino: c'est le Breviari d'Amor de Matfré Ermengaut de Béziers. J'ai même fait remarquer que la conception de l'amour chez Barberino procède de la conception des derniers troubadours provençaux, dont Matfré nous offre comme un résumé. On pourrait se demander si l'auteur italien n'a pas connu la vaste encyclopédie d'Ermengaut, et s'il ne s'en est pas inspiré dans une certaine mesure. La question vaut la peine d'être examinée.

Rappelons brièvement comment est composé le Breviari d'Amor (1). Dieu, dit Ermengaut, a créé la nature; celle-ci a deux enfants droit de nature et droit des gens. Du premier viennent l'amour sexuel et l'amour des enfants; du second l'amour de Dieu et du prochain et l'amour des biens temporels. C'est de ces quatre sortes d'amour qu'il sera question dans le Breviari. Par l'amour céleste et l'amour terrestre, Ermengaut arrive à insérer dans son livre une véritable encyclopédie de la théologie et de l'histoire naturelle de son temps; toutes ces matières, qui forment une grande partie du Breviari, sont complètement étrangères aux Documenti. Mais où l'analogie commence, c'est quand Ermengaut arrive à traiter de l'amour de mascle et femne, de cet amour naturel dont ont tant parlé les troubadours. A grand renfort de citations habilement choisies, le poète provençal s'efforce de faire triompher la théorie de l'amour chevaleresque; il s'en acquitte si bien, -c'est lui-même qui se décerne ce témoignage, que dames et seigneurs viennent tour à tour lui demander des règles de conduite en la matière. Aux dames il répond en citant de longs fragments de Garin le Brun; aux fins amadors il détaille les qualités qu'ils doivent acquérir largesse, hardiesse, courtoisie, humilité et domnei.

(1) Voyez l'introduction placée par M. Gabriel Azais en tête de son édition.

On voit tout de suite quel rapport il existe entre cette dernière partie du Breviari et l'ensemble des Documenti, texte et commentaire. Comme Ermengaut, Barberino cite fréquemment les troubadours, et il y a même un rapport frappant entre leurs deux procédés. Après avoir produit les passages qui sont en sa faveur, l'auteur provençal se crée des contradicteurs imaginaires qu'il appelle li maldizen, et auxquels il donne la parole pour apporter des citations contraires, qu'il réfute ensuite. Le rôle que jouent li maldizen dans l'œuvre d'Ermengaut est joué dans le commentaire de Barberino par un personnage qu'il nomme Garagraffulus Gribolus. Sous ce nom bizarre, je ne crois pas qu'il faille chercher un personnage réel, comme l'a fait Ubaldini (1): ce n'est qu'un artifice de style analogue à celui qu'emploie Ermengaut.

Si maintenant on rapproche les dates, on sera assez porté à croire que le Breviari a dù passer sous les yeux de Barberino. Matfré Ermengaut écrivait à Béziers; il a dù terminer son œuvre en 1289 ou 1290; cette œuvre a eu tout de suite beaucoup de succès, car elle nous est conservée encore aujourd'hui dans plus de quinze manuscrits. Or c'est en Provence que Barberino a composé ses Documenti entre les années 1309 et 1313.

Malgré toutes ces apparences, je crois pouvoir affirmer que le poème du frère biterrois a été inconnu de Francesco da Barberino. Les considérations que je viens de faire valoir n'entraîneraient qu'une probabilité, même si rien ne parlait contre elles ; mais elles doivent tomber devant d'autres considérations de plus de poids. Si Barberino avait connu le Breviari d'Amor, il l'aurait cité dans le commentaire or il n'y est fait aucune mention de Matfré Ermengaut. Voudra-t-on supposer que Barberino a employé les citations de troubadours réunies par Ermengaut, sans indiquer à qui il devait son apparente érudition? Mais lui-même nous apprend qu'il a emprunté beaucoup à un recueil intitulé Flores dictorum nobilium provincialium. Ce recueil ne peut pas être le Breviari, car le passage du moine de Montaudon, que Barberino déclare y avoir puisé, n'est pas cité par Ermengaut. Ce qui indique bien d'ailleurs qu'il utilisait des sources différentes, c'est qu'aucun des troubadours de date récente allégués par Ermengaut, tels que

(1) Crescimbeni dit, exagérant encore l'opinion d'Ubaldini : « La medesima opera (I Documenti) fu censurata da un tale che lo stesso Barberino per beffa appella Garagraffolo Gribolo, e l'Ubaldini è di sentimento che grande stimolo fosse al poeta questa censura per condurlo a far le chiose alla sua opera. » — Istoria della volgar poesia (Venise, 1731), III, 92.

Guilhem de Montanhagol, Nat de Mons, Pons Santolh, ne figurent dans le commentaire des Documenti. Ajoutons que les formules d'Ermengaut sur l'Amour fils de Dreg de natura, sont absolument inconnues à Barberino, et que, d'autre part, dans les passages des Documenti où sont traités des sujets communs au Breviari, il est impossible de saisir la moindre trace d'imitation (1).

S'il y a quelques rapports entre les Documenti d'Amore et le Breviari d'Amor, c'est donc uniquement au point de vue des idées, et ces idées communes, les deux auteurs ne se les sont pas empruntées, mais ils les ont puisées indépendamment l'un de l'autre, à des sources communes. Tout autre est la relation qui unit les Documenti à une composition provençale que l'on vient de mettre tout récemment en lumière, sous le titre de la Cour d'amour (2). L'esprit qui anime les deux poèmes est absolument opposé, mais la forme nous présente des ressemblances si frappantes, qu'il est impossible d'y voir une coïncidence fortuite, et de ne pas reconnaître qu'il existe entre eux un certain lien de parenté.

L'auteur anonyme de la Cour d'amour s'est proposé, en écrivant son livre, de mettre entre les mains des amants un manuel de conduite; qu'ils fassent tout ce que ce manuel recommande, qu'ils évitent tout ce qu'il condamne, et ils seront de parfaits serviteurs d'Amour :

Que lo be que lo romanz di
Fasson las domnas el drut fi,
E gardon se de la folia

Quel romanz deveda e castia (3).

Cet amour n'est ni celui de Matfré Ermengaut, ni celui de Barberino, c'est celui du chapelain André; la Cour d'amour, est un art d'aimer dont le fond est emprunté pour une bonne part à

(1) C'est ce dont on peut notamment se convaincre en comparant le doc. XVI sub Docilitate, de Barberino, sur les différentes façons de donner, avec le passage où Ermengaut traite de la largesse (tome II, p. 582-7). On verra que l'auteur provençal est beaucoup plus banal que l'auteur italien.

(2) Voyez L. Constans, Les manuscrits provençaux de Cheltenham, Paris, 1882, p. 66-115. Ce petit poème, dont les rapports avec d'autres œuvres allégoriques du moyen âge seraient fort curieux à étudier, ne nous est malheureusement pas parvenu intégralement. Il compte 1730 vers dans le ms. de Cheltenham; mais, sans parler de différentes petites lacunes, il y manque la fin, dont on ne peut deviner les dimensions.

(3) Vers 13-16.

Ovide; à ce point de vue le poème provençal échappe à notre examen. Nous n'avons à nous occuper que de la forme, et du cadre allégorique que l'auteur a donné à son œuvre. En voici un rapide aperçu.

Par un beau jour de printemps,

Al temps quel rossinhols fai nausa,

Que de nueit ni de jor no pausa

Desotz la fuelha de cantar,

Amour convoque ses barons dans sa demeure, située au sommet du mont Parnasse :

Avenc que Fin Amors parlet
Ab sos barons en son recet,
En som del puei de Parnasus (1).

Ces barons sont au nombre de dix: Joi, Solatz, Ardiment, Cortesia, Bon'Esperanza, Paor, Largueza, Domnei, Celament et DolsaCompanhia. Amour parle successivement à chacun d'eux, le remercie de ses bons offices, et lui prescrit différentes mesures qui doivent tourner au profit de la seigneurie d'Amour. Une fois qu'Amour a ainsi donné à chacun ses instructions, surgissent différents épisodes dont nous n'avons pas à nous préoccuper. En ne tenant compte que de ce début, il est impossible de ne pas être frappé de l'analogie qu'il présente avec le début des Documenti d'Amore de Barberino :

Somma vertù del nostro sir Amore
Lo mio intellecto novamente accese
Che di ciascun paese

Chiamasse i servi a la sua maggior roccha.

Sans doute, si l'on descend dans le détail, il y a bien des petites différences entre la conception de messer Francesco et celle de l'auteur de la Cour d'amour; mais à s'en tenir à l'idée fondamentale de l'allégorie, on voit qu'elle est absolument la même dans les deux ouvrages. Des deux côtés, c'est Amour lui-même qui promulgue ses préceptes, dans une sorte de cour plénière où sont réunis ses serviteurs; ici, ce sont douze dames, là, dix barons qui recueillent ces préceptes de la bouche même du souverain,

(1) Vers 35-41.

et qui servent d'intermédiaires entre Amour et ceux qui reconnaissent son empire.

La Cour d'amour ne saurait évidemment être postérieure à la première moitié du treizième siècle; le seul manuscrit qui nous en ait conservé un important fragment a été exécuté en Italie ; par suite, Francesco da Barberino a dù connaître ce poème. Il me paraît certain que l'allégorie du poète provençal a agi sur le poète italien, et je reconnais dans la forme des Documenti l'influence très caractérisée de la Cour d'amour. Mais, encore une fois, cette influence est tout externe si le pavillon est le même, la marchandise est bien différente, et les idées de Barberino sur l'amour n'ont aucun rapport avec celles qui sont exprimées dans la Cour d'amour.

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