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l'étranger, parlait de me mettre hors la loi, qu'il prenne garde de porter cet arrêt contre lui-même ! S'il parlait de me mettre hors la loi, j'en appellerais à vous, mes braves compagnons d'armes; à vous, braves soldats, que j'ai tant de fois menés à la victoire; à vous, braves défenseurs de la République, avec lesquels j'ai partagé tant de périls pour affermir la liberté et l'égalité. Je m'en remettrais, mes braves amis, au courage de vous tous et à ma fortune. Je vous invite, représentants du peuple, à vous former en comité général, et à y prendre des mesures salutaires que l'urgence des dangers commande impérieusement : vous trouverez toujours mon bras pour faire exécuter vos résolutions. »

« Général, dit le président, le conseil vient de prendre une délibération pour vous inviter à dévoiler, dans toute son étendue, le complot dont la République est

menacée. "

« J'ai eu l'honneur de dire au conseil, réplique Bonaparte, que la constitution ne pouvait sauver la patrie, et qu'il fallait arriver à un ordre de choses tel que nous puissions la retirer de l'abîme où elle se trouve. La première partie de ce que je viens de vous répéter m'a été dite par les deux membres du Directoire que je vous ai nommés, et qui ne seraient pas plus coupables qu'un très-grand nombre d'autres Français, s'ils n'eussent fait qu'articuler une chose connue de la France entière. Puisqu'il est reconnu que la constitution ne peut sauver la République, hâtez-vous donc de prendre des moyens pour la retirer du danger, si vous ne voulez point recevoir de sanglants et d'éternels reproches du peuple français, de vos familles et de vous-mêmes. »

Cette harangue fut suivie d'applaudissements mêlés à quelques murmures. Le doute n'était plus possible;

Bonaparte déchirait, foulait aux pieds cette charte dont l'autre chambre venait d'assurer le maintien; de luimême il se mettait hors du droit commun. Toute assemblée législative qui n'aurait point été sous le poids d'un changement nécessaire pour sauver la chose publique eût décrété d'accusation le général Bonaparte; mais ce qu'il avait dit avec une franchise austère, chacun le pensait.

Sorti des Anciens après un demi-succès, Bonaparte courut aux Cinq-Cents, où l'appel nominal venait d'être terminé, où les délibérations, progressivement tumultueuses, demeuraient sans objet. Il s'agissait d'opposer Bernadotte à Bonaparte, et de frapper ce dernier comme conspirateur; mais personne n'osait en prendre l'initiative; on ne savait d'ailleurs comment Bernadotte, qui se tenait sur la réserve, allait envisager le coup d'Etat du 18 brumaire. Au même moment arrive une lettre de Barras ainsi conçue :

Citoyens représentants, engagé dans les affaires publiques uniquement par ma passion pour la liberté, je n'ai consenti à accepter la première magistrature de l'État que pour le soutenir dans les périls, pour préserver des atteintes de leurs ennemis les patriotes compromis dans sa cause, et pour assurer aux défenseurs de la patrie ces soins particuliers qui ne pouvaient leur être plus constamment donnés que par un citoyen anciennement témoin de leurs actions héroïques et toujours touché de leurs besoins. La gloire qui accompagne le retour de l'illustre guerrier à qui j'ai eu l'honneur d'ouvrir le chemin, les marques éclatantes de confiance que lui donne le Corps législatif, et le décret de la représentation nationale, m'ont convaincu que, quel que soit le poste où m'appelle désormais l'intérêt public, les périls de la

liberté sont surmontés et les intérêts des armées garantis. Je rentre avec joie dans les rangs des simples citoyens; heureux, après tant d'orages, de remettre dans vos mains, entiers et plus respectables que jamais, les destins de la République, dont j'irai partager le repos.

« Salut et respect.

» BARRAS. >>

« Qu'est-ce à dire? s'écrient les jacobins étonnés. Que signifie cette lettre? Est-ce une démission réelle? » Sur la demande de plusieurs députés, le président relit la lettre; au milieu d'une grande émotion, on demande qu'il soit formé une liste décuple pour remplacer le Directoire démissionnaire; mais Crochon, se fondant sur l'importance du vote, propose l'ajournement au lendemain. Ce délai si raisonnable allait être prononcé, lorsque Grandmaison, « l'un des jacobins le plus redoutable par son talent et son courage, exprima des doutes relativement au caractère d'indépendance de la démission de Barras. « Avant tout, disait-il, il faut savoir si cette démission n'est point l'effet des circonstances extraordinaires où nous nous trouvons. Je crois bien que parmi les membres qui sont ici il en est qui savent d'où nous sommes partis et où nous allons. » A l'instant même un bruit confus se fait entendre, trouble l'orateur, agite l'assemblée. Les regards se tournent aussitôt vers la porte, où brillent des uniformes, où scintillent des baïonnettes : c'est Bonaparte accompagné d'aides de camp et suivi d'un peloton de grenadiers. Le général s'avance seul, tête découverte, épée dans le fourreau; chacun se lève, chacun gesticule ou parle ; la plupart des représentants, montés sur leur siége, s'écrient : Des sabres ici! des baïonnettes! des soldats! A bas le dictateur! à bas le

Cromwell! Hors la loi le tyran! Mort au traître !... Vive la constitution de l'an III! et quelques hommes exaltés se précipitent d'une manière menaçante vers le général, qui fait signe, mais vainement, qu'il veut parler.—« Estce pour cela que tu as vaincu? » lui dit Destrem. « Téméraire, que faites-vous, vous violez le sanctuaire des lois! » s'écrie Bigonnet en le repoussant des deux mains. L'effervescence ne se peut décrire; elle est à son comble; le président cherche vainement à rétablir le calme. « Mon frère, dit Lucien, hasardait audacieusement la plus mauvaise manœuvre qu'il eût jamais faite. Sieyès la désapprouvait en dehors de la salle; et moi je fus frappé de stupeur quand de ma place j'aperçus, au bout de cette immense galerie, des panaches militaires. Jusquelà, nous dominions nos adversaires; la translation était fondée en droit; elle était accomplie; les militaires ne faisaient qu'obéir au décret; le gouvernement était dissous par la démission de Barras; il fallait en venir nécessairement à une transaction entre les deux conseils. L'entrée du général fut sur le point de renverser les combinaisons préparées avec tant de soin. Heureusement, nos adversaires ne surent pas profiter de leur immense avantage.... La retraite de mon frère et notre trouble avaient tellement enivré les vainqueurs qu'ils perdirent leur sang-froid, et nous rendirent en un moment l'avantage que nous avions perdu; je fus prompt à le ressaisir '. » Craignant pour Bonaparte, ses partisans le couvrent de leur corps et l'entraînent hors de la salle; mais aucun poignard ne se montre, aucun coup n'est porté, malgré ce qu'ont pu dire des historiens mal instruits. L'adjudant général Aréna, bien qu'hostile à

1 Cette partie des Mémoires de Lucien, ainsi que les fragments qui vont suivre, ne se trouvent pas dans le volume qu'il a publié.

Bonaparte, n'attenta point à sa vie, car M. Abbatucci, dans ses notes autographes que nous avons sous les yeux, affirme l'avoir vu discourant du haut de la tribune et fort éloigné du général, quand on arrachait ce dernier au poignard imaginaire de ses assassins.

Il fallut un temps assez long pour que le calme se rétablît parmi les législateurs. Lucien Bonaparte tâcha de justifier son frère, alléguant qu'au lieu de l'accuser il fallait l'entendre, que sa démarche ne pouvait avoir qu'un seul but, de rendre compte à l'assemblée de la situation des choses, de quelque objet d'intérêt public et de prendre ses ordres. « Il a terni sa gloire!.... Il s'est conduit en roi!... Je le voue à l'exécration des républicains! » s'écrièrent plusieurs représentants. Dignef, Talot, Bertrand du Calvados, proposèrent de le destituer du commandement des troupes, de le mettre hors la loi, de faire revenir les conseils à Paris. Écoutons Lucien :

<< Au milieu de l'agitation générale, et après diverses propositions émises et abandonnées, une voix retentisante s'écrie: Hors la loi!... hors la loi Bonaparte et ses complices! Cent voix répètent ce cri comme un signal.......... Le bureau est envahi. Marche, président, me dit un collègue peu courtois; mets aux voix le hors la loi. L'horreur de ces interpellations me poussa, presque à mon insu, à descendre de l'estrade. Je laissai le fauteuil au vice-président Chazal, dont le coup d'œil et le courage ne pouvaient être surpassés; j'étais arrêté par une foule qui m'accablait de reproches et hurlait sur tous les tons: Hors la loi! Reprends ton fauteuil; ne nous fais pas perdre de temps; aux voix le hors la loi du dictateur!... Je me trouvais alors debout au pied de la tribune. En jetant les yeux autour de moi, j'aperçus le brave général Frégeville, l'un de nos inspecteurs, qui, calme au milieu

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