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pour l'infortune, le désir de se rendre utile à ses semblables et de soulager leur misère, tous ces sentiments ardents et doux qui procurent à l'âme ses plus nobles jouissances, la religion égyptienne les entretenait avec soin. Dans le Livre des morts, le défunt, arrivé devant ses juges, ne dit pas seulement : « J'ai pratiqué la justice sur la terre, je n'ai pas tourmenté les malheureux, je n'ai pas attiré de mauvais traitements sur l'esclave, je n'ai pas fait pleurer, je n'ai pas tué... » mais encore : « J'ai donné du pain à celui qui avait faim, de l'eau à celui qui avait soif..... (1). » Ces idées transportées au milieu de la société romaine, où les droits du puissant, du riche sont si terribles, doivent opérer une révolution dans les rapports qui unissent les citoyens entre eux. La religion et la morale n'ont plus qu'une seule et même sanction. Sérapis inspire une crainte qui est salutaire, car il défend aux hommes de se nuire et il maintient la concorde ici-bas (2).

Mais la raison principale du succès du culte alexandrin, ce sont les idées qu'il propage sur la vie future. Comme les mystères grecs, il entretient la croyance aux divinités chthoniennes. Sérapis et les dieux qui partagent ses honneurs remplissent un double rôle, comme Dionysos, Déméter et Korè: ils président à la vie et à la mort; ils reçoivent, pour l'animer de nouveau, la matière désorganisée; ils représentent à la fois la force productrice de la nature dans toute son intensité et les tristesses du royaume des ombres. Sérapis conduit les âmes, après qu'elles se sont séparées de leur fragile enveloppe; elles lui doivent un compte exact de leur vie passée; il leur fait subir un jugement et leur assigne, suivant leurs œuvres, une place bonne ou mauvaise dans son empire (3). Isis dit à Lucius: « Lorsque, ayant accompli le temps de ta destinée, tu seras descendu aux sombres demeures, là encore, dans cet hémisphère souterrain, tu me retrouveras brillante au milieu des ténèbres de l'Achéron, souveraine des demeures du Styx; et toi-même, hôte des champs Elyséens, tu continueras d'offrir tes hommages assidus à ta protectrice.» Les Alexandrins enseignent donc que l'âme est immortelle et que, dans sa seconde existence, elle répondra de l'usage qu'elle a fait de la première. C'est la tradition constante de l'hellénisme. Mais cette foi si vivace chez les Grecs est devenue plus ardente encore au contact de la religion égyptienne, pour laquelle

(1) Papyrus de Neb-Qed. Ed. Devéria, p!. VI, col. 11 à 21, pl. VII, col. 26-32. (2) Aristide, p. 54.

(3) Ibid.

la vie d'outre-tombe est la grande préoccupation et le but suprême. Tous les peuples anciens avaient sur la mort un fonds d'idées commun (1), et c'est ce qui rendit la tâche facile à ceux qui entreprirent de les rapprocher par des liens plus étroits. Mais chacun d'eux, suivant son tempérament, se faisait une image. particulière du sort qui attend les hommes au delà du terme fatal. Chacun d'eux surtout acccordait à ce grave souci une part plus ou moins large dans sa pensée de tous les jours, suivant son génie et ses mœurs. Les Grecs et les Romains, tout entiers à leur tâche, jouaient un rôle trop considérable dans ce monde pour tourner souvent leur esprit vers les mystères de l'autre. La multitude (car, bien entendu, il ne s'agit pas ici des philosophes) n'avait point ces habitudes contemplatives que l'on est surpris de trouver, dans d'autres climats, chez les gens les plus humbles. et les plus simples. Eile sentait tout le prix de l'action et ne s'attachait pas à l'examen des problèmes inquiétants avec cette fixité. qui est le propre des races orientales. Elle croyait fermement que nous sommes ici-bas comme dans une hôtellerie; mais à force de s'y faire sa place aussi commode que possible, elle arrivait à oublier qu'il lui fallait en sortir. Qui donc n'est pas coupable de cette inconséquence dans les pays où les corps et les esprits travaillent sans relâche? Et même n'est-il pas nécessaire, pour un peuple qui prétend régner sur les autres, d'oublier parfois que la gloire n'est que chimère et qu'il y a un terme inéluctable aux ambitions les plus généreuses? Les plus nobles choses ne sontelles pas à ce prix? Mais autres temps, autres mœurs. Tandis que les Césars introduisent en Occident ce régime despotique et cette sage administration, dont les Pharaons et les Ptolémées leur avaient donné l'exemple, les âmes, plus souvent et plus longtemps seules avec elles-mêmes, se troublent et songent à la demeure éternelle qui les attend. C'est alors que se répandent les doctrines de l'Egypte, parce qu'elles exaltent plus que toute autre ce sentiment de malaise. Elles lui offrent un aliment toujours prêt, l'entretiennent et le réchauffent. Des Egyptiens viennent jusque dans Rome offrir aux yeux le spectacle de ce que cache le monde souterrain (2). Tous les genres d'enseignement se réunissent pour surexciter les imaginations.

Mais il y a plus. Les Alexandrins donnent un cours nouveau à

(1) V. G. Perrot, dans la Revue des deux mondes du 1er février 1881, p. 577

et suiv.

(2) V. plus haut, p 58, n. 3.

de vieilles idées; ils y ajoutent un élément : l'espérance de la résurrection. C'est à peine si l'état qui suit immédiatement la mort peut être appelé une vie, lorsqu'on se le représente tel que les poètes grecs le dépeignent. On sait, et il est inutile de rappeler, ce qu'Homère peuse de l'existence des ombres, même les plus heureuses (1). L'orphisme ne tarda pas à changer ce point de vue. Dans ce système, ce fut la vie à venir qui devint la véritable et l'unique fin de l'humanité; celle que nous menons ici-bas ne fut plus considérée que comme un temps d'exil, imposé à nos âmes en punition de crimes antérieurs, qu'elles doivent expier, afin de renaître un jour plus pures et plus libres. Il n'est guère douteux que ce fut l'Egypte qui inspira aux Orphiques, dès l'origine de la secte, la doctrine de la palingénésie. La foi en une seconde vie, meilleure que la première, s'éveilla tout d'abord dans ce pays. Ce fut là qu'elle se retrempa aux époques postérieures, quand elle eut fait son chemin à travers le monde. La purification orphique, qui devait assurer à l'homme le bonheur éternel, devint un des rites essentiels du culte alexandrin. Les élus, sur lesquels Isis a jeté les yeux, doivent d'abord être plongés dans le bain mystique, qui les lave de leurs souillures et leur fait trouver grâce devant la divinité (2); lorsqu'ils ont subi toutes les épreuves de l'initiation, ils sont marqués d'un caractère ineffaçable. Arrivés aux por. tes du trépas, ils reviennent en quelque sorte à la vie, grâce à la providence de la déesse (3). Cette béatitude n'est pas le privilège de quelques-uns; tout le monde peut l'acheter par une conduite austère et pieuse et, comme bien l'on pense, les prêtres ne refusent personne. Chaque culte, dans les premiers siècles de notre ère, avait une formule qui résumait les croyances de ses adeptes et qui leur servait de mot d'ordre, de signe de ralliement. Celle que les Alexandrins écrivaient sur les tombes était : « Ayez confiance (4)! c'est-à-dire attendez sans crainte le jour où les bons

(1) V. Girard, Le sentiment religieux en Grèce, p. 303 et suiv.

(2) V. plus bas, chapitre VI, 1.

(3) Apul., XI, p. 799. « Sua providentia quodam modo renatos.. » etc. C'est dans le même sens qu'il faut entendre un autre passage, p. 766: «Scies ultra statuta fato tuo spatia... » etc. V. encore p. 806 : « Natalem sacrorum... »

(1) Eûçúxet, C. I. G., 2204, 4467, 4468, 4825 add., 4975b add., 4976, b. e. 5832 add., 5854 c. add., 6223b., 6301, 6324b., 6350, 6364, 6371, 6404, 6425, 6427, 6438, 6455, 6170, 6488, etc., etc. V. la même acclamation sur des tablettes suspendues au cou de momies de l'époque alexandrine, Gazette archéologique, 1877, p. 133. Edm. Le Blaut, Tablaï égyptiennes à inscriptions grecques. Recue archéolog. 1874, p. 244 et autres articles. Ibid., V. les tables, et ibid., 1875, passim. Cette acclamation paraît bien avoir été propre aux païens d'A

trouvent leur récompense dans une existence meilleure. Mais personne n'atteint dès le lendemain de la mort le terme promis à la vertu. Sur ce point, l'alexandrinisme ne pouvait penser autrement que les sectes dont il avait recueilli l'héritage. Depuis les disciples directs de Pythagore jusqu'aux Orphiques, tous étaient d'avis que l'âme, au sortir de sa prison, doit passer successivement dans plusieurs corps, avant de jouir de la félicité, à laquelle elle aspire. Elle devait s'élever petit à petit, après avoir joué dans ce monde des rôles divers sous des formes multiples. La purification qui l'avait anoblie une première fois n'était donc pas une garantie suffisante pour qu'elle pût se flatter d'obtenir sur-le-champ une place au séjour des bienheureux. Nul ne pouvait quitter la terre. avec la certitude d'être trouvé sans péché. L'épreuve qu'on allait subir était toujours redoutable, même pour les plus justes. Aussi n'était-ce pas sans trembler que l'on voyait venir le moment de paraître devant Sérapis, si bon et si miséricordieux qu'on se le figurât. Des Romains disent à leurs parents qu'ils ont perdus : « Qu'Osiris accorde à ton âme altérée l'eau rafraîchissante (1)! Cette idée que l'homme a soif des jouissances spirituelles et que c'est pour lui un châtiment que d'en être privé dans l'autre monde n'avait pu se répandre que grâce à l'influence des écoles philosophiques. Rien ne prouve mieux avec quelle faveur leurs spéculations étaient accueillies que ces souhaits formés par les vivants pour le bonheur des morts. Le salut est désormais la grande affaire, et, pour ceux qui l'ont gagné, la récompense suprême consiste à satisfaire auprès de Sérapis cet ardent besoin de savoir et de comprendre, qui serait ici-bas le pire des supplices, si nous n'avions l'espérance qu'il sera un jour la source des plus ineffables voluptés (2).

La foi en la résurrection se traduit par un symbole, dont l'image est reproduite à profusion sur les monuments du culte c'est la fleur du lotus. De même que son calice s'épanouit chaque matin

:

lexandrie, quoiqu'on la trouve aussi quelquefois sur des monuments chrétiens V. C. I. G., 9690, 9797 (?), 9803, 9829.

(1) « Δοίη σοι ὁ Όσιρις τὸ ψυχρὸν ὕδωρ. » C. 1. G., 6562. Ailleurs : « ψυχῇ διψώση ψυχρὸν ὕδωρ μετάδος, » 6267. V. encore 6256 et 6717, inscriptions de Rome.

(2) Sur le sens du rafraîchissement mystique, v. Martigny, Dictionn. des antiq. chrét.: Refrigerium. Cf. Creuzer-Guignaut, Relig, de l'Antiq., liv. III, ch. II, II, et note 5; ibid. planche CCLXII, 959. Dans ce dernier passage, Creuzer exprime cette opinion, que la croyance au refrigerium est d'origine égyptienne, qu'elle a été transplantée en Grèce et « communiquée au christianisme par l'intermédiaire des néo-platoniciens. »

à la surface des eaux, de même le soleil reparaît à l'entrée de la carrière qu'il a parcourue la veille; de même encore l'homme, après être arrivé au terme que lui ont fixé les destins, commencera une existence nouvelle (1). Le lotus est placé sur la tête ou dans la main des dieux; il pare le front de leurs ministres; il est figuré comme un ornement sur les objets du culte. Il s'offre partout aux yeux des initiés, afin que l'idée qu'il rappelle soit sans cesse présente à leur esprit. Quelquefois on propose à leur adoration Harpocrate, le dieu ressuscité, sous la forme d'un jeune enfant, qui paraît sortir du sein de la fleur mystique. Il représente pour eux et la nature divine et celle de l'homme dans ce qu'elle a de divin et d'impérissable (2).

On aimerait à savoir si les Romains subirent l'influence de la doctrine égyptienne, au point de s'inquiéter de la destinée des corps que la mort avait frappés, comme ils se préoccupaient de celle de l'âme. Quoique les textes ne jettent pas beaucoup de jour sur cette question, il est probable que partout où le culte alexandrin fut adopté il fit pénétrer l'idée que la partie matérielle de l'être humain peut elle-même échapper à la destruction, ou qu'il inspira tout au moins comme un vague espoir de l'y soustraire. Il semble que ce sentiment dut être tout à fait inconnu à un peuple qui brûlait ses morts. Aux yeux de la raison, il n'est pas plus difficile de promettre une renaissance future au corps que l'on réduit en cendres qu'à celui qui tombe de lui-même en poussière ; mais la vue d'une personne qui descend au tombeau, telle en apparence qu'elle était la veille, ne produit pas sur l'âme une impression aussi profonde que la vue d'un cadavre dont on hâte soi-même l'anéantissement. Le système de l'incinération inflige un démenti brutal à une illusion que l'autre laisse subsister un instant. Cependant les Romains n'étaient pas aussi éloignés qu'on pourrait le croire de la doctrine égyptienne. Il y avait toujours eu une contradiction manifeste entre leurs usages et leurs principes (3). Il est vrai qu'ils brûlaient leurs morts; mais ils n'abandonnaient pas les cendres de ceux qui leur étaient chers; ils les recueillaient pieusement et les enfermaient dans une urne sur laquelle ils inscrivaient le nom du défunt. Ces restes, tels quels, représentaient encore pour eux une partie de la personne qu'ils pleuraient. S'ils s'imaginaient, comme les Grecs, que le bonheur

(1) V. Pierret, Dictionn. d'archéol. ég., Lotus.

(2) V. notre Catalogue, passim.

(3) Perrot, Revue des Deux-Mondes, 1881, p. 577, et les notes, p. 578 et suiv.

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